Au Forum sino-arabe, Kaïs Saïed soigne ses bonnes relations avec Pékin

Si la Chine est depuis longtemps présente en Tunisie, beaucoup reste à faire pour transformer Pékin en partenaire majeur du pays. Présent fin mai à Pékin, le chef de l’État n’a pas ménagé ses efforts pour approfondir cette relation, quitte à fâcher ses traditionnels alliés occidentaux.

Les présidents tunisien Kaïs Saïed et chinois Xi Jinping (au second plan) lors de la signature d’accords de coopération bilatérale, à Beijing en Chine, le 31 mai 2024. © Ding Haitao / XINHUA via AFP

Les présidents tunisien Kaïs Saïed et chinois Xi Jinping (au second plan) lors de la signature d’accords de coopération bilatérale, à Beijing en Chine, le 31 mai 2024. © Ding Haitao / XINHUA via AFP

Publié le 7 juin 2024 Lecture : 5 minutes.

En Tunisie, l’année 2024 avait commencé sous le signe de la Chine avec la commémoration, en janvier, de 60 ans de relations entre les deux pays. La tendance semble se confirmer puisque le président tunisien Kaïs Saïed a été l’un des hôtes d’honneur – aux côtés des représentants au plus haut niveau de l’Égypte, du Bahreïn, des Émirats arabes unis et de la Ligue arabe – de la 10e réunion ministérielle du Forum de coopération sino-arabe, qui s’est tenue il y a une semaine à Pékin.

Cette participation a été suivie, pour le président tunisien, d’une visite d’État qui confirme que Kaïs Saïed est bien en quête de nouveaux partenaires. Il l’a d’ailleurs clairement exprimé en diverses occasions, notamment en 2022, lorsqu’il avait plaidé pour des relations décentrées, axées sur le développement et la paix, à l’occasion du premier sommet du Forum sino-arabe de Riyad (Arabie saoudite). C’est lors de cet événement qu’il avait fait la connaissance de son homologue chinois, Xi Jinping.

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Anticipant de possibles craintes de la communauté internationale, qui pourrait attribuer à Tunis la volonté de prendre de la distance avec ses partenaires occidentaux traditionnels, le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, a tenu à préciser « qu’il ne s’agit pas d’un remplacement d’un partenaire par un autre, mais d’une mise en œuvre de la souveraineté du pays qui appelle au respect. » L’évolution du centre de gravité de la diplomatie tunisienne était de toute façon attendue depuis le changement politique radical impulsé par le chef de l’État le 25 juillet 2021. Cette modification totale du système ne pouvait que s’accompagner d’une remise en cause des relations internationales du pays.

D’ailleurs, en 2022, le bruit avait couru à Tunis que le président Saïed avait la volonté d’intégrer les Brics. Rien n’est venu, depuis, confirmer cette hypothèse, mais la tendance générale est clairement à une forme de rapprochement avec certains pays du « Sud global ». Un changement de braquet qui se traduit, d’abord, par le fait que la Tunisie signifie que toute ingérence étrangère dans ses affaires serait inconvenante. Un argument qui ne semble pas avoir été toujours entendu par les partenaires traditionnels comme la France ou les États-Unis.

Les crispations diplomatiques qui ont prévalu après l’offensive sur le pouvoir, conduite par Kaïs Saïed en 2021, ont ensuite été exacerbées, parfois jusqu’à la rupture. C’est notamment le cas avec le Fonds monétaire international (FMI), et dans un moindre mesure avec le froid qui s’est installé dans les relations avec l’Union européenne (UE). Il a fallu l’entregent de la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni – qui a associé, en 2023, la Tunisie à sa politique d’externalisation du contrôle des frontières européennes afin d’endiguer la migration irrégulière – pour voir une reprise significative des relations entre Tunis et Bruxelles.

Avec néanmoins une ligne rouge : celles des sujets sensibles comme la démocratie, les libertés et les droits humains, où Tunis entend voir sa souveraineté respectée. « Nous exigeons des Européens qu’ils cessent d’être donneurs de leçons, surtout qu’ils ne sont pas exempts d’erreurs en la matière », résume un député. Un reproche que la Tunisie n’aura pas besoin de faire à la Chine.

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Convergences de vue sur la Palestine

L’autre point de non-retour, qui a sans doute influé sur l’évolution récente des relations internationales de la Tunisie, est exogène, mais néanmoins essentiel : il s’agit de la tragédie qui déchire Gaza, et que l’Occident a largement niée – ou au moins minimisée – quitte à se compromettre et à perdre sa crédibilité auprès de pays partenaires. Sur ce registre, la Chine marque des points, puisque la question palestinienne figure parmi les trois axes de la déclaration de Pékin prononcée en introduction du Forum de coopération sino-arabe, le 30 mai dernier.

Du côté de l’économie, les nouveaux auspices des relations avec Pékin ne rétabliront pas dans l’immédiat le déficit de la balance commerciale, qui a atteint en 2023 un montant de 8418,3 millions de dinars en faveur de Pékin. Ils permettent toutefois d’envisager un partenariat et une coopération élargis. C’est du moins ce qui est attendu, affirme l’ambassadeur de Tunisie en Chine, Adel Larbi, qui en plus d’annoncer un don de l’équivalent de 100 millions de dinars de la part de Pékin, souligne aussi les créations d’emplois que peuvent générer des investissements chinois en Tunisie, ainsi que la plus-value apportée par l’échange de technologies.

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Le diplomate a aussi indiqué que des projets tels que le financement de la cité médicale de Kairouan (centre), du Centre de traitement des tumeurs de Gabès (sud-est) et l’aménagement du stade d’El Menzah à Tunis ont aussi été abordés. Mais les perspectives vont au-delà de ces projets immédiats, puisque des entreprises comme Byd et Huawei entendent consolider leur présence dans les secteurs des transports en commun, de l’industrie automobile ou encore des villes numériques.

Sur ce dernier point d’ailleurs, certaines voix se sont déjà élevées pour souligner que la Tunisie devra surmonter son déficit technologique tout en maintenant une certaine vigilance : on se souvient que Huawei avait postulé à l’appel d’offres concernant le traitement des données biométriques du fichier national d’identité pour l’émission de passeports conformes aux normes internationales. « Des données auxquelles seule la Tunisie doit pouvoir accéder », spécifie un informaticien.

Des chantiers emblématiques de la coopération

Reste qu’à ce stade, le volume des échanges commerciaux avec la Chine ne peut que croître et aller vers un rééquilibrage. Actuellement, les produits tunisiens correspondent à 1,4 % des importations chinoises et les produits chinois ne représentent que 6,6 % des importations tunisiennes. La présence chinoise, si elle n’est pas nouvelle en Tunisie, a jusqu’à présent plus porté sur une forme de coopération. Avec notamment les missions de médecins chinois en Tunisie, mais aussi des projets d’infrastructures : doublement du canal Medjerda-Cap Bon, bâtiment des Archives nationales, rénovation de la Maison des jeunes d’El Menah-VI, hôpital universitaire de Sfax, construction d’un centre culturel à Ben Arous, de cinq hôpitaux dans le nord-ouest du pays, ou encore de l’Académie diplomatique.

Dans les milieux économiques tunisiens, on attend toutefois beaucoup mieux de ce nouveau partenariat stratégique. Et d’abord une participation plus active au projet de nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative), auquel la Tunisie a adhéré en 2018. Le marché tunisien est accessoire pour le géant asiatique, mais la position géographique de la Tunisie lui confère tout son intérêt dans un tel programme, dans lequel Pékin pourrait insérer la création d’un port en eaux profondes en Tunisie. Tandis que la transformation du port de Zarzis (sud) pourrait lui permettre de devenir une plateforme vers l’Afrique.

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