Émile Engoulou Engoulou, grand maître des saveurs du Cameroun sur canapé
Aux manettes du Club Municipal de Yaoundé, le chef s’est spécialisé dans les recettes d’amuse-bouches, du ndolé au foss en passant par le bobolo.
Son plat préféré ? Sans grande surprise, puisqu’il est Camerounais, c’est le foss, ces larves de charançons que l’on récolte dans les troncs pourrissants du palmier raphia. Émile Engoulou Engoulou a même créé un canapé associant foss et bobolo (bâton de manioc) dont il parle avec des étoiles de gourmandise dans les yeux. « Mon rêve, c’est de voir entrer mes canapés Ndolé-Miondo, Foss-Bobolo, Nnam Ngon-Bobolo, Ekoki-Plantain dans les menus des compagnies aériennes ! » confie le chef, de passage à Paris pour affaires.
Difficile de savoir s’il parviendra à imposer de gros vers blancs cuisinés en sauce à une clientèle internationale, mais il semble y croire. Et en attendant l’envol des charançons en classe business, il garde les pieds bien ancrés dans sa terre camerounaise, aux manettes du club municipal de Yaoundé – où le prix du buffet, 5 000 F CFA, n’a pas bougé depuis sa création.
« Chaque ethnie a son plat favori »
Né en 1962 à Douala, Émile Engoulou Engoulou a grandi au sein d’une vaste fratrie : son père, fonctionnaire des douanes, avait six femmes, et dans la vaste maison du quartier de New-Bell se croisaient quelque 36 personnes ! « J’ai connu une scolarité normale, se souvient l’intéressé, au gré des affectations de mon père à travers le pays, près des frontières. J’ai pu découvrir le Cameroun et, sans vraiment en prendre conscience sur le moment, me faire une idée de sa variété et des saveurs dont il dispose. On dit généralement qu’il y a 250 ethnies au Cameroun, mais je pense que c’est plutôt le double et chacune d’entre elles a son plat favori ! »
Tout petit, l’enfant est attiré par les parfums qui émanent des fourneaux. « J’étais interdit de cuisine, raconte-t-il. Les autres me donnaient un prénom féminin quand j’y allais. Mais je voulais aider ma mère. Vous savez, la polygamie est une compétition. Les autres épouses de mon père avaient leurs filles, pas ma mère. Aujourd’hui, c’est toujours par elle que j’entends l’appel de la cuisine. »
« La polygamie est une compétition »
Pour autant, au moment de choisir une orientation professionnelle, ce n’est pas cet appel qui le pousse. « En réalité, ce qui m’oriente vers la restauration est un peu triste, confie-t-il aujourd’hui. Mon père me voyait bien entrer dans son métier, et moi j’avais une très forte affection pour le frère de ma mère, le docteur Bilounga, qui était médecin. J’ai donc décidé de ne choisir ni les douanes ni la médecine et j’ai opté pour « gestion hôtelière » sans vraiment savoir ce que c’était ! »
Enfant « particulièrement aimé », selon ses propres dires, Émile Engoulou Engoulou parvient sans difficultés à convaincre son père de le laisser partir en France. Après une erreur d’orientation qui le conduit vers une filière tourisme à l’école mixte de gestion et de tourisme de Vichy, le jeune homme suis le conseil paternel : « Fais ce que tu m’as dit vouloir faire ». Le monde extérieur n’est pas aussi encourageant. Sur 22 écoles hôtelières sollicitées, 21 répondent par la négative. Heureusement, la 22ème s’appelle l’Institut international Maxim’s de Paris – qui permet à Émile Engoulou d’être diplômé en 1987 et de rentrer au Cameroun en 1988.
Il y sera d’abord directeur de la restauration de l’Hôtel Parfait Garden de Douala pendant cinq ans, puis directeur d’exploitation de l’hôtel Beauséjour Mirabel. En 1996, il crée sa propre entreprise, Help’Hôtel, cabinet de conseil en gestion d’hôtellerie. C’est cette activité qui le conduit à intervenir dans plusieurs établissements, notamment à Yaoundé. Là, une résidence hôtelière de luxe, les Hauts leuris d’Odza a du mal à trouver un gérant. Engoulou, sans lâcher ses activités de conseil, s’y colle. L’expérience tourne court, il n’y reste qu’un an. Peu importe, il a d’autres atouts dans sa manche et poursuit des activités de traiteur pour les universités catholiques de Douala et Yaoundé, pour l’Institut des relations internationales du Cameroun, pour la société d’électricité de Yaoundé. Pourtant, ce n’est qu’en 1999 qu’il ajoute à ses compétences de manager un réel savoir-faire de cuisinier.
« En 1999, j’ai perdu ma mère, se souvient-il. C’est ce tremblement de terre qui m’a ramené dans la cuisine, où j’avais l’impression de la retrouver. Cette prise de conscience a été amplifié par la télévision, la CRTV où j’ai été conduit à animer une chronique culinaire quelques années plus tard, à partir de 2011. »
Chroniques culinaires
Le chef, qui dit avoir « longuement intériorisé la cuisine » avant de se lancer, revendique une gastronomie ancrée dans la production locale et la tradition camerounaise. « Le futur alimentaire nécessite de bien étudier comment grand-papa et grand-maman se nourrissaient, dit-il. Les exigences alimentaires se trouvent derrière nous ! Le ndolé pousse tout seul, ici ! » Et de poursuivre : « J’ai fait des recherches pendant six ans pour créer des canapés qui me ressemblent et aujourd’hui, c’est ce que je propose d’unique. Des canapés typiquement africains ! »
Aux manettes depuis 2003 du Club municipal, après un appel d’offre remporté face à 26 candidats, il y sert un buffet qui fait la part belle à la vaste variété saisonnière du Cameroun, épargnant les espèces protégées. « On vient au Club municipal pour être surpris par un met de grand-mère qu’on a perdu de vue depuis longtemps, précise-t-il. Comme je suis aussi agriculteur, et notamment producteur de poivre, je peux contrôler les produits qui arrivent sur ma table et éviter l’utilisation de pesticides. » Bon communicant et homme d’affaires avisé, Émile Engoulou Engoulou se présente à la fois comme « chef » et « inventeur », n’hésitant pas à déposer des brevets d’invention pour ses créations culinaires.
Mais, surtout, il entend transmettre son expérience. Il y a cinq ans, il a créé à Yaoundé l’Académie H2T (pour Hôtellerie, tourisme et territoire) afin de former les professionnels de demain. La scolarité y coûte 850 000 F CFA par an. L’école reçoit environ 50 étudiants se destinant aux métiers du tourisme, encadrés par une vingtaine de professeurs. Et, dans la cadre de la responsabilité sociale des entreprises, Émile Engoulou entend aussi former les enfants des rues en matière de street food. Récemment il en a reçu une douzaine.
« C’est une formation bénévole pour qu’ils deviennent les maîtres de la restauration de rue, explique-t-il. J’essaie d’enseigner les bonnes pratiques d’hygiène et nous travaillons à l’évolution des carioles, alimentée par énergie solaire et dotées de mixeurs de jus de fruit, qu’ils peuvent proposer en plus des sandwiches, des brochettes et des spaghettis. » Quant au livre de recettes qui révélera tous les secrets de la cuisine du foss, ce n’est pas pour tout de suite, mais l’idée fait son chemin. « C’est en cours… Il n’a pas encore abouti parce que je ne veux pas me contenter de faire une compilation de recette. » On attend avec impatience ses secrets pour réussir le foss.
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