Iran : quels sont les enjeux de la présidentielle du 28 juin ?

LE DECRYPTAGE – Après la disparition brutale du président Raïssi, les Iraniens sont appelés aux urnes le 28 juin. Des élections anticipées qui ont lieu dans un contexte incertain et dans un Moyen-Orient au bord du gouffre. Explications.

Responsables du ministère iranien de l’Intérieur examinant la validité des candidatures pour la présidentielle du 28 juin 2024. À Téhéran, le 30 mai. © Fatemeh Bahrami/Anadolu via AFP

Responsables du ministère iranien de l’Intérieur examinant la validité des candidatures pour la présidentielle du 28 juin 2024. À Téhéran, le 30 mai. © Fatemeh Bahrami/Anadolu via AFP

Publié le 25 juin 2024 Lecture : 5 minutes.

Après la mort d’Ebrahim Raïssi dans un crash d’hélicoptère, le 19 mai, l’Iran s’apprête à élire un nouveau président. Cette élection anticipée (le scrutin aurait dû avoir lieu au printemps 2025) se tiendra le 28 juin, soit cinquante jours après la disparition de Raïssi, conformément à l’article 131 de la Constitution. Entre le 30 mai et le 4 juin, pas moins de 80 personnalités (dont quatre femmes), pour la plupart ultra-conservatrices, ont déposé leur dossier de candidature au ministère de l’Intérieur.

Le 9 juin, le très conservateur Conseil des Gardiens de la Constitution (organe non élu, chargé de la supervision du processus électoral) a validé six candidatures, dont celle d’un réformateur, écartant toutes les femmes. Quels sont les enjeux de ce scrutin, dans un Iran qui, tout en demeurant un acteur majeur d’un Moyen-Orient déchiré, est confronté à une crise économique et sociale sans précédent ? Le décryptage de Jeune Afrique.

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1. Qui sont les candidats autorisés à concourir ?

Le Conseil des Gardiens de la Constitution a qualifié cinq candidats conservateurs ou ultra-conservateurs : Mohammad Bagher Ghalibaf, le président du Parlement ; Ali Zakani, le maire de Téhéran ; Saïd Jalili, ancien négociateur en chef du dossier nucléaire et secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale ; Amir-Hossein Ghazizadeh Hachemi, chef de la Fondation des martyrs (une fondation caritative financée par l’État et qui possède des centaines d’entreprises iraniennes), et Mostafa Pourmohammadi, ministre de l’Intérieur (de 2005 à 2008), puis de la Justice (de 2013 à 2017).

Dans le camp réformateur, le seul candidat retenu est Massoud Pezechkian, 69 ans. Député de la ville de Tabriz (Nord-Ouest), cet ancien ministre de la Santé avait osé critiquer le « manque de transparence » des autorités dans l’affaire Mahsa Amini – du nom de cette jeune fille d’origine kurde dont la mort en détention, en septembre 2022, avait déclenché une grande vague de contestation dans le pays.

Parmi les recalés figure Mahmoud Ahmadinejad, président de la République de 2005 à 2013, déjà écarté de l’élection présidentielle en 2017 et en 2021. Ce populiste a perdu les bonnes grâces des Gardiens de la révolution et surtout, celles du Guide suprême, Ali Khameneï, qui fut son mentor, principalement parce qu’il avait multiplié les critiques à l’égard du régime au cours de son second mandat.

2. Qui a les faveurs d’Ali Khameneï ?

L’Iran est en plein processus de transformation, plus générateur de chaos que d’harmonie. Il doit à la fois élire un nouveau président et trouver un successeur à Ali Khameneï, Guide suprême depuis 1989, âgé de 85 ans et à la santé déclinante. Or, le favori de ce dernier était le défunt Raïssi. Nommé à vie par l’Assemblée des experts, le Guide concentre entre ses mains la quasi totalité du pouvoir. Le président, lui, ne dispose que d’une marge de manœuvre très limitée et très encadrée par le Parlement.

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Le pouvoir institutionnel, sécuritaire et militaire est, en réalité, détenu par les Gardiens de la Révolution et par le bureau du Guide, sorte de « boîte noire » du régime, « encore plus opaque que le Kremlin », estime Ali Vaez, directeur du projet Iran au sein de l’ONG International Crisis Group.

Mojtaba Khameneï, le fils cadet de l’ayatollah Khameneï, est un acteur majeur de cette dernière instance. La succession du Guide pourrait bien déclencher des luttes intestines. En attendant, le favori du scrutin présidentiel est Mohammad Bagher Ghalibaf, à la fois allié fidèle du régime et aussi peu charismatique que Raïssi, ce qui convient parfaitement au bureau du Guide.

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3. Doit-on s’attendre à une forte mobilisation ?

Toujours selon Ali Vaez, « les Iraniens ne voient plus dans les élections un mécanisme susceptible d’apporter des changements significatifs, car, à chaque fois qu’ils se sont rendus aux urnes pour tenter de réformer le système, l’État profond a bloqué toute évolution ».

Résultat, l’abstention gagne du terrain. À la présidentielle de 2021, seuls 48,8% des 61 millions d’électeurs étaient allés voter. Le taux de participation le plus faible (40,6%) avait été atteint aux législatives de mars 2024, les premières depuis le soulèvement consécutif à la mort de Mahsa Amini. Ce scrutin avait été massivement boycotté par les étudiants, soutenus par 300 personnalités du monde politique, culturel et universitaire. La majorité d’entre eux avaient dénoncé des élections « dénuées de sens » et critiqué une « République islamique qui a du sang sur les mains ».

En Iran, la répression est en effet féroce. Selon un rapport des Nations unies, depuis septembre 2022, 551 manifestants (dont 49 femmes) ont été tués par les forces de l’ordre, qui pratiquent des actes de torture et des violences sexuelles qualifiés par Amnesty International de « crimes contre l’humanité ». Depuis le 20 mars 2024, il n’y a pas eu moins de 95 exécutions capitales.

Dans un tel contexte, le 28 juin, le taux de participation devrait être historiquement bas. « Le climat général ne permet aucune ouverture » et le pouvoir a « verrouillé » toutes les élections au cours de ces dernières années, déplore le journal réformateur Ham-Mihan.

4. Quels sont les enjeux en politique intérieure ?

Entre la République islamique et le peuple iranien, la rupture est totale. La répression d’un côté, la défiance (ou la résignation) de l’autre, ont atteint un paroxysme. L’Iran traverse, en outre, une grave crise économique : dévaluation de la monnaie, hyper-inflation (50% en mars dernier, selon les chiffres officiels), érosion du pouvoir d’achat, chômage… Une grande partie de la population vit dans la précarité ou dans la misère. Même la défense de la cause palestinienne, que le régime instrumentalise pour justifier sa propre répression interne, ne rassemble plus vraiment les Iraniens. En 2022, lors de manifestations non officielles, certains criaient : « Laisse tranquille la Palestine et sors nous de cette ruine ! »

5. Où en est Téhéran sur la scène internationale ?

L’Iran demeure un acteur majeur du Moyen-Orient, une région que les Nations unies décrivent comme étant « au bord du précipice ». Alors que des milices chiites affiliées à l’Iran et actives au Liban, au Yémen, en Syrie et en Irak exercent une pression militaire sur Israël (en particulier depuis le début de la guerre à Gaza), Téhéran joue, pour l’instant, la carte diplomatique. Il poursuit le dialogue avec les pays du Golfe et les discussions officieuses avec Washington. Ni l’Iran ni les Américains ne souhaitent en effet une extension du conflit.

Le programme nucléaire de l’Iran a néanmoins considérablement progressé au cours de ces dernières années. Dans ce contexte, les négociations avec les États-Unis pourraient se dérouler dans une ambiance de plus en plus hostile, en particulier dans l’hypothèse d’un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, en novembre prochain. À l’inverse, le régime iranien pourrait bénéficier du soutien de la Chine et de la Russie – pays à qui elle fournit des armes balistiques de moyenne portée dans le cadre de la guerre qui oppose Moscou à Kiev.

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