Législatives : le Conseil français du culte musulman appelle à son tour à voter « contre la haine et l’intolérance »
Après la victoire écrasante du Rassemblement national aux européennes, les représentants musulmans appellent leurs coreligionnaires à « s’opposer à l’extrême droite » lors des législatives anticipées. Ces derniers mois, plusieurs influenceurs communautaires avaient propagé la thèse controversée selon laquelle le vote serait illicite dans l’islam.
« Le Conseil français du culte musulman (CFCM) entend l’immense inquiétude de nos concitoyens, en particulier de confession musulmane, face aux récents événements politiques majeurs », assure le Conseil français du culte musulman dans un communiqué publié ce 14 juin. Sans donner de consigne de vote, l’association précise qu’il est « légitime dans le climat actuel de vouloir apporter son soutien à celles et à ceux qui promeuvent encore les valeurs du vivre ensemble, luttent contre la haine et l’intolérance et œuvrent pour la construction d’une société juste, fraternelle et solidaire ».
« Cette inquiétude doit inciter nos concitoyens de toutes confessions et convictions à accomplir leur devoir en allant voter lors des prochaines élections législatives anticipées du 30 juin et du 7 juillet 2024 », insiste le CFCM. L’important étant d’aller voter, « un droit fondamental et l’essence même de notre République et de notre démocratie ».
En 2019, alors que la liste Rassemblement national était déjà arrivée en tête aux élections européennes, au coude-à-coude avec celle de la majorité macroniste, le Conseil avait déjà lancé un appel au vote pour « faire échec à la politique d’exclusion et de haine prônée par les extrémistes ».
Le CFCM se joint ainsi au recteur de la Grande Mosquée de Paris qui a publié un communiqué le 11 juin allant dans le même sens. Après « la décision audacieuse » de dissolution par le président Emmanuel Macron « maître des horloges politiques » et dans une France qui « semble naviguer entre les écueils d’une démocratie fragile et les remous d’une montée inquiétante de l’extrême droite », Chems-Eddine Hafiz incite à « lutter contre l’indifférence et la résignation » par le vote.
Un « vote musulman » pour le RN
Alors que le « sentiment d’insécurité » envahit les Français, faisant du « musulman » un « bouc émissaire », le recteur de la Grande Mosquée de Paris rappelle « le rôle majeur joué par les médias mainstream ». Mais qu’en est-il du soi-disant « vote musulman » ? Pour le recteur de la mosquée de Paris, il s’agit d’un « épouvantail souvent agité pour semer la peur », alors que finalement « la proportion de musulmans ayant voté pour le Front national n’est guère éloignée de la moyenne nationale ». Faut-il s’en réjouir ou s’en alarmer, s’interroge-t-il.
« Les Français musulmans sont avant tout des citoyens français, sensibles aux mêmes enjeux sociaux, économiques et politiques que leurs compatriotes », poursuit-il. Mais surtout, « cette réalité souligne également notre incapacité collective à démontrer aux électeurs français musulmans les dangers insidieux dissimulés derrière les discours mielleux des représentants locaux du Front national. »
Ainsi, l’avocat et membre de la Commission nationale consultative des droits, à la tête de la Grande Mosquée de Paris, « exhorte les imams et les responsables religieux à utiliser leur tribune pour éveiller les consciences ». « Leur inaction pourrait, en définitive, permettre aux forces de la division et de la haine de s’installer au cœur de notre République », alerte-t-il, convaincu que chaque Français « par son vote, par son engagement, peut contribuer à forger une société plus juste, plus humaine ».
« Voter, c’est haram »
Si les appels au vote des représentants musulmans se multiplient, une frange de la population musulmane exprime quand même une opposition au principe même du vote républicain: pour les croyants, voter dans un pays « de mécréants » serait « haram », voire « un acte annulatif de l’islam ».
Si cette position paraît minoritaire et susciter des avis très divergents –licite pour les uns, illicite pour les autres, voire recommandé –, elle semble prendre de plus en plus d’importance, notamment auprès des jeunes, faisant craindre un fort taux d’abstention.
Les positions les plus extrêmes exprimées récemment reviennent à deux influenceurs français musulmans d’origine maghrébine.
«Salah Dîn», un tiktokeur qui s’exprime exclusivement sur la religion et dont les vidéos cumulent des millions de vues. Et un streameur connu sous le pseudo « Balti », suivi par 113 000 followers sur TikTok et plus de 186 000 abonnés sur la plateforme Twitch, d’où il s’est fait bannir en 2022 pour avoir tenu des propos misogynes. Le premier a, dans une vidéo vue plus de 180 000 fois et supprimée depuis – mais relayée sur d’autres chaînes et réseaux sociaux –, affirmé que « le vote fait sortir de l’islam ! ».
Le second a multiplié les critiques du vote des musulmans en France sur X: « Ils ont réussi à faire croire aux gens que voter LFI = sauver la Palestine. On en reparlera et on va bien rigoler. » Ou encore : « Tous ceux qui vous rappellent que c’est haram, vous leur tombez dessus en faisant limite leur takfir [apostasie], en les traitant de sionistes, vendus, etc..[sic] Qu’Allah vous guide. »
Ces opinions, toutefois, sont loin de faire l’unanimité. À tel point que depuis plusieurs jours, de nombreux internautes musulmans tentent au contraire d’encourager au vote, diffusant par exemple la fatwa du populaire Sheikh koweiti Mutlaq al Jassir selon laquelle « il n’y a pas de mal à voter si Allah le veut avec l’intention de réduire le préjudice et de choisir le moindre des deux maux et le plus grand des deux bénéfices ».
En 2022 déjà, l’imam Iquioussen, expulsé depuis vers le Maroc par le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, affirmait lors d’un prêche que « celui qui ne participe pas au processus électoral en déposant sa voix dans les urnes est un traître ».
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