Femmes Algériennes 1960, photos d’identité, commandées par l’armée française à la fin de la guerre d’Algérie, dans les villages de regroupement. © Marc Garanger/Aurimages via AFP.
Femmes Algériennes 1960, photos d’identité, commandées par l’armée française à la fin de la guerre d’Algérie, dans les villages de regroupement. © Marc Garanger/Aurimages via AFP.

Photographie : les portraits marquants de Marc Garanger en pleine guerre coloniale en Algérie

Chaque semaine en juillet et en août, Jeune Afrique vous présente une photographie iconique. Aujourd’hui, la série mondialement connue du photographe français, réalisée pendant la guerre d’Algérie.
NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 13 juillet 2024 Lecture : 4 minutes.

Nelson Mandela entouré de photographes dans sa maison de Soweto, le 15 février 1990, à Johannesburg. © Georges MERILLON/GAMMA-RAPHO.
Issu de la série

Cent ans d’Afrique en huit photos symboliques

Jeune Afrique vous propose, tout au long de l’été, de prendre chaque samedi le temps de décrypter une image iconique de l’histoire du continent.

Sommaire

CENT ANS D’AFRIQUE EN HUIT PHOTOS SYMBOLIQUES (2/8) – Quand il arrive en Algérie en 1960 au sein du 2e régiment d’infanterie, Marc Garanger  (1935-2020) a 25 ans. Photographe professionnel depuis deux ans déjà, ce n’est toutefois pas pour cela qu’il se trouve stationné dans le secteur d’Aumale – aujourd’hui Sour El Ghozlane. Affecté au secrétariat du régiment, il est chargé du courrier. Une tâche administrative ingrate qu’il ne parvient pas à accomplir.

« Pour m’en sortir, j’ai laissé traîner quelques photos sur le bureau, comme on lance un appât, pour voir si le poisson va mordre ! Et ça a marché ! Le commandant est passé par là, et, sur le champ, j’ai été nommé photographe du régiment. De façon informelle, vu qu’il n’y avait pas de poste de photographe dans un régiment. Pendant 24 mois, je n’ai pas cessé de photographier, sûr qu’un jour, je pourrai témoigner. Personne ne s’étonnait donc de me voir photographier », raconte-t-il dans la postface de son livre Femmes algériennes 1960 (éditions Atlantica de mars 2002, paru initialement en 1982).

Femmes Algériennes 1960, photos d'identité, commandées par l'armée française à la fin de la guerre d'Algérie, dans les villages de regroupement. © Marc Garanger/Aurimages via AFP.

Femmes Algériennes 1960, photos d'identité, commandées par l'armée française à la fin de la guerre d'Algérie, dans les villages de regroupement. © Marc Garanger/Aurimages via AFP.

la suite après cette publicité

Hommage au travail d’Edward Sheriff Curtis

À la fin de l’année 1960, Marc Garanger est envoyé à Aïn Terzine pour photographier des femmes algériennes, obligées de se dévoiler. L’ordre reçu : réaliser des photographies d’identité. « On était en période dite de pacification, racontait-il en 2012 à TV5Monde. Ce qui voulait dire : raser les maisons isolées des fellagas pour les obliger à en reconstruire de nouvelles autour. Des villages de regroupement où chaque habitant devait avoir une carte d’identité et c’est donc moi qui ai été chargé de faire les photos. »

En dix jours, ce sont près de 2 000 femmes qui vont poser, contraintes et forcées, face à l’objectif du jeune homme, opposé à la guerre coloniale que mène alors la France. Assises sur un tabouret face à lui, dos au mur de leur maison, elles n’ont d’autre choix qu’obéir.

Le commandant exige qu’elles soient entièrement dévoilées. Leur seule réponse à cette agression, seule rébellion possible : la foudre de leur regard. Lui ne montre rien, mais il cadre à la ceinture, ne se contentant pas du seul visage nécessaire pour les documents d’identité. Garanger garde en effet en tête les images très dignes des Indiens d’Amérique photographiés par Edward Sheriff Curtis (1868-1952).

Prix Niepce en 1966

À la fin de 1960, Garanger présente les images tirées en 4×4 cm à son capitaine. Lequel, selon Garanger s’écrie alors : « Venez voir, venez voir comme elles sont laides ! Venez voir ces macaques, on dirait des singes ! » Garanger ne pipe mot, mais n’en pense pas moins. « De cet instant où j’ai entendu hurler le capitaine, je me suis juré de lancer un jour ces images à la face du monde pour leur faire dire le contraire de ce que je venais d’entendre ! » écrira-t-il des années plus tard.

la suite après cette publicité

Et c’est bien ce qu’il a fait. En 1961, lors d’une permission, il rend visite à Robert Barrat, journaliste (notamment à Afrique Action, futur Jeune Afrique) et militant catholique de la lutte anticolonialiste, qui lui conseille de déposer quelques-uns de ses clichés à la rédaction de L’Illustré. C’est dans les pages de ce magazine suisse que six d’entre elles seront publiées pour la première fois, en février 1962, avec un texte du journaliste et photographe Charles-Henri Favrod.

La publication marque le début d’une longue histoire pour ces femmes humiliées : témoignage aussi précieux que subtil sur l’horreur coloniale, la série de Marc Garanger sera exposée plus de 300 fois par la suite et publiée partout dans le monde. En 1966, le photographe obtient le prix Niepce en partie grâce à ce travail et ses images circulent ans de nombreuses maisons de la culture en France. Elles voyagent même jusqu’en Algérie, où elles sont exposées à Alger « dans une galerie en bas de la rue Didouche Mourad « .

la suite après cette publicité

Rencontres d’Arles

En juillet 1981, les photographies sont projetées dans le théâtre antique d’Arles, en format 8×8 m lors d’une soirée des Rencontres internationales de la photographie consacrée à l’Algérie. Un livre sort l’année suivante, le 19 mars, vingtième anniversaire du cessez-le-feu en Algérie. Plusieurs éditions suivront.

« Ces expositions ont très souvent été l’occasion pour moi de rencontres, écrivait le photographe. Si les Algériens immigrés trouvent souvent ces photos insoutenables, ce sont par contre les Algériennes, et principalement celles de la deuxième génération, qui reprennent ces photos comme un étendard à la gloire de leurs mères, comme un symbole du courage et de la force des femmes algériennes. Et ceci ne cesse d’être actuel. »

À titre d’exemple, les images de Marc Garanger ont inspiré la peintre d’origine algérienne Dalila Dalléas Bouzar pour sa superbe série « Princesses », où les visages de ces femmes dévoilées apparaissent sur fond noir et sont souvent couronnées d’or… En 2004, à la demande du journal Le Monde, Garanger est reparti en Algérie. Il a retrouvé certaines des femmes qu’il avait photographiées 44 ans plus tôt et leur a demandé de poser. Mais ceci est un autre histoire.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Dans la même série