Cellou Dalein Diallo : « En Guinée, il n’y a pas de sentiment antifrançais »

L’ACTU VUE PAR – L’ancien Premier ministre guinéen, qui fut l’opposant numéro un à Alpha Condé, ne ménage pas Mamadi Doumbouya. Il espère mobiliser l’opinion publique pour que la transition s’achève, comme promis, à la fin de l’année.

L’ancien Premier ministre guinéen Cellou Dalein Diallo. © Bruno Lévy pour JA

L’ancien Premier ministre guinéen Cellou Dalein Diallo. © Bruno Lévy pour JA

Publié le 29 juin 2024 Lecture : 5 minutes.

En exil entre Dakar et Abidjan, Cellou Dalein Diallo prépare son retour à Conakry, la capitale guinéenne, qu’il a quittée en mars 2022. Il le sait, alors qu’il demeure poursuivi dans le cadre de la vente d’Air Guinée, l’ancienne compagnie aérienne nationale, il prend le risque d’être arrêté. En attendant, il tente de continuer à faire pression sur la junte pour que sa promesse de remettre le pouvoir aux civils avant la fin de 2024 soit respectée. Il se dit même prêt à demander le départ de Mamadi Doumbouya. Mi-juin, de passage à Paris, il a rendu visite à Jeune Afrique.

Jeune Afrique : Comment analysez-vous la forte progression de l’extrême droite en Europe, et plus particulièrement en France ?

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Cellou Dalein Diallo : Cela m’inquiète, en tant qu’Africain, en raison des positions prises ou envisagées par l’extrême droite sur l’immigration et la coopération entre l’Europe et l’Afrique. Concernant la France, je suis convaincu que les électeurs vont se ressaisir et faire le bon choix lors des élections législatives des 30 juin et 7 juillet. Ce pays doit se montrer digne de sa devise « Liberté, Égalité, Fraternité », et promouvoir ces valeurs dans ses relations avec le reste du monde, et notamment avec l’Afrique, à laquelle elle est fortement liée.

La transition, selon les déclarations du Premier ministre, Bah Oury, devrait être prolongée jusqu’en 2025, alors qu’elle était censée s’achever à la fin de 2024. Comment, depuis votre exil, comptez-vous faire pression ?

Ils ont affirmé haut et fort qu’ils ne resteraient pas un jour de plus après 2024. Aujourd’hui, cet engagement, tout comme ceux de mettre fin à l’instrumentalisation de la justice, au piétinement des droits et libertés des citoyens et au dysfonctionnement des institutions, n’ont pas été respectés.

Mamadi Doumbouya a également dit qu’il allait lutter contre la corruption et le détournement des deniers publics et qu’à cet égard, sa main ne tremblerait pas. Aujourd’hui, le peuple tout entier se sent trahi face à cette décision assumée de vouloir se maintenir au pouvoir aussi longtemps que possible. Cela engendre une grosse déception, qui remobilise les Guinéens pour la défense de leurs droits et libertés.

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L’Union sacrée, dont votre parti, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), est membre, s’était dite en droit d’exiger le départ de Doumbouya si le calendrier n’était pas respecté. Demandez-vous qu’il quitte le pouvoir ?

L’Union sacrée a dit qu’elle utiliserait tous les moyens légaux, y compris les manifestations dans les rues, pour que les promesses soient respectées. Faute de quoi, elle demandera effectivement le départ de la junte et la mise en place d’une transition civile.

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Vous avez trouvé un allié, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG). Êtes-vous en contact avec l’ancien président Alpha Condé ? 

Avec Alpha Condé, moins. Avec son parti, en revanche, nous luttons au sein de la coalition des Forces vives. Nous nous battions d’ailleurs ensemble pour le retour à l’ordre constitutionnel avant même que la junte annonce son refus d’organiser des élections en 2024.

Vous êtes toujours poursuivi dans l’affaire de la vente d’Air Guinée. Est-ce cela qui vous empêche de rentrer à Conakry ?

Tout le monde sait que ce sont des poursuites fantaisistes. Cette opération de privatisation a eu lieu en 2002 et ceux qui y ont travaillé sont couverts par la prescription. Ces derniers ont reconnu que je n’avais joué aucun rôle, mais cela n’intéresse pas la junte car la Crief [la Cour de répression des infractions économiques et financières] a été instrumentalisée pour me poursuivre. Face à cette volonté de neutraliser les acteurs politiques, j’ai pris mon temps, mais soyez certains que je vais rentrer.

Ne craignez-vous pas d’être arrêté ?

L’exil ou la prison, cela fait partie des risques lorsque l’on décide de faire de la politique en Afrique.

Vous préparez le congrès de l’UFDG. Passerez-vous la main, à la tête du parti ?

Aujourd’hui, j’ai les capacités physiques et intellectuelles de diriger le parti et je le ferai tant que je bénéficierai de la confiance des militants. Mais le jour où cela me fera défaut, je m’effacerai au profit d’un autre. Heureusement, on ne manque pas de cadres capables de prendre la relève.

Sous pression de l’opposition à Conakry, Mamadi Doumbouya est plutôt apprécié sur la scène internationale. Appuyez-vous son refus d’entrer dans l’Alliance des États du Sahel (AES) ?

Est-ce qu’on le lui a proposé ? Pour le moment, il ne l’a pas fait, effectivement. Je pense surtout qu’il faut renforcer la Cedeao, dont la Guinée est membre fondateur.

Justement, faut-il réintégrer les juntes au sein de la Cedeao ?

Le nouveau président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, travaille actuellement dans ce sens. Je souhaite que la charte, qui prévoit la suspension des pays dont l’ordre constitutionnel a été rompu, soit respectée. Cela permettra de décourager d’autres coups d’État.

Sergueï Lavrov était à Conakry début juin. À cette occasion, le Premier ministre guinéen a réaffirmé la neutralité de la Guinée au sujet de l’invasion russe en Ukraine. A-t-il raison ?

Je n’ai pas de commentaire particulier à faire. D’autres pays africains ont d’ailleurs préféré s’investir dans la médiation plutôt que de prendre position.

Comprenez-vous le soutien de la France à la junte guinéenne ?

De façon générale, je ne suis pas satisfait de l’attitude des Occidentaux, qui ne font pas grand chose pour le respect des libertés fondamentales et un retour diligent à l’ordre constitutionnel. À Conakry, il y a eu beaucoup de violations des droits humains, une cinquantaine de jeunes manifestants ont été tués et la presse est muselée. La communauté internationale est restée silencieuse. Elle ne réagit pas non plus à la volonté assumée de la junte de se maintenir aussi longtemps que possible au pouvoir. Pourquoi souhaite-t-on pérenniser un pouvoir illégitime ?

Estimez-vous qu’Emmanuel Macron fait du « deux poids deux mesures » ?

Au Mali, au Niger ou encore au Burkina Faso, les ambassadeurs et les soldats français ont été renvoyés. En Guinée, la France ménage la junte, et réciproquement.

À Conakry, il n’y a pas de sentiment antifrançais. Les Guinéens ne sont pas hostiles à une coopération renforcée avec la France, mais pas au détriment de la démocratie et de l’état de droit. Pour l’instant, la jeunesse guinéenne observe avec inquiétude les relations de la France avec une junte autoritaire, liberticide et corrompue. Il faut craindre qu’elle ne s’en irrite.

Faut-il adopter une posture de principe vis-à-vis des putschistes ?

Absolument. Il faut condamner tous les coups d’État, c’est-à-dire toute prise du pouvoir par la force, la fraude ou la modification de la Constitution.

La réalisation du projet de Simandou est tout de même à mettre au crédit de Mamadi Doumbouya…

C’est vrai, certains projets comme le Simandou ont été accélérés, mais celui-ci était en cours de négociation. Même Alpha Condé y avait travaillé. Sur le plan économique, la pauvreté s’est aggravée et les coupures d’électricité sont plus fréquentes qu’avant.

Serez-vous candidat à la prochaine présidentielle ?

C’est mon parti qui décidera, le moment venu. Je pense que j’ai encore les capacités de conduire une campagne et de diriger le pays, au moins pour un mandat.

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