Stèles phalliques, un mystère éthiopien

Avec « Éthiopie, la vallée des stèles », le Musée Fenaille, de Rodez (sud de la France), propose une exposition sur le mégalithisme dans la région du Rift éthiopien, où des civilisations méconnues dressaient des pierres symboliques.

Stèles aux formes phalliques, dans les contreforts de la vallée du Rift, dans le sud de l’Éthiopie. © A. Pierre – Mission Abaya 2023

Stèles aux formes phalliques, dans les contreforts de la vallée du Rift, dans le sud de l’Éthiopie. © A. Pierre – Mission Abaya 2023

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Publié le 18 juillet 2024 Lecture : 4 minutes.

Certaines, larges et longues, sont fièrement dressées vers le ciel. D’autres penchent légèrement, vers la droite ou vers la gauche. D’autres encore gisent sans force, parfois effondrées au sol. Elles sont des centaines, installées les unes à côté des autres ; le temps a érodé leur arrogance, mais leur mystère demeure entier.

Nous sommes dans le sud de l’Éthiopie, sur les contreforts orientaux de la vallée du Rift, entre les zones Gedeo, Oromo Guji et Sidaama. Là, près de 130 sites qui rassemblent des milliers de stèles phalliques ou anthropomorphes ont été identifiés depuis les années 1930. Pour la première fois en France, le Musée Fenaille, de Rodez (dans le Sud), consacre au mégalithisme de cette région d’Afrique une exposition intitulée « Éthiopie, la vallée des stèles », jusqu’au 3 novembre. Une dizaine d’entre elles y sont présentées. Prêtées par le Weltkulturen Museum de Francfort (Allemagne), elles viennent du site de Tuto Fela, en Éthiopie.

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Le moine et le futur empereur Haïlé Sélassié

En France comme en Allemagne, quelques spécialistes se sont intéressés de près à ces pierres levées, qui semblent représenter tantôt des sexes d’hommes, tantôt des personnages stylisés. Dès 1931, le moine capucin François Azaïs (1870-1966) révèle à la communauté internationale l’existence de ces champs de stèles, pour la plupart abandonnées à la végétation. Œuvrant pour la mission catholique d’Éthiopie entre 1897 et 1910, formé à l’archéologie en Thrace pendant la Première Guerre mondiale, « il est recruté, en 1926, par le Ras Tafari, le futur empereur Haïlé Sélassié Ier, pour engager des recherches dans le Sud et concourir à la création d’un institut d’archéologie associé à un musée national », explique Aurélien Pierre, le directeur du Musée Fenaille.

Entre 1925 et 1926, François Azaïs prospecte dans le sud de l’Éthiopie, organise plusieurs missions de reconnaissance et identifie, grâce aux populations locales, une trentaine de sites à stèles phalliques et un site à stèles anthropomorphes – des « découvertes » qu’il évoque dans son livre Cinq années de recherches archéologiques en Éthiopie, paru en 1931.

Cet ouvrage frappe l’imagination de l’ethnologue allemand Adolf Ellegard Jensen (1899-1965), qui, trois ans plus tard, organise une exploration de l’escarpement oriental du lac Abaya. En l’espace de huit mois, lui et ses compagnons visiteront dix-neuf sites à stèles au sud de Dilla, enquêtant tout particulièrement sur deux sites à stèles anthropomorphes : Buqqisa Kofale et Tuto Fela – qui demeure le plus célèbre. Membre de la mission, l’artiste Alf Bayrle en rapporte de nombreux dessins, visibles à l’exposition du Musée Fenaille.

Le site de Tuto Fela

Depuis, régulièrement, des archéologues éthiopiens et français (Francis Anfray en 1965, Roger Joussaume dans les années 2000, Anne-Lise Goujon et Vincent Ard aujourd’hui, avec la mission Abaya) se rendent sur place pour essayer d’en savoir plus. Mais la partie est loin d’être gagnée.

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« On ne connaît pas les civilisations qui ont élevé ces stèles, explique Vincent Ard, commissaire scientifique de l’exposition et chargé de recherche au CNRS. On ne sait pas à quoi ressemblaient les sociétés qui ont construit ces sites, mais elles étaient sans doute assez importantes, car déplacer ces énormes pierres suppose que l’on dispose d’une certaine technologie et d’une véritable capacité de mobilisation. Comme il n’y a pas de sources écrites, notre seul espoir repose sur l’archéologie. »

L’on sait, pour l’heure, que les pierres ont été érigées entre le premier millénaire de notre ère et le XVIsiècle. Les plus anciennes sont les stèles phalliques, souvent réemployées par la suite pour la taille des stèles anthropomorphes. La plupart d’entre elles ont été taillées dans l’ignimbrite, une roche formée à partir des débris volcaniques d’une nuée ardente. Les plus grosses sont, a priori, issues de larges blocs érodés par le passage de l’eau ; les plus élancées, de gisements en prisme – mais les chercheurs n’ont pas encore vraiment mis au jour les carrières où elles ont pu être prélevées.

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Au-delà de l’Éthiopie chrétienne

Les premières, qui datent du IIe au VIIIsiècles, ont vraisemblablement été taillées avec des pics, tandis que l’utilisation de l’herminette a permis la réalisation des secondes, entre le XIIe et le XVIe siècles, ces dernières marquant souvent l’emplacement de sépultures. Tous les sites (Tuto Fela, Chelba Tutiti, Soditi, Sakaro Sodo, Sede Mercato…) sont implantés sur des éléments topographiques remarquables : promontoire, ligne de crête, bordure de pente.

L’approfondissement des recherches permettra d’en savoir plus sur l’Éthiopie médiévale – ce à quoi s’attèle la mission française Abaya, avec une nouvelle génération d’archéologues éthiopiens. Le temps presse : déplacées, volées, réutilisées par les populations locales, les stèles sont également abîmées par les intempéries. Si certains de ces sites sont protégés, la plupart d’entre eux suscitent moins l’intérêt que ceux, plus célèbres, qui sont directement liés à l’histoire chrétienne de l’Éthiopie, comme Lalibela ou Aksoum.

Localement, la connaissance de ces sites mégalithiques semble s’être perdue. Jensen avait conscience, en menant des fouilles sur les lieux, de participer à leur désacralisation : « La raison froide arrache les esprits des morts à leur paix, d’étranges étrangers lèvent le voile sur un secret autrefois bien gardé. » C’est désormais à l’Éthiopie de lever le voile sur sa propre histoire, qui n’est pas seulement chrétienne.

« Éthiopie, la vallée des stèles », Musée Fenaille, à Rodez, jusqu’au 3 novembre 2024.

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