Faire peur pour gagner, une fausse bonne idée

En période de campagne électorale, pour discréditer leurs adversaires au pouvoir, les candidats agitent souvent le spectre de la banqueroute de l’État. Une rhétorique de la faillite dangereuse, car elle favorise le vote en faveur des extrêmes, selon Fouad Laroui.

Une affiche laissée par des manifestants sur la vitrine d’un magasin vandalisé, à Caen (France), le 16 juin 2024. © Artur Widak / NurPhoto via AFP

Une affiche laissée par des manifestants sur la vitrine d’un magasin vandalisé, à Caen (France), le 16 juin 2024. © Artur Widak / NurPhoto via AFP

Fouad Laroui © DR

Publié le 23 juin 2024 Lecture : 2 minutes.

Cette année 2024 est riche en élections, un peu partout dans le monde, de la plus grande des démocraties, l’Inde, à la plus petite, Saint-Marin, où le peuple a voté le 9 juin dernier – on n’en a parlé nulle part, comme si les Saints-Marinais vivaient sur une autre planète.

Oublions les élections qui ne sont que des simulacres. L’exemple indépassable en est la consultation populaire qui donna jadis un nouveau mandat à Enver Hoxha, candidat unique à la direction de la République d’Albanie, par plus d’un million de voix contre… sept – exactement sept voix de distraits ou de dyslexiques.

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Le spectre de la dette

Intéressons-nous plutôt aux « vraies » élections, pluralistes, où les candidats disposent d’une réelle liberté de parole. Et c’est là où le bât blesse. Cette liberté de parole n’a rien à voir, malheureusement, avec le parler-vrai. Il ne s’agit même pas de Trump et de ses alliés qui ont fait du mensonge (les « faits alternatifs ») et de la diffamation l’alpha et l’oméga de leur rhétorique. C’est affligeant, mais c’est tellement gros que ça ne passe que pour les microcéphales qui les soutiennent. Plus pernicieux est, me semble-t-il, la tendance qu’ont des candidats a priori plus sérieux que les trumpistes à noircir le tableau qu’ils dressent de leur propre pays. « La situation est catastrophique… » est sans doute la phrase qui revient le plus souvent dans les débats.

En septembre 2007, au cours de son premier déplacement officiel, le Premier ministre français, François Fillon, avait déclaré, pour « enfoncer » ses prédécesseurs : « Je suis à la tête d’un État en situation de faillite. » La dette publique représentait alors 65 % du PIB ; lorsque Fillon quitta le pouvoir, elle avait grimpé à 91,7 %… Y a-t-il un mot plus fort que « faillite » ? « Banqueroute », peut-être ? Sauf que la France ne baissa pas le rideau et continua à payer ses fonctionnaires et à honorer ses traites…

Aujourd’hui, on en est toujours là. À en croire les déclarations de certains candidats, les Pays-Bas sont en déconfiture totale, la France est en faillite – une fois de plus –, le Royaume-Uni est devenu un pays du tiers-monde où les gens ont faim et ne peuvent se faire soigner, etc.

On a tout essayé

Je me suis donc amusé à regarder pour chacun de ces pays les statistiques officielles, que personne ne conteste, concernant le niveau de vie moyen des gens. En France, depuis Giscard, le niveau de vie réel des habitants a doublé. Même chose pour les Pays-Bas. Même chose pour le Royaume-Uni.

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De faillite en fiasco, de déconfiture en désastre, de débâcle en dépôt de bilan, le niveau de vie d’un Parisien, d’un Hollandais ou d’un rosbif a donc crû, bon an mal an, pour atteindre exactement le double de celui de son géniteur lorsque celui-ci avait son âge. Il est vrai qu’on ne se compare jamais avec son-père-quand-il-avait-son-âge (ce personnage en sépia s’est perdu dans les brumes du passé) mais avec son-voisin-Benoît ou Bryan ou Hans. Il a le nouvel iPhone, j’ai celui de l’an dernier, je suis donc pauvre, c’est un scandale, à bas le gouvernement !

Cette rhétorique de la faillite est dangereuse, parce qu’on entend de plus en plus cette antienne : « Je vais voter pour l’extrême-droite (ou l’extrême-gauche) parce qu’on a essayé tous les autres et ça n’a pas marché. »

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Eh bien, non. Les chiffres montrent le contraire. En réalité, sans les extrêmes, ça a marché.

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