Beyrouth réclame à la France la libération de Georges Ibrahim Abdallah
Alors que le Liban s’apprête à extrader un narcotrafiquant vers la France, Beyrouth exige à nouveau, en échange, la libération du militant communiste libanais emprisonné dans le pays depuis quarante ans. Les détails d’un vieux dossier qui ne cesse de revenir dans l’actualité.
Le 14 juin dernier, le Conseil des ministres libanais, présidé par Najib Mikati, a décidé d’extrader vers la France Abdel Karim Touil. L’homme, de nationalité française, est un important narcotrafiquant condamné par contumace dans l’Hexagone en octobre 2023 pour sa participation à l’importation d’une cargaison de 720 kilos de cocaïne. Surnommé « le professeur », il avait été arrêté à l’aéroport de Beyrouth en mars 2023, alors que la France avait émis un mandat d’arrêt international à son encontre via une notice rouge d’Interpol.
Auparavant, Touil avait déjà été arrêté fin octobre 2022 à Dubaï, avant d’être relâché en janvier car les autorités françaises n’avaient pas réalisé sa demande d’extradition dans les temps. Au Liban, ce baron de la drogue lyonnais a bénéficié de la liberté provisoire, assortie toutefois d’un contrôle judiciaire lui interdisant de quitter le territoire.
En parallèle de cette extradition, et sans lier les deux dossiers, Najib Mikati – Premier ministre par intérim en raison de l’incapacité à s’entendre, en 2021, du président Michel Aoun et de l’ancien chef du gouvernement Saad Hariri sur la composition de l’équipe ministérielle – a de nouveau demandé aux autorités françaises de libérer Georges Ibrahim Abdallah, le plus ancien prisonnier politique de France, voire d’Europe.
Emprisonné en France depuis 1984
Cette année, le militant communiste libanais a « enduré sa quarantième année d’incarcération », rappelle une tribune collective publiée dans les colonnes du quotidien français L’Humanité, le 13 juin dernier. Arrêté à Lyon et emprisonné en 1984, Georges Ibrahim Abdallah a été condamné à la prison à perpétuité en 1987 pour complicité dans les assassinats de deux diplomates, l’un américain, l’autre israélien.
Au cours de son procès, l’accusé a nié avoir participé aux actions pour lesquelles il a été condamné. Mais il s’est déclaré « solidaire » des Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL). Cette organisation armée se réclamant du marxisme, et dont Georges Ibrahim Abdallah a été l’un des cofondateurs en 1979, a notamment revendiqué les assassinats de l’attaché militaire de l’ambassade des États-Unis à Paris, Charles Ray, et d’un secrétaire de l’ambassade d’Israël, Yacov Barsimentov, membre du Mossad – tous deux commis à Paris en 1982.
Cette année-là, avec la bénédiction des États-Unis, Israël avait attaqué le Liban pour tenter de neutraliser l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et le leader de la résistance palestinienne, Yasser Arafat. « Aux yeux des FARL, les deux assassinats commis à Paris constituaient un acte de résistance armée à une agression militaire », écrit à ce propos le journaliste Pierre Carles dans Le Monde diplomatique.
Neuf demandes de libération refusées
Quarante ans plus tard, rien n’a changé (ou presque). Le 7 octobre 2023, l’organisation terroriste du Hamas a commis de terribles attaques en Israël et pris en otage près de 252 civils. Depuis, le gouvernement israélien pilonne la bande de Gaza, tuant au moins 37 000 Palestiniens, et se voit accusé de génocide devant la plus haute juridiction internationale.
Partout dans le monde, de nombreux militants de la cause palestinienne considèrent le Hamas comme un mouvement de « résistance armée » contre l’occupation israélienne… et scandent le nom de Georges Abdallah dans les manifestations. L’histoire du plus ancien prisonnier de France, aujourd’hui âgé de 73 ans, est donc plus que jamais d’actualité. D’autant plus que, juridiquement, cet homme a achevé sa peine incompressible en 1999. Il est donc théoriquement « libérable » depuis vingt-cinq ans. Et pourtant, ses neuf demandes de libération conditionnelle ont toutes été refusées.
La justice accepte la libération, Manuel Valls la refuse
En visite officielle à Paris, le 9 février 2012, Najib Mikati – alors Premier ministre sous la présidence de Michel Sleiman – exigeait déjà la libération de Georges Abdallah, qu’il qualifiait de « prisonnier politique ».
Cette même année, la huitième demande de libération conditionnelle de ce dernier reçoit une réponse favorable du juge d’application des peines, en novembre. Réponse confirmée quelques semaines plus tard par la Cour d’appel.
Il faut encore toutefois que le ministre de l’Intérieur français signe un arrêté d’expulsion, sans quoi le détenu ne peut pas être libéré. À l’époque, c’est Manuel Valls qui est en poste Place Beauvau et le 14 janvier 2013, il refuse de signer l’arrêté. La raison de ce refus français ? Probablement une intervention de l’administration américaine. Notamment celle de Hillary Clinton, alors secrétaire d’État du président Barack Obama, qui voit d’un très mauvais œil cette libération.
En 2016, après sa neuvième demande, c’est cette fois-ci la Cour de assation qui refuse la liberté conditionnelle de Georges Abdallah. Quant à Emmanuel Macron, interpellé sur le sujet lors de sa première visite officielle en Tunisie, le 1er février 2018, il a assuré tout ignorer du dossier et du protagoniste. Depuis, Georges Abdallah n’a plus effectué de démarches pour tenter d’obtenir sa libération. Et la grâce présidentielle ne semble pas à l’ordre du jour.
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