Le colonel S. J. Malan, directeur de l’école de police pour les Noirs d’Hamanskraal,  en Afrique du Sud, se tient debout devant des élèves stagiaires, en 1978. © A.Abbas / Magnum Photos.
Le colonel S. J. Malan, directeur de l’école de police pour les Noirs d’Hamanskraal, en Afrique du Sud, se tient debout devant des élèves stagiaires, en 1978. © A.Abbas / Magnum Photos.

Photographie : 1978, ségrégation et haine raciale en Afrique du Sud sous le regard d’Abbas

Chaque semaine en juillet et en août, Jeune Afrique vous présente une photographie iconique. Aujourd’hui, l’école de police d’Hammanskraal, en plein apartheid, vue par le photographe iranien.
NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 27 juillet 2024 Lecture : 3 minutes.

Nelson Mandela entouré de photographes dans sa maison de Soweto, le 15 février 1990, à Johannesburg. © Georges MERILLON/GAMMA-RAPHO.
Issu de la série

Cent ans d’Afrique en huit photos symboliques

Jeune Afrique vous propose, tout au long de l’été, de prendre chaque samedi le temps de décrypter une image iconique de l’histoire du continent.

Sommaire

CENT ANS D’AFRIQUE EN HUIT PHOTOS SYMBOLIQUES (4/8) – En 1978, le photographe iranien Abbas a 34 ans. Membre de Sipa Press de 1971 à 1973, il a rejoint l’agence Gamma en 1974 et y restera jusqu’en 1980, avant d’entrer chez Magnum. Dans les années 1970, l’enfant de Khash, dans le Baloutchistan iranien, parcourt le monde pour couvrir les conflits politiques et sociaux.

En 1978, il réalise un essai photographique sur l’apartheid, en Afrique du Sud. Depuis 1948, le pays met en place une politique raciste de « développement séparé ». La ségrégation et la haine raciale règnent sur le pays qu’Abbas parcourt avec, pour seule arme, son appareil photo.

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Dans une école de police pour noirs d’Hammanskraal, au nord de Pretoria, il assiste à l’entraînement des jeunes recrues. C’est là qu’il réalise cette image, condensé brutal d’un monde où les Blancs imposent une domination sans partage sur la majorité noire.

Une image qui rappelle la traite négrière

Au premier plan, photographié en plongée, l’instructeur, qui est aussi le directeur de l’école de police, se tient raide dans son uniforme ajusté au millimètre. Calé sous le bras gauche, un « stick » – sorte de matraque dont on peut deviner l’usage terrible. Sous la casquette plate, le regard de l’homme est caché par des lunettes à montures épaisses – il est à peu près le seul dont on ne distingue pas les yeux – et son visage s’orne d’une moustache rappelant celle du caudillo espagnol Franco.

Derrière lui, des dizaines de jeunes hommes, en short et chaussures blanches, torse nu, crâne rasé, dont les regards expriment quantité d’émotions différentes : défiance, peur, colère, inquiétude… Tout l’apartheid est ici résumé : la domination d’un seul sur la masse, le dénuement et la mise au pas réglé des corps. L’image n’est pas sans rappeler la cale du navire négrier où des centaines d’êtres humains étaient entassés comme de vulgaires marchandises pour traverser l’atlantique.

Colonel Stéphanus Jacobus Malan

L’histoire, paradoxalement, n’a pas retenu les noms des recrues de l’école de police s’alignant derrière leur directeur. Lui, en revanche, a laissé son nom à la postérité : il était alors le colonel Stéphanus Jacobus Malan.

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Bien des années après avoir pris cette photo, Abbas a retrouvé le gradé en Afrique du Sud. « En 1999, j’ai revu le directeur de l’école de police, cette fois dans la pension de famille qu’il dirigeait avec sa famille à Stellenbosch, racontait le photographe. Ce n’est pas le colonel avec son uniforme et son bâton que j’ai trouvé. C’est le général à la retraite Stéphanus Jacobus Malan. L’homme dont le visage était devenu un symbole iconique de l’apartheid était un être affable, courtois, d’une exquise hospitalité. La responsabilité morale du photographe ? Ce n’est pas l’homme que j’ai photographié en 1978, mais l’uniforme personnifiant le régime d’apartheid. »

Le pouvoir de l’image

Dans le magazine Polka N°42, Abbas revenait sur l’histoire de cette image en ces termes : « Les Sud-Africains, à cette époque, ne me connaissaient pas. J’étais allé là-bas en tant que photographe non pas international, mais iranien. Après qu’ils ont vu l’image publiée dans le monde entier, quand un autre reporter de mon agence d’alors, Gamma, est venu chercher un visa, l’ambassadeur – ou le consul – aurait raconté que ce cliché avait fait plus de mal au régime que tous ses adversaires réunis. » Et d’ajouter : « Pour moi, c’était le plus beau des compliments. »

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L’apartheid est tombé au début des années 1990, Abbas est mort en 2018. En 2023, cette photo faisait la Une de l’album de Reporters sans frontières (RSF), 100 photos pour la liberté de la presse.

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