Ben Bella, Arafat, GIA, attentats de 1995 : la DST ouvre ses dossiers algériens

Trois anciens responsables de la Direction de la surveillance du territoire révèlent, dans un livre, les coulisses et les secrets des affaires sensibles traitées par l’ex-contre-espionnage français en Algérie et en Europe.

Arrestation de membres du GIA, à Bruxelles, le 5 mars 1998. Une partie d’entre eux s’étaient réfugiés en Belgique après les attentats commis en France en 1995. © ISOPRESS SENEPART/IS/SIPA

Arrestation de membres du GIA, à Bruxelles, le 5 mars 1998. Une partie d’entre eux s’étaient réfugiés en Belgique après les attentats commis en France en 1995. © ISOPRESS SENEPART/IS/SIPA

FARID-ALILAT_2024

Publié le 21 juin 2024 Lecture : 7 minutes.

Quand trois responsables de la DST (Direction de la surveillance du territoire) se mettent à table pour raconter les coulisses de cette institution du renseignement, cela donne une plongée dans les dossiers sensibles et explosifs de la Ve République française au cours des sept dernières décennies.

La guerre que mènent les services de renseignements contre le terrorisme sous toutes ses formes est par définition secrète, confidentielle. Une guerre de l’ombre. Mais il arrive que la DST – qui a été dissoute en 2008 pour être remplacée par la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) – autorise ses anciens agents à lever un coin du voile qui entoure les vieilles affaires. Dont certaines ont pour champ de bataille la France, bien sûr, mais également l’Algérie, la Libye, le Maroc, le Soudan ou encore d’autres pays du Moyen-Orient.

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Jean-François Clair, Michel Guérin et Louis Caprioli ont été inspecteurs généraux honoraires à la police nationale et anciens responsables de la lutte contre le terrorisme à l’ex-DST. Dans le livre La DST sur le front de la guerre contre le terrorisme, qui vient de paraître chez Mareuil Éditions, ils racontent l’histoire de cette agence, et notamment ses actions liées à l’Algérie, du début de l’insurrection armée de 1954 jusqu’à la décennie noire qui a fait près de 100 000 victimes.

Le premier épisode évoqué ramène le lecteur en octobre 1956. L’avion qui transporte, du Maroc vers la Tunisie, cinq dirigeants du Front de libération nationale (FLN), Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf et Mustapha Lacheraf, est détourné par l’armée française à Alger. Les cinq hommes, qui voyagent avec des passeports égyptiens, sont alors conduits dans les locaux de la DST à Bouzareah, sur les hauteurs d’Alger, pour y être interrogés par les agents des services de renseignement.

Tandis que ces célèbres prisonniers sont auditionnés séparément par deux enquêteurs, d’autres policiers sont chargés d’éplucher les 12 kilos de documents retrouvés à bord de l’avion arraisonné. L’examen de ces documents permet à la DST de recueillir des preuves de « collusions financières » entre Ben Bella et Fathi El Dib, chef des services spéciaux égyptiens. Maître espion et homme des basses besognes de Nasser, El Dib aura d’ailleurs une influence remarquable sur Ben Bella jusqu’à sa destitution, lors du coup d’État fomenté contre lui le 19 juin 1965 par le colonel Houari Boumediene.

Ben M’Hidi aux mains de Bigeard et d’Aussaresses

La deuxième anecdote remonte à janvier 1957, en plein cœur de la Bataille d’Alger. Les parachutistes du colonel Bigeard, sous le commandement du général Massu, bouclent la Casbah tandis que les agents de la DST traquent Larbi Ben M’Hidi, un des neuf chefs historiques du FLN et chef de la zone autonome d’Alger. Par les aveux d’un agent de liaison, les limiers de la DST parviennent à localiser la cache de Ben M’Hidi, dans un appartement de l’avenue Claude-Debussy à Alger, où il sera arrêté le 23 février par des paras.

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« Les archives découvertes à cette occasion permirent, entre autres, de trouver une liste complète de fonctionnaires métropolitains de la Surveillance du territoire en Algérie », écrivent les auteurs. Le responsable de cette fuite, un employé musulman de la préfecture d’Alger, sera arrêté peu après. Interrogé pendant plusieurs jours par le colonel Bigeard, Ben M’Hidi est livré, dans la nuit du 3 au 4 mars, aux hommes du commandant Paul Aussaresses. Conduit dans une ferme de la Mitidja, il sera pendu. Ses bourreaux s’y prennent à deux reprises car la première corde se casse.

Mars 1962, ensuite. La membres de la délégation du FLN conduite par Krim Belkacem entament la phase finale des négociations avec leurs homologues français, qui aboutiront aux accords d’Évian et au cessez-le-feu du 19 mars. La DST conduit alors l’une de ses dernières missions en Algérie. Celle-ci vise les réseaux de soutien en charge de transporter des fonds qui servent au FLN pour financer la guerre en Algérie et en Métropole. Une grande partie de la collecte de cet argent est assurée par la Fédération de France du FLN. Les recettes mensuelles, évaluées à l’époque par la DST, sont de 500 millions de francs. Les différentes opérations menées en France et en Algérie ont permis de mettre à jour les filières d’acheminement qui transitent par les pays voisins en direction de l’Algérie. Plus d’un milliard de francs ont été saisis.

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Auparavant, la DST a démantelé des réseaux importants au service du FLN, les fameux « porteurs de valises ». Il s’agit notamment des réseaux Jeanson, Curiel et Dabezies. Durant la guerre d’Algérie, la DST disposait de brigades à Alger, Constantine, Oran et Béchar, chacune disposant d’un centre d’interception radio. Si les services de police et de renseignements généraux dépendaient d’Alger, la DST recevait ordres et instructions de la maison-mère, à Paris. Laquelle avait créé un service de documentation totalement dédié au affaires algériennes. La DST quitte l’Algérie le 1er mars 1962.

La traque du groupe du « colonel Hawari »

En février 1979, c’est la question palestinienne qui se retrouve au cœur des préoccupations. Le leader palestinien Yasser Arafat met en place un groupe d’opérations spéciales, dont il confie la direction au colonel Abdallah Abd al-Hamid Labib, alias « colonel Hawari », dont il est proche depuis le début des années 1970. Entre 1985 et 1986, ce groupe frappe des intérêts syriens et libyens dans plusieurs villes en Europe. Pour la DST, il n’est pas possible de laisser le groupe du colonel Hawari opérer en France ou de laisser un réseau clandestin du mouvement Fatah s’y installer.

Début 1987, un service étranger informe les Français que deux libanais liés au groupe Hawari se sont bien implantés en France. La DST les surveille et les met sur écoute. Le mercredi 4 mars 1987, la DST investit un luxueux appartement du 16e arrondissement de Paris, dans lequel on découvre des armes et des explosifs. Un des occupants, Ziad Hachache, est arrêté et condamné à cinq ans de prison. Le colonel Hawari écope de dix ans de détention par contumace. Entre temps, celui-ci s’est installé à Alger, où il a trouvé refuge.

Grâce aux bonnes relations entre les services français et algériens, deux émissaires de la DST se rendent en Algérie pour faire passer un message : Paris ne tolère pas que le groupe Hawari opère en France. Le colonel, lui, semble surtout intéressé par le fait de récupérer l’un de ses comptes en Suisse, que la justice française a fait bloquer dans le cadre de la procédure judiciaire. Il décède en 1991 dans un accident de voiture survenu à la frontière entre l’Irak et la Jordanie.

Ali Touchent, insaisissable cerveau des attentats de 1995

Le dernier épisode, par ordre chronologique, se déroule en novembre 1993, en pleine décennie noire. Sur la base de renseignements fournis par la DST et les Renseignements généraux, la police française déclenche l’opération « Chrysanthème » contre une soixantaine d’individus soupçonnés d’avoir des liens directs avec les groupes islamiques armés en Algérie. Parmi les personnes visées par ce coup de filet et qui ont réussi à s’échapper figure un certain Ali Touchent.

Réfugié en Belgique, il est désigné, quelques mois plus tard, émir du GIA en Europe. Ses premières missions consistent à recruter des jeunes pour monter des cellules opérationnelles et commettre des attentats en France. En dépit de la traque dont il faisait l’objet de la part de la DST et des autres services, Touchent échappe à tous les radars. À l’hiver 1995, son nom réapparaît en Belgique, lorsque les services secrets algériens informent la DST de l’existence dans ce pays d’un point de chute que fréquentent des membres du GIA.

Le 1er mars, une opération est donc menée par la police belge contre un réseau logistique du GIA animé par l’Algérien Ahmed Zaoui, qui hébergeait Ali Touchent. Encore une fois, celui-ci échappe au coup de filet. Quelques mois plus tard, il sera considéré comme le cerveau des attentats qui frappent la France en 1995. Déjouant tous les systèmes de surveillance, Ali Touchent rentre en 1997 à Alger pour s’y réfugier. Le 23 mai, il est repéré dans un petit hôtel de la rue Tanger, rue populaire et populeuse d’Alger. Il est abattu par les services de sécurité. Il faudra huit mois pour procéder à son identification.

Agent triple ?

Pendant longtemps, certains journalistes et spécialistes de l’islamisme algérien ont soupçonné Ali Touchent d’être un agent triple, au service à la fois du GIA, de la DST et des services algériens. La question revient sur le devant de la scène en 2002, lors du procès, à Paris, des attentats de 1995, où l’ombre de Touchent a plané sur les débats.

Jean-François Clair, alors numéro 2 de la DST, est appelé à la barre pour témoigner. « Cela ne tient pas debout », répond-t-il à la question de savoir si Ali Touchent était une taupe. « À supposer qu’Ali Touchent ait été notre informateur, vous imaginez qu’on aurait laissé faire des attentats après Saint-Michel contre nos intérêts ? On a une déontologie dans ce métier, explique l’agent. On protège nos sources, mais pas à ce point. Ali Touchent n’a pas été notre informateur. Nous avons une certaine déontologie, nous sommes là pour lutter contre le terrorisme. »

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