Mouss et Hakim : « En France, la parole raciste a été libérée »

L’ACTU VUE PAR – Issus de l’immigration algérienne, les anciens membres du groupe français Zebda appellent à un sursaut citoyen face à la montée de l’extrême droite. Rencontre.

Mustapha (à gauche) et Hakim Amokrane (à droite), les chanteurs de Zebda. Mustapha (à gauche) et Hakim Amokrane (à droite), les chanteurs de Zebda.
 © Fred Scheiber/AFP

Mustapha (à gauche) et Hakim Amokrane (à droite), les chanteurs de Zebda. Mustapha (à gauche) et Hakim Amokrane (à droite), les chanteurs de Zebda. © Fred Scheiber/AFP

Publié le 22 juin 2024 Lecture : 5 minutes.

Mustapha et Hakim Amokrane, dits Mouss et Hakim, faisaient partie du groupe Zebda, qu’ils ont formé notamment avec Magyd Cherfi en 1985. Connu pour le tube « Tomber la chemise », ils se sont aussi fait remarquer avec la chanson « Le Bruit et l’odeur » (1995), qui reprenait un discours prononcé en 1991 par l’ancien président de la République française Jacques Chirac et dénoncé comme raciste.

Le nom du groupe, Zebda, renvoyait à un mot arabe signifiant « beurre » — en référence au qualificatif « beur » dont étaient affublés les personnes originaire d’Afrique du Nord dans l’Hexagone. Mouss et Hakim se produisaient récemment au festival Rio loco, de Toulouse, dans le sud de la France, où Jeune Afrique les a rencontrés, alors que les idées d’extrême droite progressent.

la suite après cette publicité

Jeune Afrique : Vous avez dévoilé au festival Rio Loco, chez vous à Toulouse, un nouveau spectacle inspiré par votre histoire d’immigrés algériens.

Mustapha Amokrane : Notre répertoire présente des chansons de l’immigration algérienne, avec la dimension affective de la transmission de ces musiques qu’on écoutait enfants, chez nous, et qui ont accompagné nos parents dans leur vie d’exilés en France. Des chansons composées par des gens qui avaient dans l’idée de se construire un avenir meilleur, ce qui nous paraît légitime. Artistes et musiciens transmettaient par ce biais leurs sentiments sur l’exil, avec des chansons imprégnées de mélancolie, de nostalgie, mais aussi de joie et même de revendications, avec Slimane Azem notamment. La nouveauté, c’est que nous accueillons maintenant sur scène un pendant féminin à ce répertoire, avec le groupe Les Héritières (Souad Asla, Nawel ben Kraiem et Cheikha Hajla) et leur hommage à Cheikha Remitti, qui vécut à Paris, et l’autrice-compositrice Karimouche.

Vous vous êtes également intéressés aux chansons de lutte, et on entend toujours votre tube Motivé-e-s dans les manifestations.

la suite après cette publicité

Hakim Amokrane : La lutte est au cœur de notre vie, surtout dans la période que nous vivons en ce moment. Nous sommes des citoyens avant d’être des musiciens, des citoyens engagés en raison de notre histoire familiale. Forcément, nous souhaitons que notre musique ait du sens. Sur scène, la musique est un moment de fête, de communion, mais au jour le jour, c’est aussi une quête de sens, d’égalité.

M. A. : Avec toute l’humilité possible, parce qu’on a pas les réponses ou les solutions aux problèmes que peuvent rencontrer les gens, on essaie en tant qu’acteurs culturels de participer à leur émancipation, d’encourager leur capacité à prendre la parole, leur volonté d’exprimer leur ressenti ou de faire parler leur expertise. C’est le sens du travail que nous menons dans les quartiers de Toulouse, en tant qu’artistes et militants associatifs, pour développer la participation citoyenne, interroger la démocratie.

Les idées rétrogrades sur l’immigration dictent la ligne éditoriale de certains médias.

Mustapha Amokrane
la suite après cette publicité

Le débat politique est parfois délétère.

H. A. : C’est le moins que l’on puisse dire ! La parole raciste a été libérée, avec des éléments de langage répétés. Nous moquions avec Zebda « le bruit et l’odeur », la fameuse phrase de Jacques Chirac, mais aujourd’hui on pourrait répéter ce genre de titres à l’envi tant la parole raciste est banalisée. Alors qu’en 1995, elle restait très exceptionnelle, marginalisée.

M. A. : Nos valeurs politiques sont plutôt anticapitalistes, nous sommes pour la solidarité, le service public, cette idée que le patrimoine devrait participer à la redistribution des richesses. Aujourd’hui, les idées rétrogrades sur l’immigration dictent la ligne éditoriale politique de certains médias, liés au grand capital, et la diversité des opinions est menacée. Mais nous pensons que la richesse du débat ne se limite pas aux plateaux de télévision, elle est partout… On est dans un festival qui prône le dialogue, la rencontre et la diversité depuis près de trente ans, et on constate un vrai décalage entre l’image du débat public en France et la réalité du terrain, qui n’est pas dénuée de problèmes, mais qui n’est pas aussi clivante que ce que l’on veut nous montrer. On espère que l’inquiétude sur l’avenir politique de ce pays puisse réveiller une certaine forme d’engagement, créer une réaction dans les années qui viennent.

Vous prônez un récit inclusif face au repli sur soi.

M. A. : Oui, il faut prendre la parole pour que le récit national ne nous efface pas, qu’il nous intègre, nous Maghrébins et Africains issus de l’immigration post-coloniale, mais aussi nos amis portugais, italiens, polonais, sans oublier les composantes régionales. Notre identité est plurielle et en mouvement. Nous sommes aussi Toulousains et fiers de chanter des textes inédits de Claude Nougaro…

On ne comprend toujours pas pourquoi il y a aussi peu de candidats issus des minorités, même sur les listes du Nouveau Front populaire

Mustapha Amokrane

Vous vous étiez d’ailleurs engagés politiquement à la suite de l’album Motivé-e-s.

M. A. : Oui, un engagement électoral : notre frère Salah a été tête de liste puis élu au Conseil municipal, ça a été une belle dynamique, un peu à l’avant-garde, bien avant Podemos en Espagne ou d’autres mouvements citoyens. À cette époque, des tas de gens se sont formés à l’engagement politique, on a voulu montrer qu’au-delà d’aller voter, ce qui est très important, chacun peut se présenter aux élections. On a envie d’avoir des gens qui nous ressemblent, ce qui n’est pas encore le cas ou de manière très exceptionnelle… On ne comprend toujours pas pourquoi il y a aussi peu de candidats issus des minorités, même sur les listes du Nouveau Front populaire [coalition électorale des partis de gauche]. Les quartiers populaires sont loin d’être des déserts politiques. Il y a un plafond de verre et des intérêts d’appareil qui priment sur l’intérêt démocratique, et c’est malheureux.

Considérez-vous que vos idées d’engagement citoyen ont perdu du terrain face au Rassemblement national ?

M. A. : Je ne crois pas, notre conviction c’est que notre intégration est inexorable, les esprits rétrogrades ne vont pas nous empêcher de vivre, de nous inventer ici, nous comme d’autres, et quand je vois les nouvelles générations… Nos enfants sont davantage citoyens du monde que nous ne l’étions. Le paysage musical en France par exemple nous ressemble plus aujourd’hui qu’à l’époque où nous avons commencé, à la différence du paysage politique qui a très peu évolué.

Mais il ne faut pas commettre l’erreur de penser que la montée du Rassemblement national est due uniquement au racisme. C’est un socle pour eux, mais ils se nourrissent aussi du rejet des partis traditionnels de gouvernement, de l’échec de la gauche qui aurait pu nous amener plus de diversité et de représentativité, de la question sociale et du pouvoir d’achat, de la destruction du service public.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Magyd Cherfi, éternel indigène

La chanteuse Aya Nakamura, le 13 novembre 2020, à Paris © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Aya Nakamura dans le viseur de l’extrême droite française

La chanteuse et parolière camerounaise Lady Ponce. © DR

Lady Ponce sur le front social

Contenus partenaires