En devenant « zone SAR », la Tunisie fait un pas de plus dans le contrôle des flux migratoires

Nouvelle étape dans ses accords avec l’UE : Tunis intègre un dispositif qui l’oblige à arraisonner les navires transportant des candidats à l’immigration, puis à les ramener sur son sol. L’Italienne Giorgia Meloni a, cette fois encore, pesé de tout son poids dans les négociations.

Migrants subsahariens dans le camp d’El Amra, près de Sfax, en Tunisie, le 23 avril 2024. © Fethi Belaïd/AFP

Migrants subsahariens dans le camp d’El Amra, près de Sfax, en Tunisie, le 23 avril 2024. © Fethi Belaïd/AFP

Publié le 20 juin 2024 Lecture : 3 minutes.

Pour Giorgia Meloni, il y a comme un alignement de planètes. En plus de faire gagner son camp aux élections européennes (6-9 juin), ce qui lui a permis de remporter une victoire personnelle, la présidente du Conseil italien a marqué un point supplémentaire dans la lutte contre le phénomène migratoire et fait de son pays une puissance centrale en Méditerranée.

À force de persévérance et de détermination, elle vient en effet d’obtenir que la Tunisie ait sa propre zone de recherche et de sauvetage en Méditerranée. La création de cette « zone SAR » a été formalisée par le Centre de coordination du secours maritime de Tunis.

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Exit les réticences de Kaïs Saïed

Concrètement, une aire maritime, fixée par les différents partenaires et qui dépasse la limite des eaux territoriales, est placée sous la responsabilité de la Tunisie. Dans cette zone, ce pays est censé mettre ses navires à disposition des opérations de secours, et, surtout, conduire les migrants qui seraient interceptés ou secourus vers un port sûr et proche, situé sur le sol tunisien.

Il y a moins d’un an, Kaïs Saïed, le président tunisien, assurait pourtant que son pays n’avait pas vocation à exercer un contrôle externalisé sur les frontières européennes. Meloni s’est employée, au fil des mois, à faire tomber ces réticences. Le 4 juin 2024, elle a annoncé en Conseil des ministres qu’un groupe de travail italo-tunisien planchait sur l’établissement d’une zone SAR, aux normes de la Convention de Hambourg. Le 19 juin, l’Organisation internationale maritime [institution spécialisée des Nations unies] a officialisé l’accord, passé sous silence par la plupart des médias tunisiens.

Jusqu’ici, la Tunisie s’était toujours refusé à adhérer au principe de zone SAR, estimant qu’il équivalait, pour elle, à une perte de souveraineté. Le chapitre 3 de la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes (Convention SAR), relatif à la coopération entre États, précise en effet qu’ « à moins que les États intéressés n’en décident autrement d’un commun accord, une partie devrait permettre aux unités de sauvetage des autres parties, sous réserve des lois, règles et réglementations nationales applicables, de pénétrer immédiatement dans sa mer territoriale ou sur son territoire ou de les survoler dans le seul but de mener des activités de recherche et de sauvetage ».

Dans les faits, des interventions de cette nature ont déjà cours depuis des mois. Mais leur apposer l’étiquette « zone SAR » permet de mieux les codifier et d’empêcher la Tunisie, si l’envie lui prenait de revenir sur ses accords avec l’UE, de faire volte-face. « En sécurisant l’accord, Giorgia Meloni est arrivée à ses fins », constate un eurodéputé sortant, qui regrette que les 27 aient joué le jeu de la dirigeante italienne en ne tenant pas compte de la fragilité de la Tunisie. « Par le biais de l’Union européenne, elle a jeté ses filets sur le plus septentrional des pays maghrébins, qui se retrouve en mauvaise posture », déplore-t-il.

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Lampedusa interdite aux migrants ?

Certains observateurs relèvent néanmoins que le Conseil d’État italien avait refusé, le 20 juin 2024, l’envoi de six vedettes à la suite d’un recours présenté par des ONG italiennes, qui contestent le bien-fondé du transfert à la Tunisie de ces hors-bords ainsi que le financement (à hauteur de 4,8 millions d’euros) de leurs réparations. Vu de Rome, cependant, l’objectif est clair : faire obligation à la Tunisie de barrer la route de Lampedusa aux candidats à l’immigration.

Concrètement, la tâche ne sera pas simple. Les autorités tunisiennes devront tenir compte des limites des zones SAR italiennes et libyennes. Autant dire qu’imbroglios et polémiques en haute mer sont prévisibles, d’autant que l’UE considère la Libye et la Tunisie comme des « pays sûrs » pour les candidats à l’exil, alors que de nombreuses ONG ont recensé nombre d’exactions commises contre des migrants en Libye.

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En Tunisie aussi, la situation de ces migrants est précaire. Ils sont, notamment, cantonnés dans une sorte de campement sauvage à El Amra, près de Sfax (Centre-Est), sans droits ni existence légale. Depuis la signature, en juillet 2023, d’un Mémorandum d’entente sur un partenariat stratégique et global entre l’UE et la Tunisie, le nombre des migrants qui débarquent en Italie en provenance de Tunisie et de Libye semble effectivement avoir baissé – on parle de 20 000 arrivées au premier trimestre 2024, contre 60 000 en 2023 au cours de la même période. Tunis remplit, semble-t-il, sa part du contrat.

Pourtant, les 900 millions d’euros d’aide européennes prévus dans le cadre du même mémorandum n’ont toujours pas été débloqués, le FMI ayant gelé toutes les aides à Tunis. Giorgia Meloni, bien sûr, s’engage à faire le nécessaire. Mais pour le moment, comme le dit un vieux proverbe italien : « rien que du fumet, point de rôti ».

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