Pourquoi le Rassemblement national ne doit pas parvenir au pouvoir en France
Le Rassemblement national a changé de garde-robe et de style mais pas d’idéologie, estime l’ancienne Première ministre du Sénégal, qui appelle les Français d’ascendance africaine et les binationaux africains-français à lui faire barrage dans les urnes.
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Aminata Touré
Militante des droits humains, ancienne Première ministre et ex-présidente du Conseil économique, social et environnemental.
Publié le 20 juin 2024 Lecture : 4 minutes.
Aux esprits chagrins qui me rétorqueraient : « De quoi te mêles-tu donc ? », ma réponse est simple : « Je me mêle de ce qui me regarde ». En tant que militante des droits humains, j’ai la conviction que la possible arrivée au pouvoir du Rassemblement national en France n’est plus une question franco-française. C’est une question civilisationnelle qui interpelle celles et ceux qui, à travers le monde, continuent à croire à l’amitié et à la solidarité entre les peuples et se battent pour le respect des droits des immigrés, en particulier africains, lesquels polarisent faussement le débat politique dans l’Hexagone.
Rhétorique perverse
Convoquons un instant les statistiques, qui contredisent l’argument, aussi absurde que dangereux, du « grand remplacement », cette thèse raciste qui a fait de la stigmatisation systématique des immigrés le fonds de commerce de l’extrême droite. Selon les statistiques officielles de l’Insee, 7 millions d’immigrés vivaient en France en 2022, soit 10,3 % de la population totale (67,97 millions). Parmi eux, 35 % – soit 2,5 millions – ont acquis la nationalité française. La population étrangère résidant en France s’élevait donc alors à 5,3 millions (7,8 %). Seuls 48,2 % de ces immigrés sont nés en Afrique. Or selon la rhétorique perverse de l’extrême droite, ces 1,2 millions d’étrangers particulièrement ciblés seraient en passe de « remplacer » 67,9 millions de Français. Relayé complaisamment par certains médias, cette construction intellectuelle fantaisiste finit par ancrer dans les esprits la crainte que « le Zambèze envahisse la Corrèze ». Trop d’intellectuels en France, y compris progressistes, ont laissé prospérer cette propagande, souvent accompagnée de stigmatisations publiques à l’encontre des Africains.
Parallèlement, des responsables politiques BCBG, au sein de partis politiques fascisants, comme le Rassemblement national de Marine Le Pen ou Reconquête, d’Eric Zemmour, ont compris l’importance qu’il y avait à adopter un look jeune et moderne pour lisser leur image et se rendre politiquement corrects dans un contexte de crise existentielle née de la reconfiguration des rapports de forces économiques mondiaux, qui inquiète nombre de pays européens naguère dominants.
Exit, le style vieillot de Jean-Marie Le Pen et bonjour les costumes bien coupés et les talons aiguille de ses héritiers et héritières politiques. Et voici qu’une bonne partie de l’électorat français, angoissé par le présent et mortifié par l’avenir, semble prête à basculer : « Et si on les essayait, après tout ! ».
« No pasaran ! »
En attendant de comprendre pourquoi et comment on en est arrivé là, empruntons aux partisans de la Seconde République espagnole en lutte contre le général- dictateur Franco leur fameux cri de ralliement : « No pasaran ! » L’occasion ne doit jamais être donnée au Rassemblement national et à ses satellites de diriger la France, pays de la première Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, adoptée le 26 août 1789, et qui consacre le caractère « naturel, inaliénable et sacré des droits individuels et collectifs ».
Rappelons aussi que c’est à Paris qu’a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies, le 10 décembre 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le Français René Cassin, qui obtiendra le prix Nobel de la Paix en 1968, était alors aux commandes de la rédaction de ce texte – ratifié par la France en 1954 – aux côtés d’Eleanor Roosevelt et Charles Malik.
La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale est quant à elle entrée en vigueur en 1969 et la France l’a ratifié en 1981. L’idéologie du Rassemblement national s’inscrit dans une violation constante de tous ces instruments de droit international ratifiés et parfois initiés par la France. Outre son projet d’instaurer la préférence nationale, Jean-Marie Le Pen, le père de l’extrême droite française moderne, a été plusieurs fois condamné pour « apologie de crimes de guerre et contestations de crimes contre l’humanité », « provocation à la haine, à la discrimination et à la violence raciales », « injures publiques » et « violences ».
La mort, le 1er mai 1995, de Brahim Bouraam, un Marocain de 30 ans agressé par des manifestants en marge d’une marche du Front national et jeté dans la Seine, nous rappelle les moments de terreur que nous, jeunes étudiants africains, vivions en France lorsque l’on annonçait une descente du Groupe Union-Défense (GUD), une organisation estudiantine violente qui se livrait régulièrement à des ratonnades contre des étudiants africains sur les campus universitaires. Certaines figures marquantes du GUD sont aujourd’hui de proches collaborateurs affichés de Marine Le Pen. Le 12 juin, quatre militants d’ultradroite ont été condamnés à des peines allant de six mois de prison avec sursis à sept mois ferme pour leur participation à une agression homophobe à Paris alors qu’ils « fêtaient » la victoire du RN aux élections européennes.
Chaque voix compte !
C’est pourquoi il est un devoir pour tous les militants des droits humains, partout où ils se trouvent, de se mobiliser pour éviter que la France ne connaisse la plus grande régression de son histoire récente. L’extrême droite, au quotidien, piétine la devise de la France : « Liberté, Egalité, Fraternité » ; et son accession au pouvoir ne ferait que charrier son lot de violences racistes, antimusulmanes, antisémites ou sexistes car depuis des décennies, celle-ci a bâti son discours sur la haine, l’exclusion et le racisme.
Malgré les tentatives de dédiabolisation de ses dirigeants, cette idéologie fasciste continue d’immerger l’action politique de l’extrême droite, qui voue une haine particulière aux Africains et aux noirs en général. Son accession au pouvoir consacrerait une rupture totale avec le continent africain, lequel entend plus que jamais se battre pour faire respecter sa souveraineté et imposer à tous le respect en vue d’un partenariat gagnant-gagnant.
Il est tout aussi impératif que tous les Français d’ascendance africaine et les binationaux africains-français aillent voter massivement pour que, à travers des lois fortes qui seraient adoptées par la prochaine Assemblée nationale, cessent en France les propos racistes débités à longueur d’émissions de télévision, les brimades mesquines infligées au quotidien et les discriminations de toutes sortes.
Dans l’immédiat, la lutte contre le racisme passe par une défaite cinglante du Rassemblement national aux prochaines législatives en France. Et chaque voix compte !
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