Les droits de l’homme en Tunisie à l’agenda européen

Saisi par un cabinet d’avocats parisien, Josep Borrell, haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères, a inscrit à l’ordre du jour des discussions des Vingt-Sept, prévues le 24 juin à Luxembourg, le non respect, par Tunis, des droits humains.

Migrants subsahariens dans un camp à Jebiniana (gouvernorat de Sfax), le 24 avril 2024. © Fethi Belaïd/AFP

Migrants subsahariens dans un camp à Jebiniana (gouvernorat de Sfax), le 24 avril 2024. © Fethi Belaïd/AFP

Publié le 21 juin 2024 Lecture : 4 minutes.

Ceux qui s’imaginaient que, pendant la campagne des élections européennes de juin 2024, l’activité des Vingt-Sept tournerait au ralenti ou bien qu’il suffirait à la Tunisie de redoubler de zèle dans la lutte contre le phénomène migratoire en Méditerranée pour gagner les bonnes grâces de l’Europe et faire oublier ses entorses aux principes démocratiques se sont trompés. La question n’a pas été évacuée, bien au contraire.

Le 20 juin, à la dernière minute, Josep Borrell, haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, et, par ailleurs, vice-président de la Commission européenne, a fait inscrire à l’ordre du jour de la réunion du Conseil des Affaires étrangères, prévue le 24 juin à Luxembourg, une discussion sur la situation des droits humains en Tunisie.

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Cette initiative fait suite à un courrier que lui avait adressé le cabinet d’avocats William Bourdon et Associés, agissant, depuis Paris, pour le compte de plusieurs ONG (Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie, Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives, Centre libanais des droits de l’homme, EuroMed Droits).

Dans ce document de onze pages, les avocats parisiens attirent l’attention du chef de la diplomatie européenne sur la détérioration de l’état des libertés publiques en Tunisie depuis le 25 juillet 2021, date à laquelle le président, Kaïs Saïed, s’est arrogé des pouvoirs exorbitants. Le texte recense scrupuleusement les différentes affaires et les différents types de violations : abus sur les migrants, atteintes à la liberté d’expression, entraves à l’accès à une justice équitable, etc.

Son annexés, en guise de rappel, les accords signés entre l’UE et la Tunisie, en particulier le Mémorandum d’entente sur un partenariat stratégique et global (juillet 2023), qui a valeur d’accord international.

La démarche du Cabinet Bourdon permet à Josep Borrell de remettre au centre du débat une question qui lui tenait personnellement à cœur depuis plusieurs mois, d’autant qu’il avait semblé que sa voix était isolée et dissonante, et que son cri d’alarme n’avait guère retenu l’attention des 27 pays membres de l’UE. Cette fois, ces derniers seront bel et bien contraints d’entendre un exposé sur les atteintes aux droits humains qui ont cours sous la présidence de Kaïs Saïed.

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Incidents entre Tunis et l’Europe

Pour l’avocat Vincent Brengarth, chargé de ce dossier, « le fait que le Parlement européen soit en fin de mandat n’empêche pas une continuité institutionnelle, qui permet, justement, d’examiner la situation, alarmante, de la Tunisie ». Au cours de ces derniers mois, la Tunisie avait interprété les inquiétudes qu’avaient exprimé les États-Unis, la France et l’UE comme une tentative d’ingérence dans ses affaires intérieures et comme une atteinte à sa souveraineté. Notamment, en mai 2024, quand une nouvelle vague d’arrestations avait frappé des avocats, des journalistes et d’autres figures de la société civile.

Cette susceptibilité n’est pas nouvelle. En septembre 2023, Tunis avait refusé la visite d’une délégation d’eurodéputés qui souhaitaient rencontrer des personnalités du monde syndical et de l’opposition. L’entrée en vigueur du Mémorandum avait rapidement éclipsé cet incident.

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Depuis, la situation a changé. Les termes du Mémorandum réduisent les marges de manœuvre de Tunis. Mais ce n’est pas l’angle qu’ont choisi les juristes pour aborder le sujet qui sera discuté à Luxembourg. « Le point central est notre certitude que le droit international est à même de repositionner le curseur », commente Vincent Brengarth, qui se réfère à la démarche de la Cour internationale de justice (CIJ) à propos des événements de Gaza, qui pourraient être qualifiés de génocide.

Pour le juriste parisien, « l’assignation rappelle qu’il y a une situation qui requiert que des sanctions soient prises ». Celles qui sont demandées en conclusion de la requête adressée à Josep Borrell sont assez exceptionnelles : conformément aux différents règlements européens, les avocats préconisent l’adoption de mesures restrictives à l’encontre des responsables tunisiens qui enfreignent l’État de droit.

Parmi elles, le gel des avoirs et l’interdiction de voyager pour « les personnes et les entités responsables de violations des droits », dont Kaïs Saïed, le chef de l’État, Kamel Feki, l’ancien ministre de l’Intérieur, Khaled Nouri, son successeur, Leïla Jaffel, la ministre de la Justice, ainsi que tout responsable des forces armées, haut fonctionnaire, magistrat ou député impliqué dans ces entorses aux droits fondamentaux.

La stratégie de Giorgia Meloni

L’adoption de telles mesures mettrait fin à une forme d’impunité et serait assortie d’une interdiction de mettre des fonds à disposition de ces personnes. Il serait également interdit de vendre, de fournir, de transférer ou d’exporter vers la Tunisie des équipements ou une assistance technique susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne. Ultime sanction : les financements que l’UE octroie à la Tunisie pour lutter contre l’immigration clandestine seraient suspendus.

Une mise au ban que l’UE aura sans doute bien du mal à décréter à l’encontre de la Tunisie, protégée de Giorgia Meloni, la présidente du Conseil italien, qui fait de sa petite voisine du sud un terrain d’expérimentation de sa stratégie migratoire. Il n’empêche : la démarche du cabinet Bourdon crée un précédent et contraint les Européens à se défaire d’une certaine complaisance à l’égard des régimes autoritaires de la rive sud de la Méditerranée.

« La responsabilité [des violations des droits humains] n’est pas seulement celle des tyrans mais celle de ceux qui leur donnent les moyens d’exercer leur tyrannie », tacle Vincent Brengarth, qui annonce que d’autres initiatives sont lancées pour que l’UE fasse preuve de davantage de fermeté à l’égard de Tunis.

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