Législatives : qui sont les candidats africains de Le Pen ?
Le phénomène reste marginal, mais un nombre croissant d’électeurs français d’origine maghrébine et subsaharienne succombent aux sirènes de l’extrême droite. Un « glissement » qui se matérialise cette année par l’émergence de candidats sous les couleurs du Rassemblement national et de Reconquête.
Traditionnellement, le vote des électeurs français d’origine maghrébine ou subsaharienne a toujours penché fortement à gauche. Selon un sondage Ifop-JA réalisé avant le premier tour des élections présidentielles de 2022, Jean-Luc Mélenchon – candidat de la France insoumise –, recueillait 36 % des intentions de vote de la part des Français d’origine africaine. Avec même un pic à 38 % des intentions de vote pour les votants originaires d’Afrique du Nord quand, dans le même temps, le leader de la gauche radicale était aussi la personnalité politique numéro un à gauche des sondages prenant en compte l’ensemble du corps électoral, mais avec un score oscillant entre 11 % et 12 %.
Quasiment dix points derrière, Emmanuel Macron – président-candidat – absorbait quant à lui 27 % d’intentions de vote du côté des électeurs d’origine maghrébine ou subsaharienne. En cas de duel entre les deux hommes au second tour, Mélenchon battait Macron d’un cheveu, à 51 % contre 49 %. En 2022, l’abstention était tout de même la grande gagnante puisque 45 % des sondés déclaraient ne « pas être certains d’aller voter ». Le signe d’un certain « malaise » vis-à-vis des dérives xénophobes du débat public, et plus globalement d’une « rupture » entre les citoyens, les élus et la politique.
Pour autant, dans l’enquête citée précédemment, d’autres statistiques créaient la surprise. En effet, 9 % des sondés s’y déclaraient prêts à voter pour Marine Le Pen (Rassemblement national, RN) et 6 % pour Éric Zemmour (Reconquête). Au regard de la population française globale, ces résultats étaient moindres, puisqu’à l’époque la candidate du RN oscillait entre 17 % et 19 % des intentions de vote, et Zemmour entre 11 % et 12 % (intentions qui ne se sont d’ailleurs pas concrétisées).
Surprenant dans la mesure où, dans une enquête menée par l’Ifop pour Jeune Afrique en 2007, le seul candidat d’extrême droite de l’époque, Jean-Marie Le Pen, recueillait péniblement 1 % des intentions de vote chez les électeurs d’origine africaine. La stratégie de dédiabolisation du RN menée par Marine Le Pen depuis des années, « l’institutionnalisation » apparente du parti, le discours en faveur des classes populaires et précaires du pays et les promesses sécuritaires y sont aussi sans doute pour beaucoup. Un reportage réalisé par Le Parisien à Mantes-la-Ville (Yvelines) le 12 juin dernier a d’ailleurs été consacré aux électeurs d’origine maghrébine prêts à voter pour le RN, parti qui a déjà dirigé la mairie de 2014 à 2020.
Des candidats d’origine africaine pour l’extrême droite ?
Lorsqu’on jette un œil à la liste des candidats pour les législatives anticipées du 30 juin et du 7 juillet prochains, elle est totalement raccord avec l’enquête statistique menée par l’Ifop pour JA en 2022. Autrement dit, la grande majorité des candidats d’origine africaine, particulièrement maghrébine, sont campés à gauche (Nouveau Front populaire, France insoumise, EELV, divers gauche), au centre-droit (Renaissance) et dans une certaine mesure chez Les Républicains ou « divers droite ».
Mais lorsqu’on y regarde de plus près, et même si cela reste marginal, l’extrême droite compte elle aussi des candidats d’origine africaine dans ses rangs. Premier fait notable : ces derniers se concentrent quasiment exclusivement en Île-de-France. Le département en tête n’est autre que la très populaire Seine-Saint-Denis – où a lui-même grandi le leader de la liste du RN aux européennes, Jordan Bardella – , avec trois candidats d’origine africaine pour l’extrême droite : Nacéra Salhaoui (6e circonscription) pour le RN, Praince Germain Loubota (10e circonscription) pour Reconquête et Ntela Bardai (8e circonscription), hors parti mais classé « extrême droite » par le ministère de l’Intérieur. À huit jours du premier tour des législatives, cependant, JA n’a trouvé aucune information sur Nacéra Salhaoui et Ntela Bardai. Ni réseaux sociaux, ni déclaration à la presse, ni affiche ou profession de foi.
Le cas Praince Germain Loubota
En revanche, Praince Germain Loubota est déjà un peu plus « connu » de l’opinion publique et de la population d’Aulnay-sous-Bois, sa circonscription. Pour les élections européennes, qui ont eu lieu du 6 au 9 juin dernier et ont conduit Emmanuel Macron à dissoudre l’Assemblée nationale française, Loubota était 62e sur la liste de Reconquête conduite par Marion Maréchal, qui a depuis claqué la porte du parti. Sur le blog local Aulnaycap, le jeune homme, d’origine congolaise, est décrit comme un militant « très actif » et « intrépide » de Reconquête.
Une vidéo diffusée le 2 juin 2022 sur le site d’extrême droite FdeSouche montre le candidat en pleine altercation avec un militant de gauche, qui lui dit : « Zemmour va vous renvoyer dans votre pays ! » Ce à quoi Loubota répond : « Mon pays, c’est la France. » Dans son annonce de candidature aux législatives, publiée ce 16 juin, le candidat – qui cite en préambule le général de Gaulle –, dit notamment : « Notre pays fait face à une heure tragique, plongée dans une fragmentation de son unité nationale par l’immigration de masse et l’aiguillon islamique. » Sur X, il écrit aussi qu’il « ne faut plus rien attendre de l’immigration arabo-islamique et africaine » et parler « d’implantation coloniale en France ».
Les « patriotes » du RN
JA a aussi recensé trois candidats d’origine africaine concourant sous les couleurs du RN. D’abord Mariam Camara et son suppléant René Kimbassa, dans la 1e circonscription des Hauts-de-Seine. D’origine ivoirienne, Mariam Camara a déjà été candidate RN pour les élections législatives de 2022, mais elle n’avait pas été élue. Née à Bédiala, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, elle s’est d’abord établie en Italie, avant de s’installer en France en 2014, où elle a depuis obtenu la nationalité française.
Caissière dans un supermarché, elle a adhéré au RN en 2019, convaincue par les idées de Marine Le Pen sur le pouvoir d’achat. Apparemment très « dynamique » dans le parti, elle s’est rapidement vu proposer de « candidater », dès 2022. « Patriote », elle a notamment déclaré dans un site de presse locale que ses adversaires étaient « les gens de gauche ». Quant à René Kimbassa, son suppléant d’origine congolaise, il occupe le poste de responsable Nord du RN 92 (de la 1e à la 6e circonscription), selon le réseau X.
À Marseille, dans les Bouches-du-Rhône, le RN a investi Arezki Selloum dans la 7e circonscription. D’origine algérienne, ce dernier avait été largement battu au second tour des législatives de 2022 par Sébastien Delogu, la nouvelle coqueluche de LFI, par 6 531 voix contre 11 960. Cet entrepreneur siège également au conseil municipal de la ville. Admirateur de feu Jean-Claude Gaudin – emblématique maire de la cité phocéenne campé à droite –, il a notamment proposé, en 2022, de mettre un terme à « l’immigration sauvage, de masse et anarchique » pour régler les problèmes locaux, notamment le « squat ».
Hanane Mansouri et « l’union de l’extrême droite »
En Isère, dans la 8e circonscription, la fameuse « union des droites » entre le RN et les LR restés fidèles à Éric Ciotti (l’ancien dirigeant du parti de droite, exclu pour avoir prôné une alliance avec le RN et qui soutient quelques candidats estampillés « union de l’extrême droite » par l’Intérieur) est incarnée par la jeune Hanane Mansouri. Âgée de 23 ans, étudiante en droit à Grenoble, ancienne présidente des Jeunes Républicains de l’Isère, Hanane Mansouri est d’origine marocaine.
Dans Le Dauphiné Libéré, elle explique : « J’ai toujours été pour une union des droites fortes pour redresser la France. Certes, c’est un choix un peu plus difficile personnellement par rapport aux personnes qui m’ont soutenue chez LR 38, mais je leur dis qu’on n’a plus le choix aujourd’hui. » Sa candidature a suscité un déferlement de haine mâtinée de racisme sur les réseaux sociaux, où la jeune femme a notamment été traitée « d’Arabe de service », de « beurette » et de « sale serpillère », ce que les médias Bolloré (en faveur d’une union des droites à l’extrême droite) se sont empressés de médiatiser à outrance pour pointer du doigt un supposé « racisme de gauche ». Difficile de laisser passer une aubaine pareille en période de campagne électorale, électrique et électrisante.
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