L’aviation au Maroc : des coucous de la Grande Guerre à la RAM

Ouverture prochaine d’une ligne Casablanca-São Paulo, décision d’Airbus de produire un nombre croissant d’appareils dans le pays d’ici à 2026… Théâtre des exploits des pionniers Saint-Exupéry et Mermoz, fort d’une compagnie nationale puissante, le Maroc est depuis longtemps une terre d’aviation.

Le pilote français Raymond Vanier (à g.) dirige la ligne postale Toulouse-Rabat à bord d’un avion Bréguet 14, pour le compte de la compagnie des Lignes aériennes Latécoère, en 1920. © Keystone-France/Gamma-Rapho

Le pilote français Raymond Vanier (à g.) dirige la ligne postale Toulouse-Rabat à bord d’un avion Bréguet 14, pour le compte de la compagnie des Lignes aériennes Latécoère, en 1920. © Keystone-France/Gamma-Rapho

Publié le 21 juillet 2024 Lecture : 6 minutes.

Le Maroc n’échappe pas à la règle : pour lui comme pour les autres colonies, et même pour la métropole, le décollage de l’aviation a eu lieu durant la Première Guerre mondiale. En mai 1916 précisément, lorsque, à la demande de l’état-major français, le résident général Louis Hubert Lyautey a été obligé de tailler dans ses effectifs pour les envoyer sur le front, en France.

Afin de pallier cette pénurie d’hommes en armes, Lyautey demande qu’on lui envoie deux escadrilles d’avions. Cette douzaine d’appareils, placés sous le commandement du capitaine de La Morlais, sont les premiers aéronefs qui survoleront le ciel marocain. Ils ne chômeront pas : dès novembre 2016, ils font leur première sortie dans le Moyen-Atlas, à Taza, ville dissidente par excellence et qui ne sera pacifiée que dans l’entre-deux-guerres. C’est le nord de cette ville qui a donc le triste privilège de recevoir les premières bombes aériennes qui s’abattent sur le pays.

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L’Aéropostale au Maroc

L’aviation militaire gagne rapidement du terrain. En 1917, elle rallie d’un seul trait Boudnib à Meknès, soit plus de 600 km, à 2 200 m au-dessus des cimes du Moyen-Atlas, sans pistes d’atterrissage, et en bravant bourrasques et courants. Une prouesse. Ce qu’on appelle « l’aviation coloniale » reçoit le renfort de quatre escadrilles. Bien sûr, il ne s’agit pas seulement de bombarder. Les missions de reconnaissance aérienne se multiplient. On photographie le territoire, ce qui contribuera à cartographier un Maroc dont on ne connaît alors pas avec précision la topographie des confins (Rif, Atlas, Sahara). Une section topo-photographique est mise sur pied à la demande du résident général. D’Oujda à Tafilalet, les Français développent l’aviation en édifiant des hangars, en traçant des pistes.

Autour des années 1917-1918, au-delà de ses deux fonctions de base – reconnaissance aérienne et bombardement –, l’aviation militaire sert au transport des blessés et des médicaments. À l’usage stratégique se greffe donc un usage logistique. À la fin de la Grande Guerre en Europe, l’aviation coloniale au Maroc est multifonctionnelle : établissement des plans des villes et des campagnes, transport, surveillance aux quatre coins du protectorat, malgré un nombre d’aéronefs réduit.

Touria Chaoui, pionnière au Maghreb

D’abord militaire, l’aviation se reconvertit dans le civil après 1918. Ce sont les heures héroïques des premiers vols, aventureux et casse-cou. Le royaume, sous le protectorat français, contribuera pleinement à l’essor de l’épopée aérienne. « Le Maroc des années 1920 ne fait rien en petit, il oscille entre les extrêmes et se nourrit de paradoxes. D’un côté, l’Aéropostale de Latécoère relie Toulouse à Casablanca dès 1921, et, de l’autre, le typhus et la disette ressurgissent en 1928. On baigne dans l’ambiance étrange d’un “pays neuf” plaqué sur un vieil empire musulman », souligne l’historien Daniel Rivet.

Affiche publicitaire pour les lignes aériennes de Latècoère reliant la France, l'Espagne et le Maroc. © Leonard de Selva/Bridgeman Image

Affiche publicitaire pour les lignes aériennes de Latècoère reliant la France, l'Espagne et le Maroc. © Leonard de Selva/Bridgeman Image

Le contraste entre la modernité du monde de l’aviation et l’archaïsme du Maroc frappe alors l’observateur. Toujours est-il que l’empire chérifien, avec l’immensité des plaines atlantiques et du Sahara, sera un terrain d’expérimentation idéal pour les aviateurs, en particulier pour les Français. Les noms d’Antoine de Saint-Exupéry, de Jean Mermoz ou d’Henri Guillaumet sont passés à la postérité.

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Une liste auquel on doit ajouter le nom de Touria Chaoui. Née en 1936, cette dernière devient pilote à l’âge de 15 ans, ce qui en fait la plus jeune aviatrice de tout le Maghreb. « Les Ailes Chérifiennes ont fêté hier, au terrain de Tit Mellil [dans les environs de Casablanca], la première jeune fille marocaine détentrice du brevet de pilote », annonce le journal Le Petit Marocain, le 2 avril 1951.

La jeune femme n’est pas que pilote ; elle est une militante de l’Istiqlal, le parti de l’indépendance. Et c’est là que les problèmes commencent. Elle reçoit des menaces de mort, si bien que sa famille, contrainte à l’exil, se réfugie en Espagne. Ce qui ne règlera pas le problème : Touria Chaoui sera abattue au volant de sa voiture, près du domicile parental, le 1er mars 1956, veille de l’indépendance du Maroc. Le mobile de l’assassinat demeure inconnu.

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D’Air Atlas à la RAM

Retour à l’organisation du secteur, et, très vite, à sa réglementation. La Grande Guerre a ouvert le ciel à une aviation encore rudimentaire. À Paris, en 1919, la Commission internationale de navigation aérienne (CINA) établit une ébauche de réglementation. Puis éclate la Seconde Guerre mondiale, et les paramètres changent. L’aéronautique se complexifie. La navigation aérienne répond à des normes internationales de plus en plus strictes.

La nouvelle législation est adoptée à partir de décembre 1944 sous l’égide de l’Organisation internationale de l’aviation civile (OAIC), qui remplace la CINA et entrera en fonction trois ans plus tard. L’après Seconde Guerre mondiale est également l’époque de la création de la plupart des compagnies aériennes nationales. Pour le Maroc, ce sera d’abord Air Atlas-Compagnie Chérifienne de l’air, en 1946. Sa flotte se résume à sept appareils, qui desservent la France, l’Algérie et l’Espagne. Un petit périmètre. En 1953, toujours sous le protectorat français, la compagnie fusionne avec Air Maroc.

Air Maroc vole de ses propres ailes jusqu’à l’indépendance du pays et, le 27 juin 1957, cède la place à la Royal Air Maroc, la RAM. Huit appareils assurent d’abord les vols de la nouvelle compagnie nationale. En 1958, soit un an après sa création, la RAM forme elle-même ses pilotes. À la fin de 1958, ceux-ci sont au nombre de 25. S’y ajoutent 16 opérateurs de vol, 17 mécaniciens, 23 hôtesses de l’air et 14 stewards. Quand la RAM souffle sa première bougie, elle a déjà transporté plus de 134 000 passagers.

En 1961, le royaume chérifien institue une Direction de l’air. Ses tâches sont multiples : contrôler la navigation dans l’espace national, organiser les services administratifs du secteur aérien, gérer les télécommunications et la météorologie, mettre en œuvre les services techniques qui assurent la maintenance des appareils de la RAM.

Casablanca-Pékin

Les années 1960 sont aussi consacrées à l’aménagement des aéroports et aérodromes. Nécessité faisant loi, le passage à l’aéronautique à réaction exige une infrastructure adéquate. À partir de 1963, le royaume compte quatre aéroports principaux de classe internationale, sept aérodromes capables d’accueillir des avions de ligne – à l’époque, la Caravelle, de fabrication française, et le Constellation, de facture américaine –, sept aérodromes secondaires et une cinquantaine de pistes pour l’aviation de tourisme. Le bilan de l’aviation post-indépendance est, à en juger par ces chiffres, non négligeable. Le Makhzen a fait de ce secteur l’une de ses priorités, en toute logique puisque le Maroc est, de par sa situation géographique, une plateforme aérienne incontournable entre l’Europe et l’Afrique.

La RAM, elle, poursuit son évolution. En 1967, elle enrichit sa flotte avec un premier Boeing 727-200. Trois ans plus tard, elle créée une filiale, Royal Air Inter, qui se consacre aux vols intérieurs. Au mitan des années 1970, la RAM se lance dans les vols transatlantiques. Pour la première fois, un appareil de la compagnie rallie directement Casablanca à Rio de Janeiro. C’est un Boeing 707 emprunté à Air France qui assure la liaison.

Avec le XXIe siècle et la profusion des compagnies low-cost, la RAM doit relever de nouveaux défis. Elle y répond, en 2004, en créant Atlas Blue, dont le nom est un clin d’œil nostalgique. La low-cost marocaine survivra moins d’une décennie à la concurrence féroce que lui livrent des firmes européennes à bas prix. La RAM ne baisse pas les ailes pour autant. Elle se recentre sur sa filiale mère, vise l’Afrique, et continue de diversifier ses destinations avec, en 2020, l’ouverture d’un Casablanca-Pékin. La compagnie, qui ne cesse d’enrichir sa flotte, compte faire voler 105 avions en 2025.

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