Quatre ingénieures tunisiennes sélectionnées en Europe pour leur fauteuil roulant intelligent
Quatre Tunisiennes ont mis au point un système de pilotage intelligent pour les fauteuils roulants et ont été sélectionnées en finale d’un prix européen qui récompense les jeunes inventeurs de moins de 30 ans. Les gagnants seront dévoilés à Malte le 9 juillet.
Au milieu des chaises roulantes et des outils destinés à réaliser des cartes électroniques, Khawla Ben Ahmed, 28 ans, s’installe à son bureau pour organiser un rendez-vous en visio avec ses trois collègues. « Nous ne sommes pas toutes encore à plein temps sur la start-up, c’est difficile de nous avoir les quatre dans la même pièce », s’excuse la jeune ingénieure pendant que son collègue Mohamed Hamidi s’occupe de mettre au point une fonctionnalité dans l’une des options de pilotage des fauteuils roulants.
Dans la pépinière d’entreprises du technopôle d’El Ghazala, en banlieue nord de Tunis, les quatre ingénieures ont installé le bureau de leur start-up Gewinner, officiellement créée en 2019 et dédiée à la recherche de solutions innovantes pour les personnes à mobilité réduite.
Alors que les visages du reste de l’équipe, Souleima Ben Temime, 28 ans, Syrine et Ghofrane Ayari apparaissent sur l’écran, Khawla Ben Ahmed raconte la genèse de leur idée : un système de pilotage sur mesure et évolutif pour les fauteuils roulants. « Nous avons toutes fait des études dans la même école, l’Institut supérieur de technologie médicale, avec chacune une spécialité. Je suis plus axée sur les fonctionnalités du cerveau, Ghofrane sur la robotique, et Syrine et Souleima sur les applications mobiles. » Amies et collègues, elles planchent dès 2017 sur l’idée d’un système de pilotage pour les personnes à mobilité réduite en raison de l’histoire personnelle de l’une d’entre elle. « Mon oncle s’est retrouvé en partie paralysé après un arrêt cardiaque et du jour au lendemain, sa vie a été bouleversée, explique Souleima Ben Temim. Il s’est retrouvé dans un fauteuil roulant sans pouvoir ni communiquer avec sa famille ni être indépendant. »
Plutôt que de trouver une solution spécifique pour l’oncle de Souleima Ben Temim, les jeunes étudiantes décident de créer une application mobile reliée à un système de pilotage du fauteuil, qui s’adapte au handicap de chacun. « Ce n’est pas la chaise (le hardware) qui est intelligent, mais plutôt le système de pilotage (le software), explique Khawla Ben Ahmed, car il contient plusieurs types de pilotage, celui par ondes cérébrales, grâce à un casque, celui de reconnaissance faciale, le tactile avec la tablette ou le manuel avec le joystick et la commande vocale. »
Le premier prototype de ce système, appelé MooVoBrain, a été testé dans une association pour personnes à mobilité réduite, à Ben Arous, en banlieue sud de Tunis, sur Jamil, un jeune résident complètement paralysé et qui ne pouvait communiquer que par des clignements des yeux. « C’est avec lui que nous avons développé le système de pilotage par ondes cérébrales. Puis, avec des ergothérapeutes et des physiothérapeutes, ainsi que d’autres associations, nous avons essayé de nous adapter à toutes les formes de handicap en développant les options », explique Souleima Ben Temim.
Une solution évolutive selon l’état du patient
Le paramétrage de l’application permet à l’utilisateur de choisir dès le début ses préférences et de l’adapter si son handicap évolue. « Si la personne a une maladie évolutive et se retrouve progressivement paralysée, au lieu de changer toute la chaise, il suffit de mettre à jour l’application et d’acheter une autre option de pilotage », explique Khawla Ben Ahmed. Un avantage non négligeable en Tunisie, où le fauteuil roulant coûte entre 2 800 et 5 000 dinars (entre 800 et 1 400 euros) pour un salaire minimum évalué à 420 dinars (125 euros).
Les entrepreneuses envisagent de vendre leur solution autour de 2 140 dinars (635 euros), « mais nous travaillons avec des fabricants de chaises roulantes pour qu’ils intègrent le système Bluetooth et la carte électronique dans la chaise. Comme ça, il suffira de se connecter à l’application mobile sans avoir besoin d’acheter le système de pilotage, qui sera déjà intégré », indique Khawla Ben Ahmed. Elles ambitionnent de développer un système de sponsoring afin de financer le système de pilotage, voire une chaise avec le tout intégré pour les utilisateurs.
L’application offre aussi un paramétrage pour l’assistant de la personne à mobilité réduite, qui peut géolocaliser la chaise ou recevoir des alertes sur le niveau de batterie du casque pour les ondes cérébrales. « Mais l’intelligence artificielle permet de faire du sur-mesure pour l’utilisateur qui va être le seul à pouvoir commander la chaise et qui peut vraiment être autonome sur cet aspect », insiste Khawla Ben Ahmed.
Si les quatre amies n’ont pas pu tester la chaise avec l’oncle de Souleima Ben Temim, décédé peu après son lancement, elles enchaînent les compétitions pour perfectionner leur modèle et commencer sa commercialisation. Au cours de l’été, elles livreront ainsi les premières chaises à une association de la ville de Sousse. Celles-ci ont été achetées par un partenaire, un bailleur de fonds étranger et une banque tunisienne, qui prévoit de les offrir aux personnes qui en ont besoin. « L’idée est de mettre au point une meilleure détection des obstacles », insiste Khawla Ben Ahmed. Un point crucial, développé sur certaines chaises intelligentes en France et d’autant plus utile en Tunisie où les accès pour personnes handicapées sont très limités dans les infrastructures publiques.
« Les femmes ont leur place dans les nouvelles technologies »
Dans un contexte politique marqué par la montée de l’extrême droite en Europe, les quatre jeunes femmes sont, symboliquement, les premières expertes issues d’un pays arabe à avoir été sélectionnées pour le Young inventor Prize, un prix européen qui récompense l’innovation. Selon leur classement, elles gagneront entre 5 000 et 20 000 euros. « C’est une super visibilité pour notre start-up, estime Ghofrane Ayari. Nous voulons aussi inspirer d’autres jeunes filles et servir de modèles. ». Pour Souleima Ben Temim et Khawla Ben Ahmed, dont les familles n’avaient non plus tout de suite compris « ce qu’on faisait », plaisante Souleima Ben Temim, il s’agit aussi de briser un plafond de verre.
En Tunisie, contrairement à d’autres pays, les études d’ingénieur sont très prisées par les femmes. Le pays est l’un de ceux ayant le plus fort taux de femmes ingénieures au monde (44 % des diplômées en ingénierie, selon un rapport de l’Unesco en 2021). « Mais l’idée, c’est d’aller au-delà de cet acquis », explique Souleima Ben Temim, « de montrer que nous avons notre place aussi dans le monde des nouvelles technologies et dans l’intelligence artificielle. » Aujourd’hui, seulement 12 % des chercheurs dans ce dernier secteur sont des femmes, et elles ne sont que 6 % dans le domaine du développement des logiciels professionnels.
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