Un militaire libérien exulte après un tir de roquettes sur des forces rebelles, à Monrovia, le 20 juillet 2003. © Chris Hondros/Getty Images via AFP.
Un militaire libérien exulte après un tir de roquettes sur des forces rebelles, à Monrovia, le 20 juillet 2003. © Chris Hondros/Getty Images via AFP.

Photographie : 2003, la folie de la guerre civile au Liberia dans l’œil de Chris Hondros

Chaque semaine en juillet et en août, Jeune Afrique vous présente une photographie iconique. Cette semaine, les ravages du conflit libérien interne
NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 17 août 2024 Lecture : 4 minutes.

Nelson Mandela entouré de photographes dans sa maison de Soweto, le 15 février 1990, à Johannesburg. © Georges MERILLON/GAMMA-RAPHO.
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Cent ans d’Afrique en huit photos symboliques

Jeune Afrique vous propose, tout au long de l’été, de prendre chaque samedi le temps de décrypter une image iconique de l’histoire du continent.

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CENT ANS D’AFRIQUE EN HUIT PHOTOS SYMBOLIQUES (7/8) – Misrata, Libye, le 20 avril 2011. Les combattants rebelles essuient les tirs de mortiers des forces gouvernementales. Dans l’attaque, plusieurs journalistes et photojournalistes sont touchés. Le photographe américain Chris Hondros, qui travaille pour l’agence Getty Images, tombe dans la rue principale de la ville. Gravement blessé à la tête, il meurt quelques heures plus tard, sans avoir repris connaissance.

Le même jour, au même endroit et dans la même attaque, son collègue britannique Tim Hetherington perdait aussi la vie. Tous deux étaient nés en 1970 et s’étaient croisés, quelques années plus tôt, sur un autre champ de bataille africain. C’était en 2003, à Monrovia, où Chris Hondros prit l’une des photographies les plus célèbres de la seconde guerre civile du Liberia (1999-2003).

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Publiée en Une par de nombreux journaux, commentée lors d’innombrables festivals dédiés au photojournalisme, cette image d’un commandant torse nu exultant sur un pont après un tir de grenade réussi a fait maintes fois le tour du monde. Elle concentre toute la folie de la guerre, entre exaltation et horreur, dans un regard qui nous semble directement adressé.

Enfants-soldats

Six ans avant sa mort à Misrata, Chris Hondros avait raconté en détail les circonstances de sa prise de vue à Monrovia sur le site The Digital Journalist. Il se souvenait avec précision de la situation, alors que les rebelles cherchaient à renverser le gouvernement de Charles Taylor. En juillet et en août 2003, la ville toute entière était en proie à un déchaînement de violence et le photographe habitué aux conflits (Kosovo, Sierra Leone, Afghanistan, Cachemire, Irak, Cisjordanie…) passait d’une zone de combat à une autre, documentant la guerre en image au péril de sa vie.

« À un moment donné, je me suis retrouvé avec un collègue photographe en train de traverser un pont du centre-ville avec une section de miliciens pro-Taylor défoncés, qui défendaient la place en bombardant les positions rebelles à l’opposé, racontait-il. À mi-chemin de la folie de l’unité, un commandant torse nu s’est emparé d’un lance-roquette qu’un jeune garçon portait, l’a calé sur son épaule et a visé le bout du pont. Je me suis précipité à environ 20 pieds [6 mètres] derrière lui, à distance du souffle provoqué par le recul explosif de l’arme, et j’ai braqué mon appareil photo dans sa direction quand il a appuyé sur la détente. La roquette a fusé de l’épaule du commandant avec un rugissement assourdissant. Elle a apparemment atteint son objectif, car, à ma surprise, il s’est retourné et a sauté en l’air en hurlant de joie, ivre de l’extase du combat. Je me suis penché sur mon obturateur au moment de sa célébration. Après, il a ordonné à ce qu’il restait de ses troupes, pour la plupart des enfants, d’avancer sur le pont pour garder l’élan de leur assaut. Il frappait ceux qui hésitaient avec la crosse de son fusil. »

En tout et pour tout, Chris Hondros est resté une dizaine de minutes sur le pont. Ensuite, il est rentré à son hôtel pour éditer les images. Sur le coup, il a été un peu déçu par l’ensemble « qui, comme toujours, ne semblait pas aussi intense sur film qu’en réalité ». La photo du commandant bondissant de joie ne lui plaît pas trop sur le moment : il semble regarder le photographe, les environs paraissent déserts… Il l’envoie néanmoins à son agence par téléphone satellite et va se coucher. Ce n’est que le lendemain qu’il reçoit un flot de messages sur cette « image incroyable » qui va être publiée « de la France au Japon ».

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Retrouvailles avec le commandant Joseph Duo

L’histoire pourrait s’arrêter là. Ce n’est pas le cas. Quelques années plus tard, en 2005, Chris Hondros retourne au Libéria pour couvrir les premières élections libres du pays. Sur place, il se renseigne auprès de son assistant libérien, Ahmed, à propos de ce commandant en dreadlocks dont la photo est devenue si célèbre. Est-il encore vivant ? « Oui, bien sûr, il habite en périphérie de la ville, répond Ahmed. Il est célèbre, maintenant. Je connais le coin. Tu veux y aller ? »

C’est ainsi que Chris Hondros rencontre le combattant qu’il a photographié en pleine guerre. Plus petit que dans son souvenir, débarrassé de ses dreadlocks, vêtu d’un simple t-shirt, nerveux, le sourire crispé. Il raconte :

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« C’est bien de te rencontrer enfin, ai-je dit, un peu à court de mots. Tu te souviens de moi ?

— Tu étais l’homme blanc sur le pont, répondit-il calmement. Tu as pris cette photo de moi.

J’ai souri.

— Tu sais, je n’ai jamais connu ton nom.

— C’est Joseph. Je m’appelle Joseph Duo. »

Les deux hommes discuteront alors un moment, et Hondros photographiera de nouveau Joseph Duo sur le fameux pont. Et à défaut de l’aider à devenir marine dans l’armée américaine, il paiera le 86 dollars nécessaires pour s’acquitter des droits de scolarité du jeune homme de 28 ans – qui plus tard se lancera en politique.

« Pour ma part, je n’ai jamais su ce que “signifiait” cette image, disait Hondros. Les photographes prennent souvent des images de victimes de guerre, et parfois, elles changent le monde. Mais cette fois-là, c’est l’image d’un agresseur qui a attiré l’attention. Cette photographie célèbre-t-elle la guerre ou la condamne-t-elle ? Crée-t-elle de l’empathie pour les Libériens ? Explore-t-elle le bas-vendre sordide de la condition humaine ou les ténèbres latentes qui reposent en chacun de nous ? Même aujourd’hui, je ne suis pas sûr. »

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