Photographie : 2008, les rois de la sape congolais dans les instantanés de Baudouin Mouanda
Cent ans d’Afrique en huit photos symboliques
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CENT ANS D’AFRIQUE EN HUIT PHOTOS SYMBOLIQUES (8/8) – Au début des années 1990, au Congo, le jeune Baudoin Mouanda lorgnait sur l’appareil photo de son père. C’était un vieux Zenit 11 fabriqué en URSS. À l’époque, il n’avait aucune intention de s’en servir pour faire des images : il le démontait afin d’en récupérer les lentilles qui lui serviraient à enflammer des feuilles de papier !
En 1994, alors que le garçon entre dans sa treizième année, son père s’engage à lui offrir l’appareil s’il réussit son examen d’entrée au collège. Pas un problème pour l’adolescent. En revanche, maîtriser la vitesse d’obturation, l’ouverture du diaphragme et le cadrage se révèle un peu plus compliqué quand on ne dispose que de quelques indications paternelles.
Après l’échec de ses premiers essais, Baudouin Mouanda gardera longtemps le vieux Zenit dans son sac, sans jamais sans servir. Puis, quelques années plus tard, après avoir découvert le travail du Français Henri Cartier-Bresson dans une encyclopédie, il s’y mettra avec application, apprenant sur le tas. Jusqu’à devenir le photographe attitré de son école.
Encouragé par un stage de formation piloté par David Damoison, Héctor Mediavilla et Hélina Morella, il expose pour la première fois en 2003 une série intitulée Mémoire et fragments. Sa carrière de photographe peut commencer : il gagne le concours de l’académie des Beaux-Arts, il est récompensé lors des Ve Jeux de la francophonie à Niamey, publie des reportages dans Planète jeunes et Planète enfants, participe à la création du collectif Elili, commence à travailler pour la presse internationale (dont Jeune Afrique).
Société des ambianceurs et des personnes élégantes
En 2008, débordante de joie, de vitalité et de couleur, sa série Sapologie sur les sapeurs congolais le fait connaître bien au-delà des frontières du continent. S’il s’inscrit dans la lignée des grands maîtres africains que furent les Maliens Seydou Keïta et Malick Sidibé, il injecte dans son travail une énergie folle.
« Les Occidentaux ont créé le vêtement, mais l’habillement a été inventé à Brazzaville », explique-t-il quand il parle de son travail sur la Société des ambianceurs et des personnes élégantes (Sape). « Si aujourd’hui mon travail est connu à l’étranger, c’est grâce à cette série qui, après avoir été exposée pour la première fois au musée Dapper (Paris), m’a ouvert beaucoup de portes. Je crois qu’elle doit en partie son succès au fait qu’elle ne montrait pas le côté négatif de l’Afrique, qu’elle montrait l’existence d’autre chose que les guerres ! »
Pour lui, ce mouvement a été créé par les musiciens et chanteurs de la République du Congo qui s’affrontaient symboliquement en arborant des vêtements de luxe. Si la paternité de la Sape est l’objet de querelles entre les deux rives du Congo, c’était aussi à Paris et dans les capitales européennes que l’on pouvait, à partir des années 1970, croiser ces personnages « sapés comme jamais », arborant sans être riche les signes extérieurs de la réussite sociale à l’occidentale, marques de luxe ostensiblement affichées et ventre d’homme d’affaires parfois artificiellement gonflé à la semoule !
Dandys congolais
Sans doute parce qu’elle est visuellement frappante, beaucoup de photographes se sont intéressés de près à la sape – parfois de manière superficielle, aveuglés qu’ils étaient par les apparences. Les séries Sapologie et La sape, le rêve d’aller-retour de celui que l’on surnomme aujourd’hui « Photouin » ont ceci de particulier qu’elles laissent deviner, en leurs marges, la réalité quotidienne de ces dandys congolais – qui n’est pas toujours rose.
« Je fais toujours attention aux détails, j’essaie de montrer l’endroit où a lieu la prise de vue, le lieu où se déroule la scène. En ce qui concerne les sapeurs, je ne les emmène pas dans d’autres lieux pour les faire poser. Je les photographie là où ils sont. »
Lauréat du prix Roger-Pic en 2022, Baudouin Mouanda est un photographe qui s’intéresse de près aux réalités de son pays, comme le prouve l’ensemble de ses autres séries photographiques, telles Sur le trottoir du savoir (manque d’électricité), Ciel de saisons (dérèglement climatique), Séquelles de la guerre (sur les guerres du Congo) et, dernière en date, Aux inondés du fleuve Congo, parue en juin 2024. Il n’y a jamais rien de totalement innocent dans les photos de Photouin.
Très impliqué localement, il a d’ailleurs créé à Madibou, un quartier de Brazzaville, un centre culturel pluridisciplinaire. « C’est aussi grâce à cette série sur la Sape que j’ai pu créer le Centre de la photographie ClassPro-culture », confie l’artiste.
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