En Tunisie, les défenseurs des droits des LGBT marginalisés

Le 26 juin, la manifestation organisée à Tunis pour réclamer la dépénalisation de l’homosexualité n’a rassemblé que quelques dizaines de personnes. Dans un contexte politique difficile, la question des droits des LGBT et la lutte contre les violences qui leur sont infligées peinent à mobiliser.

Manifestation de la communauté LGBT, réclamant l’abrogation des tests anaux et de la criminalisation de l’homosexualité, organisée par l’Association tunisienne pour la justice et l’égalité (Damj), à Tunis, le 26 juin 2024. © Fethi Belaïd/AFP

Manifestation de la communauté LGBT, réclamant l’abrogation des tests anaux et de la criminalisation de l’homosexualité, organisée par l’Association tunisienne pour la justice et l’égalité (Damj), à Tunis, le 26 juin 2024. © Fethi Belaïd/AFP

Publié le 28 juin 2024 Lecture : 3 minutes.

De manière récurrente, la société civile tunisienne proteste contre les poursuites ou les condamnations auxquelles sont exposés des membres de la communauté LGBT. Le 21 juin encore, le jugement par lequel le Tribunal de première instance de Ben Arous a condamné deux prévenus, a soulevé une controverse. Ce jugement a été rendu sur la base de l’article 230 du Code pénal, qui criminalise l’homosexualité. Issu d’un corpus de lois installé, en 1913, par le protectorat français, cet article contrevient aujourd’hui à toutes les dispositions relatives au respect des droits humains et des libertés individuelles.

Ce sujet qui dérange et que l’on voudrait cacher sous le tapis a été évoqué, ce 26 juin, à l’occasion de la Journée mondiale contre la torture. Paradoxalement, la révolution tunisienne, au cours de laquelle certains acquis ont été maintenus ou des droits conquis – comme la condamnation des discriminations fondées sur la race et celle des violences faites aux femmes – n’a pas débouché sur l’abrogation de l’article 230.

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Dans la pratique, un acte, surtout, choque et inquiète : pour étayer ou confirmer une accusation d’homosexualité, les prévenus sont soumis à un test anal forcé. Un acte barbare, qui touche à l’intégrité physique et psychique des individus et qui va à l’encontre de toutes les recommandations des organisations nationales ou internationales.

Ce texte rétrograde est d’ailleurs inconstitutionnel, puisque la Constitution tunisienne de 2022 (comme celle de 2014) consacre le respect des libertés individuelles et protège l’intégrité physique des personnes. Le Code pénal, qui se réfère encore aux « bonnes mœurs » et criminalise l’homosexualité, est donc en totale contradiction avec la Loi fondamentale.

Comble du paradoxe, l’article 230 a été rédigé différemment. Dans sa version arabe, qui prévaut en Tunisie, il est question d’homosexualité masculine et féminine ; dans sa version française, la sodomie est explicitement évoquée.

En 2018, le recours à des tests anaux avait provoqué une levée de boucliers et avait même poussé l’Ordre des médecins à s’opposer à cette pratique. Depuis 2014, au sein de l’ONU, la Commission internationale de lutte contre la torture assimile ces tests à des actes de torture, passibles de condamnations.

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Mais, dans une Tunisie plongée dans l’instabilité politique et sociale, la dynamique s’est essoufflée et rien n’a changé : depuis janvier 2024, pas moins de 41 procès ont été intentés sur la base de l’article 230. Au quotidien, les homosexuels et les queer sont toujours harcelés et restent la cible de campagnes infamantes sur les réseaux sociaux.

Vivre son homosexualité dans les pays arabes

Si les difficultés subsistent, les mouvements LGBT sont aujourd’hui moins visibles que dans les années 2010, durant lesquelles leurs revendications bénéficiaient d’une large couverture médiatique. « Seul le cinéma ose aborder le cas des transgenres ou l’impact que peut avoir le harcèlement sur les homosexuels », note un militant de la société civile, qui se souvient des déboires d’associations comme Shams, aujourd’hui disparue. Toujours selon ce militant, les principales figures qui ont porté ce combat ont profité de leur notoriété pour obtenir des autorisations de séjour à l’étranger. « C’est de l’opportunisme, mais on peut le comprendre tant il est difficile – et c’est un euphémisme – de vivre son homosexualité dans un pays arabe », conclut-il.

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D’autres continuent à œuvrer plus discrètement : « Les fonds se sont taris, le système politique a changé et toute aide étrangère est perçue comme suspecte. Difficile, dans ces conditions, de mener des actions de sensibilisation ou de reprendre le combat pour abroger l’article 230 ou d’autres dispositions tout aussi iniques ou obsolètes », commente Maher, qui, « pour vivre heureux, vit caché » et regrette l’absence de mobilisation de la communauté LGBT. « C’est une forme de peur : chacun peut citer d’innombrables exemples de vies ravagées par les persécutions ».

Pour tenter de surmonter ces problèmes, Sanad, un « programme d’assistance directe et pluridisciplinaire aux victimes de torture et de traitement cruels, inhumains ou dégradants en Tunisie », a été mis en place, en 2013, dans le cadre de la mission de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT). Sa marge de manœuvre est cependant réduite. En 2023, 134 personnes ont bénéficié d’un soutien individualisé. Un chiffre insignifiant au regard de la détresse de certaines minorités : jeunes, migrants en situation irrégulière, transgenres, qui, il est vrai, se cachent le plus souvent.

Les employés de Sanad, qui montent aussi des dossiers sociaux afin de permettre aux bénéficiaires d’accéder à des soins ou à des aides financières, constatent que la plupart des personnes qui ont recours à leurs services souffrent de graves traumatismes psychologiques. Ceux-ci s’expriment par de l’anxiété, de la dépression ou des troubles du sommeil, et peuvent aller jusqu’au stress post-traumatique.

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