Stonebwoy : « L’afrobeats doit beaucoup à la musique ghanéenne »

Alors que le Nigeria et l’Afrique du Sud continuent de se hisser aux sommets des classements internationaux, le Ghana n’est pas en reste. Depuis quinze ans, le chanteur Stonebwoy s’impose en local comme au global grâce à une efficace fusion de dancehall et de highlife.

Stonebwoy, à Paris, le 20 juin 2024. © Facebook Stonebwoy

Stonebwoy, à Paris, le 20 juin 2024. © Facebook Stonebwoy

eva sauphie

Publié le 18 août 2024 Lecture : 5 minutes.

Un monospace noir se range devant les locaux de Warner, dans le nord de Paris. Derrière les vitres teintées, la star ghanéenne, qui a signé un accord avec la maison de distribution française, rentre tout juste de l’aéroport. En moins de vingt-quatre heures, Stonebwoy a quitté Accra pour Londres, avant de rejoindre Paris. Le marathonien a à peine le temps de poser le pied dans les locaux de la maison de disques qu’on lui annonce qu’il doit se changer pour préparer ses prochains rendez-vous.

L’afropop au premier rang des défilés

Une fois l’entretien terminé, il rejoindra le studio de la marque de vêtements chinoise Feng Chen Wang pour une séance d’essayage à l’occasion de la Fashion Week. Comme ses homologues Burna Boy et Wizkid, visages de plusieurs marques de prêt-à-porter premium, Livingstone Etse Satekla – de son vrai nom –, joue aussi les ambassadeurs de luxe. « Il a un sens du style, donc on vient naturellement le chercher », décrypte Marty Addo, l’un de ses managers.

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Un peu plus tard, ce jour-là, on apercevra le chanteur en complet look denim, assorti d’une chemise blanche impeccable. Et plus tard encore cette même semaine, on le verra se produire pour la marque Daily Paper, notamment pour présenter son nouveau single, My Body aux accents afro fusion. « Je crois au pouvoir de la mode pour permettre aux artistes de mettre en lumière ce qu’ils font. C’est la première fois que j’ai ce genre d’opportunités à Paris, et je suis reconnaissant d’être ici avec plein de projets de partenariats », glisse le fondateur de son propre label, Burniton Music Group (BMG), derrière de larges solaires noires dissimulant de petits yeux cernés.

Tous les cinq ans depuis 2015, j’ai été nommé ou j’ai reçu le prix du meilleur album de l’année.

C’est que Stonebwoy accuse le coup du décalage horaire. Alors qu’il cherche désespérément à connecter le wifi sur son portable, une rafale de bâillements le saisit. Il s’excuse platement, se redresse dans son fauteuil et tente de faire bonne figure. Son message envoyé, le voilà enfin disposé à se prêter au jeu de l’entretien. À 36 ans, le briscard ne chôme pas. Si l’industrie de la musique compte autant de talents afropop que d’artistes d’un seul tube, l’unique Dieu (« 1GAD »), comme il le revendique sur son profil Instagram aux quelque 4,5 millions de fans, a déjà plus de quinze ans de carrière derrière lui.

« Tous les cinq ans depuis 2015, j’ai été nommé ou j’ai reçu le prix du meilleur album de l’année [notamment aux Bet Awards, Ghana Music Awards et Billboard, ndlr], retrace-t-il. À chaque distinction, je redéfinis ma musique, mais dans un continuum. Il y a énormément de genres, en particulier dans la black music, avec de vrais phénomènes allant du reggae dancehall à l’afrobeats, en passant par le hip hop et le R’n’B. Je m’efforce de durer et je pense avoir le bon état d’esprit pour, car je suis conscient de m’inscrire dans un héritage », détaille-t-il.

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De son premier tube Makuma révélé à la radio locale alors qu’il étudie encore au lycée méthodiste de Tema, une ville côtière du Grand Accra, à « 5th dimension », son cinquième album révélé au printemps 2023, le Ghanéen a façonné un habile mélange des genres, sans céder aux tendances dominantes du marché. Son coup de maître ? Avoir réussi à se faire un nom en tapant dans le patrimoine musical caribéen. « J’ai senti qu’on avait besoin d’un artiste dancehall venu d’Afrique. À l’époque, se dire qu’un Africain pouvait faire de la dancehall et fédérer les deux cultures était assez révolutionnaire. Je remercie le gamin de 20 ans que j’étais d’avoir raisonné ainsi », admet celui qui attire aussitôt les poids lourds du genre. Parmi eux, Sean Paul ou encore Beennie Man.

L’apport de la musique ghanéenne dans les musiques actuelles

Stonebwoy n’est encore qu’un ado lorsqu’il découvre Bob Marley et Peter Tosh. Leurs morceaux infusent le Ghana de l’époque, qui compte la plus grosse communauté rasta du continent. « Leur musique a traversé toute l’Afrique, parce que ces légendes ont leurs racines en Afrique. Et ça, je l’ai compris rapidement », théorise-t-il. Pour autant, le natif d’Ashaiman, une banlieue d’Accra située dans la région de la Volta, ne s’est jamais enfermé dans un genre. Depuis toujours, il puise autant dans le highlife de chez lui que dans le hip hop et le R’n’B américains. Un mélange des styles qui fait sa spécificité et sans doute sa longévité. À l’heure où l’influence du Nigeria et de l’Afrique du Sud, deux pays qui ont inscrit l’afro pop sur la carte du monde, n’a jamais été aussi forte, le Ghana peut aussi compter sur un digne représentant de la scène afro actuelle.

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Fin musicologue et fervent défenseur de sa culture, ce diplômé en marketing aime rappeler l’apport du Ghana dans le paysage musical contemporain. Il cite volontiers le Ghanéen E. T. Mensah, « le plus grand artiste africain de sa génération à avoir percé à travers l’hémisphère occidental et le continent », sans qui le highlife n’existerait pas à l’échelle mondiale, ni les genres qui en ont découlé, comme le bogga highlife et le hiplife. « Quand le highlife a régné sur la scène musicale il y a trente ans, le terme d’afrobeats n’existait pas. On oublie selon moi l’immense contribution de la musique ghanéenne dans la naissance du phénomène. Idem pour l’amapiano, qui puise aussi ses dynamiques rythmiques dans la musique de chez nous. Le Ghana a toujours été silencieux, mais il a toujours été très actif dans la contribution du son africain tel qu’on le connaît aujourd’hui, abonde-t-il. On doit pouvoir être en mesure de reconnaître cet apport pour éviter les compétitions et toute ségrégation. »

Une vision fédératrice

Si le mot n’est jamais franchement prononcé, le panafricanisme est au cœur de la philosophie de Stonebwoy. Il dit approuver l’initiative du président Nana Akufo-Addo, L’année du retour, visant à promouvoir le Ghana comme terre d’accueil de tous les afrodescendants. « Depuis 2019, ce projet est très concret et très fort. Il s’inscrit dans le mouvement déjà impulsé par Marcus Garvey et Kwame Nkrumah, qui promouvait le chemin vers l’unification, expose-t-il. La diaspora doit pouvoir connaître ses racines et sa maison. On est très heureux d’accueillir nos frères et sœurs caribéens et d’Amérique, comme récemment Stevie Wonder à qui le Président a donné la nationalité ghanéenne. Je pense que cela peut être bénéfique et apporter une vraie contribution pour le Ghana. »

Une vision fédératrice que l’artiste défend à travers ses différentes collaborations, du rappeur britannique Stormzy aux Nigérians Davido et Burna Boy, en passant par la diva béninoise Angélique Kidjo et le chantre du reggae ivoirien Alpha Blondy. Après s’être produit au Ghana, au festival Bhim, devant 55 000 personnes, mais aussi en Europe – du Royaume-Uni à la Finlande –, ou encore en Californie en début d’année, Stonebwoy espère continuer « à redonner du crédit à la musique ghanéenne pour l’inscrire, elle aussi, au niveau global ».

"5th Dimension", de Stonebwoy © Facebook Stonebwoy

"5th Dimension", de Stonebwoy © Facebook Stonebwoy

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