Décodage : pourquoi Jeune Afrique s’intéresse tant à Jordan Bardella
Largement repris sur les réseaux sociaux en France et au Maghreb, nos articles sur les connexions familiales méconnues du président du Rassemblement national en Algérie et au Maroc ont suscité nombre de commentaires d’internautes, pour qui il s’agissait là d’une révélation. Décryptage.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 28 juin 2024 Lecture : 3 minutes.
1. Quelles sont les raisons de cette double enquête sur les liens cachés du président du Rassemblement national avec le Maghreb ?
Jordan Bardella est le président d’un parti, le Rassemblement national, qui prône la préférence nationale et pour qui l’immigration en particulier africaine, maghrébine, surtout lorsqu’elle provient d’une terre d’islam, est une question existentielle et identitaire. Cela on le sait. Mais ce que l’on savait beaucoup moins c’est qu’il est lui-même l’arrière-petit-fils d’un travailleur immigré algérien — or nul n’ignore combien l’Algérie est, depuis 60 ans et pour toutes sortes de raisons, un marqueur répulsif puissant chez les militants du parti des Le Pen père et fille.
Ceci expliquant sans doute cela, autant Jordan Bardella s’est déjà exprimé sur sa filiation italienne, autant il n’a à notre connaissance jamais dit un mot sur les origines algériennes d’une partie de sa famille. D’où notre intérêt et notre enquête qui nous a mené jusqu’à la bourgade de Guendouz en petite Kabylie. Juste pour l’anecdote : Guendouz se trouve à une centaine de kilomètres de Sétif, ville d’où est originaire le père d’un certain Éric Zemmour.
2. Qu’a-t-on découvert, en Algérie et au Maroc, sur la réalité de ces liens ?
Farid Alilat a mis ses pas dans ceux de Mohand Seghir Mada – Mohand étant une variante berbère du prénom Mohamed. Nous sommes au tout début des années 1930, l’Algérie est alors une possession française et, dans les montagnes et les villages de Kabylie, la misère décrite à l’époque par Albert Camus est omniprésente. C’est pour la fuir que le jeune Mohand et son frère aîné Bachir émigrent en France, direction Marseille puis Villeurbanne, dans la banlieue de Lyon, où ils travaillent dans une manufacture de teinturerie.
Contrairement à Bachir, qui finira par retourner en Algérie, Mohand s’établit en France et rompt ses fiançailles avec une cousine du village pour épouser une Française, Denise. Du couple naissent plusieurs enfants dont Réjane, laquelle se mariera en 1963 avec Guerrino Bardella, le grand-père d’origine italienne de Jordan Bardella. Un grand-père qui d’ailleurs selon les informations recueillies par Fadwa Islah, vit toujours à Casablanca au Maroc où il a épousé en secondes noces une Marocaine après s’être converti à l’islam.
Entre Mohand Mada, immigré économique venu d’Afrique comme tant d’autres après lui, décédé en 1974, inhumé au cimetière de Montreuil et qui a participé à la reconstruction de la France d’après-guerre, parfaitement intégré sans pour autant prendre la nationalité française et le président du RN, la filiation multiculturelle est donc directe. Et apparemment un peu embarrassante pour le chef d’un parti qui ne cesse de dénoncer ce qu’il appelle la « submersion migratoire » et le « grand remplacement ».
3. Pourquoi JA s’est également penché sur les candidats RN d’origine africaine ?
Traditionnellement le vote des électeurs français d’origine maghrébine ou subsaharienne a toujours penché fortement à gauche. Le dernier sondage en la matière est celui que l’IFOP avait réalisé pour Jeune Afrique il y a un peu plus de 2 ans à la veille de la présidentielle de 2022 et il donnait Jean-Luc Mélenchon élu au second tour, 2 points devant Emmanuel Macron. Avec tout de même au sein de cet électorat des intentions de vote en faveur des candidats d’extrême droite — Le Pen et Zemmour — d’environ 15 %, ce qui n’était pas négligeable.
Les choses ont-elles évolué depuis ? Faute de statistiques, difficile de le dire mais ce qui est sûr c’est que le nombre de candidats d’origine africaine présentés aux législatives du 30 juin par le Rassemblement national a progressé, même s’il reste très nettement inférieur à celui des candidats de même origine présentés par la gauche et le centre. Notre journaliste Nina Kozlowski en a dénombré une douzaine, mais la liste n’est pas exhaustive, des candidats surtout concentrés en région parisienne et dans le sud-est de la France.
Ils sont d’origine congolaise, algérienne, marocaine ou camerounaise. On y trouve une étudiante, une aide-soignante, un entrepreneur marseillais. Certains sont des immigrés récents comme cette caissière de supermarché d’origine ivoirienne installée en France il y a 10 ans, candidate dans les Hauts-de-Seine, et il est assez paradoxal, voire surréaliste de les entendre dénoncer à l’unisson ce que l’un d’entre eux appelle « l’immigration arabo-islamique et africaine », immigration dont ils sont eux même issus.
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