Le musicien nigérian Fela Anikulapo Kuti à Paris avant sa tournée américaine, en octobre 1986, en France. © Patrick AVENTURIER/GAMMA-RAPHO.
Le musicien nigérian Fela Anikulapo Kuti à Paris avant sa tournée américaine, en octobre 1986, en France. © Patrick AVENTURIER/GAMMA-RAPHO.

Photographie : 1986, Fela Kuti pose en slip pour Patrick Aventurier

Chaque semaine en juillet et en août, Jeune Afrique vous présente une photographie iconique. Cette semaine, l’inventeur de l’afrobeat en tenue légère dans sa chambre d’hôtel.
NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 3 août 2024 Lecture : 3 minutes.

Nelson Mandela entouré de photographes dans sa maison de Soweto, le 15 février 1990, à Johannesburg. © Georges MERILLON/GAMMA-RAPHO.
Issu de la série

Cent ans d’Afrique en huit photos symboliques

Jeune Afrique vous propose, tout au long de l’été, de prendre chaque samedi le temps de décrypter une image iconique de l’histoire du continent.

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CENT ANS D’AFRIQUE EN HUIT PHOTOS SYMBOLIQUES (5/8) – « Dans les années 1980, Fela [Anikulapo Kuti] est très controversé. Certains le considèrent comme le Che Guevara africain, d’autres comme un dictateur, encore une fois en raison de ses femmes. Donc, en Allemagne, ça ne prend pas vraiment. Puis, en Italie, alors que Fela doit rencontrer le chef du parti communiste, la CIA planque 40 kg de marijuana dans nos valises… Le PC finira par nous blacklister. Notre seule terre d’accueil sera la France. C’est l’époque de Jean-François Bizot et de Radio Nova. Il nous a beaucoup soutenus. » Ainsi s’est exprimé dans les colonnes de Jeune Afrique en 2023 Mabinuori Idowu, connu sous ses initiales ID, à l’occasion de l’exposition Rebellion Afrobeat à la Philharmonie de Paris, consacrée à celui dont il fut le compagnon de route.

Et il est vrai que la France de l’époque, vibrant au rythme de la World Music et scandant « Touche pas à mon pote ! », se montra particulièrement accueillante envers Olufela Olusegun Oludotoun Ransome-Kuti, le « Black President » toujours entouré d’un parfum de scandale lié à ses prises de position politiques et au nombre supposé de ses épouses. « Tous les articles sur mon père ont d’abord été écrits dans la presse française », a surenchéri le fils de Fela, Femi Kuti, lors de la même exposition.

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« Il n’y avait pas de calcul de communication »

C’est d’ailleurs en France que cette photo a été prise par Patrick Aventurier, pour l’agence Gamma-Rapho, en 1986, à la veille d’une tournée américaine de l’artiste. Les souvenirs du photographe sont lointains, mais à l’image du musicien.

« Désolé, mais je n’ai aucun souvenir précis de cette rencontre, dit-il. Je me souviens juste que mon rédacteur en chef chez Gamma était fan de Fela et qu’il avait pris rendez-vous avec lui dans sa chambre d’hôtel pour une interview et des photos avant sa tournée mondiale. Il nous avait reçus très cool et presque nu. Malgré l’installation de mes flashs studio, il n’avait rien changé à sa tenue du jour, pas de maquillage, pas de styliste pour les vêtements, pas de coiffeur… Il était content de cette situation naturelle et continuait à jouer du saxo comme avant notre arrivée, il m’avait complètement zappé malgré mes flashes ! »

Et le grand reporter né à Marseille d’ajouter : « C’était un homme très chaleureux. Lors de cette séance, il n’y avait pas de calcul de communication. C’était à moi d’essayer de faire la meilleure photo. » Dans la série d’images réalisées ce jour-là, dans une chambre d’hôtel sans âme, deux accessoires arrêtent le regard : le slip et le saxophone du Nigérian.

Nudité politique

Ceux qui connaissent l’histoire du musicien né le 15 octobre 1938 à Abeokuta, au Nigeria, n’éprouvent aucune surprise à le voir parader, à l’aise et décontracté, dans cette tenue minimaliste. Fela adorait en effet se balader avec pour seul vêtement un slip aux couleurs chamarrées. Dans l’exposition Rebellion Afrobeat, où étaient présentées nombre de ses tenues de scènes, une vitrine entière était consacrée à ses fameux slips et les visiteurs pouvaient admirer onze d’entre eux.

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Portés sur scène comme à la ville, ces bouts de tissus colorés revêtaient pour lui une dimension politique : il s’agissait d’exposer sa minceur, bien différente de l’embonpoint des élites nigérianes se gavant sur le dos du peuple. Il s’agissait aussi d’arborer ses cicatrices, souvenirs douloureux de ses démêlés avec la police de son pays.

Artiste engagé, anticonformiste, panafricaniste, l’inventeur de l’Afrobeat apparaît ici dans une forme de nudité qui contraste puissamment avec l’époque contemporaine : les stars de la musique préfèrent aujourd’hui arborer fringues de marques, bijoux et accessoires bling-bling témoignant de leur réussite matérielle. La République de Kalakuta a vécu…

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