Yassine Balbzioui, plasticien marocain sans frontières

Performeur, peintre et globe-trotter, le Marocain créée une œuvre hétéroclite et audacieuse. Il vient de rejoindre la résidence de Port Tonic Art Center, dans le golfe de Saint-Tropez, où il expose depuis le 16 juillet.

L’artiste marocain Yassine Balbzioui, à la Galerie Shart, à Casablanca, en 2024. © DR

L’artiste marocain Yassine Balbzioui, à la Galerie Shart, à Casablanca, en 2024. © DR

Publié le 28 juillet 2024 Lecture : 4 minutes.

Il était à Marrakech, à la fin de mai, après avoir réalisé une performance au Salon du livre de Dakar, où il dédicaçait aussi son ouvrage, Identity to Rent, paru en 2022. Et dès le lendemain, à peine l’une de ses expositions touchait-elle à sa fin, à Paris, qu’il mettait en place une installation, Carousel, à la Galerie Shart (Casablanca), de Hassan Sefrioui.

Avec une fresque murale et de la peinture sur toile, réalisée à l’encre, le Marocain Yassine Balbzioui présente un univers fantastique, où se croisent « de la dérision et une profonde mélancolie », explique le galeriste, avec qui il collabore depuis une dizaine d’années et qui expose ses œuvres tous les deux ans.

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Parallèle avec « Fantasia » de Walt Disney

« C’est un performeur qui fait de la peinture, et non l’inverse, poursuit Sefrioui. Ici, il a débuté en faisant un parallèle entre la fantasia [spectacle équestre traditionnel dans le monde arabe] et le dessin animé du même nom, de Walt Disney [sorti en 1940]. Il a ensuite réalisé, avec les enfants de son quartier, une performance avec des plumes et des masques. Dans une autre exposition, il a détourné des affiches de films de série Z, puis a présenté des œuvres plus personnelles. Il s’adresse à notre mémoire collective. Pas élitiste dans ses choix, il est profond dans sa réflexion. »

Né en 1972 dans la région de Marrakech, Yassine Balbzioui grandit à Mohammedia, au sein d’une fratrie de huit. Son père, entrepreneur, s’essaie à quelques tours de magie, loue des cabanons de plage, puis devient gérant de station-essence et vend des matériaux de construction. Dans le quartier de Bab Marrakech, au cours des années 1980, Yassine découvre les musiques occidentales, Pink Floyd, Leonard Cohen, Sting. « C’était un milieu populaire, mais assez libre, ouvert sur le monde. »
Il étudie aux Beaux-Arts de Casablanca, puis de Bordeaux. « Une renaissance », qui l’amène à se confronter « à la scène artistique dans toute sa diversité : musique, théâtre, danse » et à s’essayer au chant au sein d’un groupe. Après un passage par l’Université de Californie (Berkeley), il s’installe à Paris, où il travaille comme agent d’accueil au Grand Palais. Il s’inspire des artistes présentés tout en développant son travail personnel, s’essaie à différentes techniques.
Il décroche sa première résidence en France, collabore avec un collectif d’artistes italiens. En  2012, il est invité à Bayreuth (Allemagne) pour animer un workshop avec des enfants réfugiés. Il les emmène au musée pour prendre des photos, réaliser des vidéos, créer des costumes… C’est le début de son travail intitulé Identity to Rent (« Identité à louer »), qui deviendra, dix ans plus tard, le titre de son ouvrage.

De Marseille à Johannesburg

Ses créations sur plusieurs médiums sont exposées à la Biennale de Dakar en 2016 et en 2018. Les projets s’enchaînent. À Marseille, au centre commercial de la Bourse, Yassine Balbzioui accroche un tapis de 26 mètres, réalisé avec des Marocaines ; dans le quartier Noailles, il réalise une fresque. À Johannesburg, dans le quartier de Brixton, il signe des performances et une autre fresque. À Madrid, il exécute un immense tableau sur la Fantasia, destiné au Musée national centre d’art Reina Sofía.
« Grâce à une vidéo, nous avons découvert son univers, qui oscille, avec une certaine dose d’ironie, entre espoir et désespoir, se souvient Katharina Fink, son éditrice à Iwalewa Books. Le livre que nous avons publié rassemble son travail – peintures et dessins principalement – dans différents genres et médiums. Dix-huit contributeurs ont participé à sa rédaction, en trois langues : arabe, anglais et français. »
Katharina Fink a accueilli l’artiste à plusieurs reprises, en Allemagne et à Johannesburg. « J’ai rencontré Yassine Balbzioui il y a quatre ans à Paris, à la Cité internationale des Arts, où ses aquarelles et tableaux étaient un peu chaotiques, pas vraiment aboutis, raconte la galeriste Anne de Villepoix, qui a exposé ses œuvres en avril-juin 2024. C’est à la foire 1-54, à Marrakech, en 2023, que j’ai été séduite par des aquarelles plus concentrées, par d’incroyables dessins sur céramique et par une performance très bien articulée », poursuit-elle en évoquant « sa poésie, son côté inattendu, son imaginaire allié à une dose de folie, qu’il maîtrise maintenant ».

De l’Inde à Marrakech

En décembre 2023, Yassine Balbzioui était invité en Inde par l’Institut français, dans le cadre du programme Villa Swagatam. Celui-ci a demandé à vingt brodeurs, qui travaillent habituellement pour des marques de luxe, de réaliser une dizaine de pièces. Celles-ci ont été exposées à New Delhi. L’une d’elles a rejoint le Palais Saadi, à Marrakech, une autre, un festival d’art textile en Allemagne.
L’artiste marocain vient de s’installer dans la résidence d’un centre d’art, dans le golfe de Saint-Tropez, où il expose depuis la mi-juillet 2024. Influencé par « Rembrandt, Goya pour ses gravures, Mike Kelley et sa collaboration avec Paul Mc Carthy », ainsi que par le Marocain Mohamed Abouelouakar, disparu en 2022, ou par ses contemporains africains Barthélémy Toguo ou Soly Cissé. Autres sources d’inspiration, les réalisateurs Jim Jarmusch et Jacques Tati, ainsi que le jazzman Tom Waits. Balbzioui vit entre son atelier de Marseille et Marrakech, où sa dernière exposition, « Charades », était dirigée par Simon Njami. Il y prépare un festival de jazz, « familial et intimiste », pour novembre prochain.
« Mes thèmes principaux ont sans doute été le masque et l’animalité. J’ai touché à l’enfance et aux arts populaires. Le point de départ est toujours mon ressenti, et, finalement, mon œuvre est un long autoportrait renouvelé au fil des occasions. En tant que Marocain, j’ai toujours refusé d’exporter l’exotisme. Les points de départ deviennent des prétextes. Un plasticien traite son travail comme une image, qui n’est pas une synthèse de la réalité. Il revient au public de l’interprèter à sa guise. »
« L’Écho des nouveaux mondes », Port Tonic Art Center, aux Issambres (dans le Var, en France), depuis le 16 juillet 2024.

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