Les Maghrébins en France : une longue histoire migratoire
Entre islamophobie et dénonciation d’un « grand remplacement », le Rassemblement national – comme le Front national avant lui – a toujours accusé la communauté d’origine maghrébine vivant en France de tous les maux. Une population dont la présence remonte pourtant à plusieurs siècles.
Voici le contenu d’une missive anonyme reçue par le journaliste Karim Rissouli, présentateur de l’émission télévisée « C ce soir » sur France 5, juste après les dernières élections européennes au terme desquelles le Rassemblement national est arrivé en tête en France. « Franchement Karim, tu n’as pas compris le vote du 9 juin. Ce n’est pas le pouvoir d’achat, ce n’est pas la retraite à 60 ans, ce n’est pas la privatisation de Radio France, la seule et unique raison fondamentale du vote RN, c’est que le peuple français historique en a plein le cul de tous ces bicots, le reste c’est du bla-bla. Le “Souchien” [Français de souche] ne t’acceptera jamais, ni toi, ni tes frérots, et même malgré le nombre vous ne posséderez jamais la France ».
Au-delà de la terminologie ouvertement raciste, cette lettre anonyme soulève la question du nombre d’immigrés, et spécifiquement d’immigrés originaires d’Afrique du Nord. L’historien français Charles Robert Ageron, grand spécialiste de l’Algérie, écrivait en 1985 que « l’immigration maghrébine fut naguère en France l’affaire de quelques journalistes et quelques spécialistes : elle est devenue un des problèmes majeurs de la société française […], un véritable défi de civilisation ». Ici bien évidemment l’historien fait un constat et non une remarque xénophobe.
Mais qu’en est-il en réalité de l’émigration des Maghrébins vers la France ? Cette présence a-t-elle toujours été le fait d’une migration ? Se limiter au passé à court et à moyen terme, c’est-à-dire à la colonisation et à la décolonisation, serait porter une réflexion lacunaire. Il faut donc élargir le spectre des migrations Sud-Nord dans un cadre temporel plus large.
Des Sarrazins aux Maghrébins
La présence maghrébine, c’est-à-dire arabo-berbère, en France remonte probablement à l’époque romaine, avec les péripéties du général carthaginois Hannibal et de ses troupes et éléphants, comme le retient de manière très imagée la conscience collective. Cependant c’est au VIIIe siècle, avec l’expansion de l’islam en Afrique du Nord puis dans la Péninsule ibérique, que les manuels d’histoire situent la venue des Arabes dans l’Empire franc.
L’épisode de la bataille de Poitiers et de Charles Martel est dans toutes les mémoires. Encore un fait d’arme historique qui sera largement exploité par la rhétorique d’extrême droite, à l’image de ce slogan lu et entendu il y a maintenant plus de 20 ans : « Charles Martel 732, Le Pen 2002 ». Traduction pour les lecteurs les plus jeunes : Jean-Marie Le Pen, arrivé cette année-là au second tour de la Présidentielle face à Jacques Chirac, serait à même, et à l’instar du maire du Palais d’Austrasie, une fois élu président de la République française, de stopper les migrants maghrébins. Lecture pour le moins biaisée de l’histoire de France.
Pour une meilleure compréhension, mieux vaut se tourner vers les historiens. En particulier vers Joanny Ray et sa thèse de doctorat intitulée les Marocains en France (1937). « Au nombre des corporations de la cité, écrit-elle, existait celle des « tapissiers de tapis sarrazinois ». Ces statuts enregistrés entre 1258 et 1268 confirmèrent les coutumes que leurs corporations possédaient. » Nous sommes donc au XIIIe siècle, à Paris, et la présence maghrébine est documentée. Pas uniquement dans la capitale. Allons en Méditerranée où les archives attestent également d’une présence arabo-musulmane. À Perpignan, à Marseille, on signale la présence de négociants maures.
En réalité, c’est le cas dans toute la Provence au Moyen Âge. Et là, plutôt que des tapissiers, ce sont des potiers, des fabricants de céramique de tradition islamique que l’on retrouve. En attestent les trouvailles archéologiques de ces deux premières décennies du XXIe siècle. Les ossements laissent supposer une vie de labeur intense au vu des déformations du squelette. L’entente avec cette communauté arabo-berbère et les autorités religieuses semble cordiale. À preuve, les symboles de l’évêché sur certains des récipients.
Colonialisme, romantisme et Arabes
Des tombes avec une orientation vers La Mecque marquent aussi l’observation dans ces régions du rite musulman, l’analyse ADN abondant dans ce sens. Il y a aussi Fraxinet, ou Fraxinetum, connu également comme le « massif des Maures », un comptoir sarrazin implanté dans le golfe de Saint-Tropez. Sa présence remonte au Xe siècle. Les chercheurs hésitent toujours sur sa nature : village, avant-poste militaire, comptoir marchand, repaire de pirates ou de brigands ?
Le XIXe siècle est l’âge du romantisme conquérant dans la pensée de l’art. Au travers de courants comme l’orientalisme, l’arabe et l’arabité, du Maghreb au Proche-Orient en passant par l’Égypte, gagnent une place de choix dans l’imaginaire artistique français. Dans l’esprit des Français, Arabes, Maghrébins ou musulmans, peu importe, se confondent dans un seul et même groupe qui, par abus de langage, sera étiqueté plus tard comme « immigrés ».
Toujours au XIXe siècle, les premiers Maghrébins à fouler le sol hexagonal sont, presque sans surprise, des commerçants. De tous temps, c’est une catégorie sociale qui voyage considérablement. Certains de ces négociants, Algériens, élisent autour de 1870 domicile dans la région marseillaise. Ils sont appelés « Turcos » et font la criée des marchés, des stations thermales ou balnéaires devenues une attraction touristique de choix, surtout l’hiver pour une haute bourgeoisie parisienne. Ils y écoulent des articles issus de l’artisanat nord-africain (tapis, peaux de chèvre ou de moutons, babouches…).
Durant la première décennie du XXe siècle, la tendance se confirme. Ce sont principalement des Kabyles venus des massifs algériens qui viennent travailler en France. Huileries, savonneries… les docks du port de Marseille voient se multiplier les ouvriers algériens. En 1912, leur nombre est estimé à un millier. La même année est instauré le Protectorat au Maroc, qui marque l’arrivée des travailleurs marocains dans la métropole. Marseille n’est plus la seule destination. Dans le Nord-Pas-de-Calais, la région parisienne, par exemple dans le gigantesque chantier du métropolitain, on peut entendre parler la darija, le dialecte du Maghreb.
Une précision s’impose : ce sont les pouvoirs publics qui, en réponse à des besoins spécifiques dans certains domaines de l’économie, font appel à une main d’œuvre étrangère. Il n’y a d’ailleurs pas que des Maghrébins, mais également des Belges, des Espagnols, des Italiens, des Polonais… Cette migration est strictement contrôlée avec permis de voyage, obligation de s’inscrire à la mairie, etc. Cela n’a pas empêché, tout de même, l’immigration illégale et la clandestinité, surtout des Marocains, avant sa légalisation.
Le XXe siècle : des soldats et des ouvriers
C’est certainement l’éclatement de la Première Guerre mondiale qui marque les débuts d’un transfert de masse des Maghrébins vers la métropole. Effort de guerre oblige, les Maghrébins sont aussi bien mobilisés au front – servant souvent de chair à canon en premières lignes comme pour les batailles de l’Ourcq ou de l’Aisne dans lesquelles les Tabors laissent derrière eux 3 200 tués – qu’à l’arrière dans les usines d’armement, ou dans les champs. 60 000 Maghrébins sont morts pour la France entre 1914 et 1918.
Dans l’entre-deux-guerres, les besoins de reconstruction et l’exploitation des mines accentue la tendance migratoire des Maghrébins vers la métropole. Les années trente, plombées par la crise économique, voient monter la xénophobie.
C’est durant ces années-là que l’on voit émerger des poncifs racistes qui font des Italiens et des Espagnols « des paresseux », des Maghrébins « des satyres syphilitiques »… Les opinions se radicalisent. « La lecture d’un rapport comme celui du Préfet de la Loire peut paraître surréaliste aujourd’hui, rapporte l’historien Ralph Schor. Ce Préfet n’imaginait aucune communication possible entre Français et Nord-Africains. « Il y a entre nous et eux un fossé que rien ne comblera. […] Moralement et physiquement ces étrangers que minent la tuberculose et la syphilis, ne peuvent rien donner de bon. S’ils s’adaptent, c’est dans la mesure où ils partagent les vices et non les qualités de la civilisation. »
Avec la Seconde Guerre mondiale, le schéma observé après le conflit précédent se répète. De nouveau, la reconstruction, encore plus que le conflit, va être vorace en main-d’œuvre maghrébine. Comme le seront les Trente Glorieuses où la dynamique positive de la croissance économique engendre des besoins accrus.
De la régulation à l’interdiction
Après l’indépendance des pays du Maghreb, entre 1956 et 1962, l’immigration s’effectue au travers d’accords d’État à État. Comment ne pas évoquer une catégorie particulière : celle des Harkis ? L’historienne et anthropologue Jocelyne Dakhlia explique qu’« officiellement, les premiers Français musulmans à acquérir une reconnaissance comme groupe, voire comme communauté, sont les Harkis, et l’on sait à quel point ils ont été physiquement et socialement marginalisés dans la France postcoloniale, logés dans des cités écartées ou des camps de forêt ». Par la suite, ce sont les accords de 1963 entre Paris et Rabat qui vont réguler les flux migratoires selon les besoins du marché du travail hexagonal.
Une décennie après, en 1974, soit deux ans après la création du Front national, ces accords sont suspendus. Et en 1986, le couperet tombe : le mur des visas est instauré. L’explication donnée à l’époque par la droite, revenue au pouvoir à l’occasion des législatives et imposant un gouvernement de cohabitation au président François Mitterrand : mettre un coup d’arrêt à l’arrivée des « terroristes » sur le territoire national. Pourtant en dépit de cette loi liberticide au vu de l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le terrorisme avait malheureusement encore de beaux jours devant lui.
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