Il y a 40 ans, la mort du général Raoul Salan

Le 3 juillet 1984, à Paris, disparaissait le général Raoul Salan. De 1917 à 1960, de la Grande Guerre à l’Indochine en passant par le Levant en 1921, la Seconde Guerre mondiale et l’Algérie, l’officier fut acteur de tous les conflits qui ont façonné le visage de la France contemporaine.

Le général Salan (deuxième à gauche) aux côtés des généraux putschistes Jouhaud et Challe (de g. à d.) à Alger, le 25 avril 1961, 72 heures après le début du putsch. © DALMAS/SIPA

Le général Salan (deuxième à gauche) aux côtés des généraux putschistes Jouhaud et Challe (de g. à d.) à Alger, le 25 avril 1961, 72 heures après le début du putsch. © DALMAS/SIPA

Publié le 3 juillet 2024 Lecture : 6 minutes.

À 9 heures sonnantes, le 5 juillet 1984 près de l’hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris a lieu la cérémonie de levée du corps du général Salan. Les honneurs militaires rappellent l’importance du défunt dans l’histoire récente du pays. Mais pas seulement : un coup d’œil rapide au parterre des participants à l’hommage fait également office de piqûre de rappel de l’histoire de l’Algérie française.

Le casting de l’Algérie française

On trouve parmi les présents le général Edmond Jouhaud, l’un des quatre chefs rebelles de l’OAS, Jacques Soustelle, ethnologue converti en gouverneur général de l’Algérie française (1955-1956), l’écrivain et journaliste Michel de Saint-Pierre, l’une des ferventes plumes de l’Algérie française, l’avocat Jean-Louis Tixier-Vignancourt, infatigable défenseur de l’Algérie française ainsi que Jean-Marie Le Pen, le leader du Front national qui, lorsqu’il était jeune député d’extrême droite, avait quitté les bancs de l’Assemblée nationale, en 1956, pour s’engager dans les parachutistes.

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Un casting qui permet de comprendre que parmi les nombreux faits d’armes du général Salan, c’est avant tout son passage en Algérie qui reste dans les mémoires.

C’est en décembre 1955 que le général Salan, fait grand-croix de la légion d’honneur trois ans plus tôt, est nommé général à la tête des armées en Algérie française. Sa mission est on ne peut plus claire. : en finir au plus vite avec ce que le Président du Conseil de l’époque, Pierre Mendès France, et son gouvernement définissent encore comme une rébellion, un trouble dans des département français d’outre-mer. « Le 1er novembre, le ministre résidant m’a demandé instamment d’accélérer le rythme des activités opérationnelles dans des délais aussi brefs que possible, en vue d’obtenir sur le plan militaire des résultats d’envergure, condition préalable et essentielle à la solution du problème politique en Algérie », note Raoul Salan dans ses mémoires.

« Décapiter la rébellion à l’intérieur »

L’empressement des autorités françaises à Paris, mais surtout à Alger, s’explique par l’engagement colossal qu’elles ont consenti, qu’on mesure au nombre de soldats venus de métropole ou des deux protectorats voisins, le Maroc et la Tunisie. Mais l’année 1957 commence mal pour le général Salan : le 16 janvier, on attente à sa vie. Un certain Philippe Castille le vise à l’aide d’un bazooka. Le général s’en sort indemne, cependant que son plus proche collaborateur succombe. L’acte démontre en tout cas que les Français d’Algérie ne lui font pas confiance : ils le prennent pour un « bradeur ». Cette tentative d’assassinat ne modifie en rien le cap qu’a pris Salan, dont l’objectif principal reste de harceler sans relâche les groupes armées du FLN sur tout le territoire et de détruire systématiquement leur infrastructure, aussi bien militaire que politique.

Force est de souligner un an plus tard l’échec de cette méthode. Les rebelles algériens mènent une guérilla de plus en plus active contre l’armée française. Dans une lettre au général Ély datée du 23 septembre 1957, Raoul Salan écrit : « En maints endroits, certaines bandes connues paraissent s’être diluées dans la population et l’armement stocké dans des caches […] Je vous demande d’accentuer votre effort sur l’infrastructure rebelle […] Vous vous attacherez à décapiter la rébellion à l’intérieur, et spécialement dans les villes, en mettant hors d’état de nuire chefs, commissaires et responsables de l’autorité. »

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Prérogatives policières

En d’autres termes, le général Salan demande à se subordonnées de mener une lutte policière contre les insurgés. Ce que confirment les historiens Mohammed Harbi et Benjamin Stora dans leur ouvrage La Guerre d’Algérie (2004) : « Sur ce “plan particulier” en dehors du domaine militaire que le général Raoul Salan peinait à définir plus précisément, les “moyens et les procédés de combat classiques” tels “les chars, les avions, les mitrailleuses” étaient inefficaces. En revanche, “les textes des codes, lois, décrets, arrêtés, instructions” constituaient de véritables “armes”. Le démantèlement des réseaux exigeait en effet que soit effectué un travail de police aboutissant à des condamnations par la justice. »

En somme, le général Salan complète les règles d’engagement de l’armée française sur le terrain en leur attribuant des prérogatives policières. « Ce processus culmina en 1958 quand [il] disposa de l’intégralité des pouvoirs civils. Pour la police, la nomination à compter du 15 mai 1958 du colonel Yves Godard à la tête de la Sûreté nationale en Algérie marquait la mainmise intégrale de l’autorité militaire sur ce service civil », poursuivent Stora et Harbi.

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La guerre d’Algérie va alors se politiser. Le retour du général de Gaulle au pouvoir, en 1958, et sa politique à l’égard de l’Algérie échauffent les esprits. De fait, le premier président de la Ve République entrouvre la porte à une possible indépendance de l’Algérie, ce qui est très loin de plaire aux défenseurs de l’Algérie française, quels qu’ils soient. En octobre 1959, la validation, par le vote de l’Assemblée nationale, d’une politique d’autodétermination met le feu aux poudres. Une partie de l’armée française, dont Raoul Salan, ainsi que des hommes politiques comme Jacques Soustelle sont vent debout. Les pieds noirs également.

De soldat de la République à chef de l’OAS

Ce mécontentement s’exprime concrètement dans la semaine des barricades à Alger, fin janvier 1960. La protestation se radicalise. Le glissement définitif a lieu le 11 février 1961 avec la création de l’OAS, l’Organisation de l’Armée Secrète, une formation paramilitaire d’extrême droite. Elle revendique haut et fort la francité de l’Algérie et, pour ce faire, n’hésite aucunement à recourir aux actions terroristes, aussi bien en Algérie que dans la métropole. Dans ce tumulte, Raoul Salan est toutefois écarté du jeu au profit du général Challe. Après le discours prononcé par de Gaulle le 11 avril 1961 qui parle de décolonisation, tout se précipite.

« Le “vent mauvais” du putsch militaire se lève le 22 avril 1961 […] Les autorités civiles et militaires d’Alger sont arrêtées au cours de la nuit par les putschistes. À l’aube, les généraux Challe, Jouhaud et Zeller créent un Conseil Supérieur de l’Algérie […] En métropole, on apprend avec stupeur le coup de force », rappellent Benjamin Stora et Mohammed Harbi. Et le général Salan dans tout cela ? Après son remplacement par Challe, il a été nommé au poste honorifique d’inspecteur général de la Défense nationale, puis gouverneur militaire de Paris début 1959, avant de quitter le service actif en juin 1960. Toujours attaché au principe de l’Algérie française, il s’est ensuite installé à Alger avec sa famille, et ce malgré l’interdiction qui lui en a été faite par Paris.

Le putsch fait pschitt

En 1961, Salon n’est donc plus un général d’active. L’ancien fidèle soldat de la République bascule : il prend la tête de l’OAS à Alger. Essayant de donner un visage plus acceptable à l’organisation, il propose un « amendement Salan » qui prévoit de réduire le service militaire mais, en contrepartie, de mobiliser la population française d’Algérie. Au bout de trois jours cependant, le 25 avril, le putsch fait pschitt ! Les généraux sont arrêtés.

Salan entre dans une semi-clandestinité. C’est le temps des assassinats ciblés, des attentats aveugles, des mitraillages de café, des bombardements aux mortiers de places publiques dans les villes. Un commando tente même d’assassiner le président de Gaulle. Salan, lui, n’en démord pas. Échappant aux policiers qui le traquent, il nargue même la République, comme le rapporte un article du quotidien Le Monde du 9 septembre 1961 : « L’ex-général, lui-même, a lancé le 28 mai un “appel”, où il est dit notamment : « Moi, général d’armée Raoul Salan, je prends la tête du combat pour le grand mouvement de rénovation nationale… J’ai décidé de rassembler tous les patriotes dans un front de combat avec la devise :  » Algérie française ou mourir « , qui guidera notre action, exaltera notre toi et notre farouche résolution. » »

Condamné à mort par contumace en juillet 1961, il finit par être capturé à Alger le 20 avril 1962. Après son transfert en métropole, le Haut Tribunal militaire le condamne à la détention criminelle à perpétuité. Emprisonné à Tulle avec les généraux putschistes, Raoul Salan sera, comme eux, amnistié par le général de Gaulle en 1968. Comme si le vent de contestation qui a soufflé cette année-là avait emporté avec lui les méfaits de l’histoire.

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