France : les promesses du RN sur l’immigration confrontées aux limites du droit
Le Rassemblement national a promis, s’il devait prendre les rênes du gouvernement, l’instauration d’une loi « d’urgence » sur l’immigration. Mais la mise en œuvre du programme du parti d’extrême droite nécessiterait l’ouverture d’un vaste chantier de révision de la Constitution et des traités européens.
La « préférence nationale », rebaptisée « priorité nationale » par le Rassemblement national (RN), continue d’être le fil conducteur doctrinal du parti. S’il devait accéder à Matignon au terme des élections législatives dont le deuxième tour se déroule dimanche 7 juillet, le candidat Jordan Bardella prévoit de « réserver les aides sociales aux Français et de conditionner à cinq années de travail en France l’accès » à certaines prestations sociales « comme le RSA [revenu de solidarité active] ».
En avril, le Conseil constitutionnel avait rejeté la demande de référendum des Républicains sur l’immigration qui conditionnait les aides sociales non contributives (aide médicale de l’État, RSA, allocation adultes handicapés…) à une durée de résidence en France.
« La Constitution ne s’oppose pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales pour les étrangers en situation régulière soit soumis à une condition de durée de résidence ou d’activité, mais cette durée ne peut priver les personnes défavorisées d’une politique de solidarité nationale », avait exposé le président du Conseil, l’ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius, dans un entretien au Monde.
Jordan Bardella prône une « double frontière »
Jordan Bardella a également évoqué la mise en place d’une « double frontière ». Ce concept prévoit de durcir le contrôle aux frontières extérieures de l’Union européenne (UE) et d’imposer le retour du contrôle aux frontières nationales pour « réserver la libre circulation Schengen aux seuls ressortissants européens », dit le RN qui veut « ouvrir des négociations » avec les « partenaires européens ».
Aujourd’hui pourtant, « vous ne pouvez pas empêcher un Européen de rentrer en France, car les accords de Schengen instaurent la liberté de circulation », expose Yves Pascouau, chercheur senior associé à l’Institut Jacques Delors. « Même par un référendum, par une révision de la Constitution, cela dépasse la question française, ce sont les accords Schengen qui s’appliquent », poursuit-il.
« Vous ne pouvez plus dire que ces contrôles ne sont rétablis que pour les étrangers, à moins de faire un contrôle au faciès. Vous devez donc contrôler tout le monde », ajoute le chercheur.
Depuis 2015, invoquant la pression migratoire ou la menace terroriste, un certain nombre de pays ont cependant réintroduit des contrôles d’identité à leurs frontières. Ils sont actuellement huit à le faire (Slovénie, Italie, Allemagne, Autriche, France, Norvège, Danemark, Suède).
L’Union européenne vient d’ailleurs d’adopter, fin mai, une réforme du code Schengen, destinée à clarifier le cadre prévu pour la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures de l’espace de libre circulation, et à harmoniser les restrictions en cas d’urgence sanitaire.
L’aide médicale d’État restreinte voire supprimée ?
L’aide médicale de l’État (AME), qui garantit aux étrangers en situation irrégulière depuis plus de trois mois en France la prise en charge gratuite de soins médicaux sous condition de ressources, serait, propose encore le RN, transformée en « aide d’urgence vitale » réservée aux cas où le pronostic vital est engagé.
problématique, là encore : la Constitution indique que le pays « assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et qu’elle garantit « à tous » la protection de la santé.
« Restreindre complètement cette aide médicale d’État, ou la supprimer avec tous les dangers pour la santé publique que ça peut créer, c’est méconnaître l’impératif constitutionnel. Tout va être dans la proportionnalité de la mesure », estime Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public.
Droit du sol
Le RN entend aussi revoir les règles qui permettent l’acquisition de la nationalité et propose que « seul un enfant né d’au moins un parent français ait accès automatiquement à la nationalité française ». « Tout enfant né de deux parents étrangers sur le sol français ne pourra accéder à la nationalité qu’après une demande à partir de ses 18 ans », précise-t-il.
Cette mesure fait écho à la loi Pasqua de 1993 qui soumettait l’obtention de la nationalité à une procédure explicite de déclaration entre l’âge de 16 et 21 ans. Celle-ci a été supprimée sous le gouvernement d’union de la gauche mené par la socialiste Lionel Jospin, en 1998.
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Le Conseil constitutionnel a certes validé une restriction du droit du sol à Mayotte dans la loi Collomb de 2018, mais en soulignant la situation spécifique, de ce territoire d’outre-mer soumis à une forte pression migratoire. « Une restriction totale du droit du sol sur tout le territoire, à mon sens, ne passe pas », sauf révision de la Constitution, estime Anne-Charlène Bezzina.
« L’acquisition de la nationalité est inscrite dans un décret de 1889 et a été d’application continue. Le Conseil constitutionnel pourrait donner une valeur constitutionnelle à cette acquisition de la nationalité par le sol et le sang estimant qu’elle fait partie de l’histoire française », analyse la constitutionnaliste.
Interdire aux binationaux l’accès à certains emplois
Le RN veut, enfin, interdire, par « une loi organique et un décret », aux « binationaux » d’occuper des emplois « extrêmement sensibles ». Cela concernerait « très, très peu de personnes », a précisé Jordan Bardella. En janvier, le parti avait déposé une proposition de loi qui prévoyait la possibilité d’interdire l’accès à des emplois dans les administrations et entreprises publiques françaises possédant également une nationalité d’un autre État.
Cette mesure qui rompt avec le principe d’égalité ouvre la possibilité de « recours devant la Cour européenne des droits humains ou le Conseil d’État », selon le professeur de droit public Serge Slama. Dans beaucoup de pays, on ne peut pas renoncer à sa nationalité. Or la France « ne peut pas dire aux autres pays de changer leur mode d’évolution de la nationalité », complète sa collègue Gwénaële Calvès.
(avec AFP)
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