L’Armée d’Afrique, des « étrangers » au secours de la France
Spahis, goumiers, tirailleurs, zouaves, tabors… Au XIXe et au XXe siècles, ils ont combattu, enrôlés de force, avec les Français, jouant souvent un rôle déterminant. Leur apport dans la guerre de 1870 contre la Prusse est souvent méconnu.
L’adjonction d’« étrangers » aux troupes françaises commence dès le XVIIIe siècle dans les premières colonies, sous l’Ancien Régime. « Des recrutements locaux afin de compléter les “unités blanches” », comme l’explique le politologue et historien Emmanuel Blanchard. Mais c’est au XIXe siècle que le phénomène prend une véritable ampleur, quand les armées de la Restauration (1814-1830) puis de la monarchie de Juillet (1830-1848) prennent d’assaut le sol algérien, au début de l’été 1830.
L’aventure militaire devient très bientôt sociétale, et c’est le visage même de la France qui s’en trouve modifié. Enrôlés de force, les Algériens feront désormais partie de toutes les guerres que mènera la patrie française. Dans cette perspective, l’année 1834 représente une date charnière – même si deux ans plus tôt, déjà la France mettait sur pied des bataillons de la Légion étrangère, prélevés dans les milices ottomanes battues –, celle de la création de l’Armée d’Afrique par le futur maréchal Bugeaud (1784-1849), qui mène tambour battant l’invasion de la Régence d’Alger, des côtes méditerranéennes jusqu’à la lisière du Sahara.
Zouaves, tirailleurs, spahis…
La nouvelle armée est conçue au début, comme son nom l’indique, pour mener les batailles dans les colonies françaises en Afrique. D’une certaine façon, cette armée est un subterfuge pour contourner le traité de Vienne (1815) qui, actant définitivement la défaite de l’armée napoléonienne, fixait un quota de 100 000 hommes à l’armée française. Entre 1834 et 1847, les effectifs de l’Armée d’Afrique dépassent les 107 000 hommes. Elle se distingue par sa multiethnicité : on y incorpore, pour reprendre les termes de l’époque, des « indigènes ».
À partir de 1832, elle est rejointe par les zouaves, « des unités finalement européanisées en 1842 », explique l’historien Pierre Vermeren dans son Histoire de l’Algérie contemporaine : de la Régence d’Alger au Hirak (Nouveau Monde, 2022). L’Armée d’Afrique ne cessera de s’enrichir. Suivront les régiments de tirailleurs algériens (RTA), dénommés un peu plus tard les « Turcos ». Toujours selon Pierre Vermeren, ce surnom leur aurait été donné par les Russes lors du siège de Sébastopol, en Crimée, en 1854. En 1845, c’est le tour des spahis, un corps de cavalerie qui vient en soutien aux zouaves. Ceux-là se feront remarquer par leur bravoure lors de la guerre franco-prussienne de 1870.
« L’Armée d’Afrique se lance dans la conquête séculaire de l’Afrique du Nord, jusqu’en 1934. Elle devient l’outil militaire privilégié de la France pour toutes les guerres conduites dans le monde jusqu’en 1950 », poursuit Pierre Vermeren. Et de développer : « Ce sont en premier lieu des unités combattantes utilisées sur tous les conflits de l’armée française […]. Elles enchaînent sans transition des opérations en Afrique du Nord, en Europe et dans le monde, étant considérées comme faisant partie des meilleures troupes françaises, notamment parce qu’elles ont l’expérience du feu. »
Une troupe qui a rehaussé le prestige français
Partout où la France s’engage, peu importe le régime – la monarchie, l’empire ou la République –, l’armée d’Afrique est de toutes les aventures militaires, aussi bien sur le territoire national que sur les théâtres d’opération extérieurs. Leur puissance de feu, leur ardeur au combat et leur bravoure rehaussent le prestige de la France. En 1854, ils participent à la prise de Sébastopol dans la guerre de Crimée. « Les zouaves confirment leur formidable réputation au cours des batailles de l’Alma, d’Inkermann et devant Sébastopol », souligne l’historien Anthony Clayton dans son Histoire de l’armée française en Afrique, 1830-1962 (Albin Michel, 1994).
Puis arrive la campagne d’Italie, en 1859, et la fameuse bataille de Solférino où les zouaves battent à plat couture les Autrichiens. Impressionné par leur prestation, le roi Victor-Emmanuel II leur attribue la médaille d’or de Milan, une haute distinction dans la Péninsule italienne. Ultérieurement, en 1860, les combattants indigènes sont dépêchés en Syrie et au Liban, où Napoléon III engage l’armée française pour défendre les Arabes chrétiens massacrés par les Druzes au mont Liban. On les trouve aussi en Chine, dans la seconde guerre de l’opium (1856-1860), durant laquelle un escadron spahi met en déroute la redoutable cavalerie tatare. En fait, leurs faits d’armes sont si nombreux et remarquables que l’Empereur décide qu’ils ont leur place dans la Garde Impériale, 150 spahis feront désormais partie de cette troupe d’élite.
En première ligne
En 1870, l’heure est grave : cette fois, c’est le territoire de la nation qui est menacé. L’armée d’Afrique répond présente. Dans la guerre qui oppose la France à la Prusse, les troupes françaises sont moins nombreuses et moins aguerries que leurs adversaires. Pour compenser ce déficit en hommes et en puissance de feu, il est fait appel à l’armée d’Afrique. « Cette force noire [selon les paroles du général Mangin] fut de plus en plus envisagée comme une “réserve d’hommes” qui permettait de lutter d’égal à égal contre l’ogre démographique allemand », décrypte en avant Emmanuel Blanchard.
« L’armée d’Afrique envoie ainsi en France quatre régiments de chasseurs d’Afrique, trois bataillons de Légion, quatre régiments de zouaves, chacun à quatre bataillons, auxquels viennent se joindre des unités formées de réservistes, trois régiments à trois bataillons de tirailleurs algériens, et trois bataillons d’infanterie légère. Les troupes de marine constituent le noyau d’une division d’élite, la Division bleue », détaille l’historien Anthony Clayton. Précisions : un régiment regroupe entre 1 000 et 3 500 hommes et un bataillon entre 300 et 1 200 combattants.
L’Armée d’Afrique se distingue particulièrement dans la bataille de Bazeilles, près de Sedan, sous le commandement du général de Vassoigne (1811-1891). Meaux, Nanteuil-le-Haudouin, Patay, Savigny… Spahis, zouaves et tirailleurs sont partout. En janvier 1871, en pleine débandade de l’armée française, ce sont eux qui assurent l’arrière-garde des troupes de la métropole, harcelées par des dragons prussiens et des uhlans, des cavaliers mercenaires.
Les combattants venus d’Afrique seront encore en première ligne lors des deux Guerres mondiales – cela est beaucoup plus connu et documenté –, dans la brousse indochinoise et dans la guerre d’Algérie. Malgré leurs sacrifices, la métropole aura souvent bien du mal à leur témoigner sa reconnaissance. Et pourtant, sans les « indigènes », l’histoire militaire de la France aurait une tout autre couleur.
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