Roland Dumas et l’Afrique : des plaidoiries au scandale

L’ancien ministre français est mort ce mercredi 3 juillet, à l’âge de 101 ans. De la défense du FLN à l’affaire Elf, en passant par sa proximité avec Mouammar Kadhafi et Laurent Gbagbo, retour sur les « aventures africaines » de Roland Dumas.

Roland Dumas pose dans son bureau parisien le 15 décembre 2014. © Joël SAGET / AFP

Roland Dumas pose dans son bureau parisien le 15 décembre 2014. © Joël SAGET / AFP

Publié le 3 juillet 2024 Lecture : 5 minutes.

C’est une figure aussi historique que controversée de la « Mitterrandie » qui vient de s’éteindre en France. L’ex-avocat Roland Dumas, avocat, engagé dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, plusieurs fois ministre et ancien président du Conseil constitutionnel, s’est éteint mercredi 3 juillet à l’âge de 101 ans.

Un siècle d’une vie au cours de laquelle il a notamment, à de nombreuses reprises, lié son destin avec celui du continent. En 1995, ce fut d’ailleurs sa condamnation dans l’affaire Elf, quintessence d’une Françafrique mêlant corruption, détournements et jeux troubles entre milieux d’affaires et politique, qui fut à l’origine de sa chute politique.

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Retour sur six moments clés des « aventures africaines » de Roland Dumas.

• Avocat du « réseau Jeanson »

En 1960, lorsque s’ouvre le procès dit du « réseau Jeanson », une organisation de « porteurs de valises » du Front de libération nationale (FLN) algérien, Roland Dumas est l’un des quatre avocats de Francis Jeanson, aux côtés de Maurice Gautherat, Jacques Libertatis et Gisèle Halimi. Alors que le militant anticolonialiste est jugé par contumace, Roland Dumas le rencontrera plusieurs fois, en secret, pour l’informer des éléments du dossier et des détails de l’instruction.

Lors de ce procès très médiatique, à très haute teneur politique, Roland Dumas donne notamment la réplique à Jacques Vergès, avocat du FLN, qui opte, lui, pour une stratégie de rupture. L’avocat se fera également, au cours du procès, le porte-parole de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, cosignataires du Manifeste des 121, qui, en septembre 1960, proclame le « droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie ».

Francis Jeanson, condamné à dix ans de prison par contumace à l’issue du procès, sera gracié en 1966 par le général de Gaulle.

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• L’affaire Ben Barka

Six ans plus tard, en janvier 1966, c’est encore sous une robe noire et pour défendre une cause politique en lien direct avec le continent que l’on retrouve Roland Dumas, cette fois aux côtés d’Abdelkader Ben Barka, frère de Mehdi Ben Barka. L’enlèvement, en octobre 1965, du militant tiers-mondiste et opposant à Hassan II – Mehdi Ben Barka avait été condamné à mort par contumace en 1963 par la justice marocaine – , provoque un scandale d’État en France, lorsqu’il apparaît que plusieurs membres des « services » français ont participé au rapt. Et ce en lien avec plusieurs ministres marocains.

À l’issue d’un procès lors duquel le secret d’État fut plusieurs fois brandi, freinant le travail des enquêteurs et limitant la portée de l’instruction, un policier français et son homme de main seront condamnés respectivement à six et huit ans de prison. Plusieurs hauts responsables militaires et politiques marocains sont également condamnés, par contumace, à la réclusion criminelle à perpétuité. Des peines que les autorités marocaines n’accepteront jamais de faire appliquer.  L’affaire provoquera une rupture profonde entre Charles de Gaulle et Hassan II.

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• Les diamants de Bokassa

Au début des années 1980, Roland Dumas, avocat du Canard enchaîné, défendra le journal français face à Valéry Giscard d’Estaing dans l’affaire dite « des diamants de Bokassa ». En octobre 1979, face aux révélation du journal sur le cadeau somptueux accordé par « l’empereur » centrafricain au président français, Valéry Giscard d’Estaing se drape dans une morgue toute aristocratique et balaie l’affaire d’un revers de main.

Aux côtés de deux de ses cousins, François et Jacques, le président français attaque le journal en diffamation. Ce procès, Roland Dumas va le perdre : le Canard enchaîné est condamné, en appel, à verser 1 franc symbolique de dommages et intérêts. Mais l’affaire aura pesé. Peu après, Giscard échoue à se faire réélire face à François Mitterrand.

• L’affaire Elf

Ce très proche de François Mitterrand a été plusieurs fois ministre, de 1983 à 1993. Il a en particulier été un ministre des Affaires étrangères d’une grande longévité, dirigeant la diplomatie française de 1988 à 1993 dans pas moins de quatre gouvernements successifs. Il a, lors de cette période, eu l’occasion de nouer de très nombreux liens avec plusieurs dirigeants africains, notamment Mouammar Kadhafi et Laurent Gbagbo. Il aura aussi scellé son destin politique : c’est à cette époque que le volet « affaire Dumas » de la tentaculaire « affaire Elf » se noue.

Du début des années 1980 au début des années 1990, les bénéfices de l’or noir extrait pour une large part sur le continent, et notamment au Gabon, sont détournés au profit d’une partie de la classe politique française, grâce à un système mis en place par les dirigeants d’Elf d’alors, Loïk Le Floch-Prigent et Alfred Sirven. Le « volet Dumas » de ce dossier éclate en 1997 : Christine Deviers-Joncour est mise en examen pour « abus de biens sociaux ». Celle qui était, à l’époque, la maîtresse de Roland Dumas, est soupçonnée de détournements et d’avoir profité d’un emploi fictif au sein d’Elf.

Roland Dumas, qui avait été nommé président du Conseil constitutionnel par François Mitterrand en 1996, est contraint, en 1999, de se mettre « en retrait » de l’instance. Il démissionnera en 2000. Condamné en première instance à trente mois de prison, dont deux ans avec sursis, pour « recel d’abus de biens sociaux », il sera finalement relaxé en appel, en janvier 2003. Mais l’affaire marque la fin de la carrière politique de Dumas, dont l’aura est plus que ternie.

• Le soutien à Laurent Gbagbo

En 2010, alors que la crise électorale fait rage en Côte d’Ivoire, Roland Dumas s’engage résolument en faveur de Laurent Gbagbo. Un combat dans lequel il retrouve, à nouveau, Jacques Vergès. Fin décembre 2010, aux côtés de Jacques Vergès, il se rend à Abidjan, alors que les combats font rage. Les deux hommes sont reçus avec tous les honneurs par Laurent Gbagbo.

Alors que l’ONU, l’Union africaine, l’Union européenne et la Cedeao appelaient d’une même voix Laurent Gbagbo à céder le pouvoir à Alassane Ouattara, Roland Dumas, qui était alors déjà âgé de 88 ans, persiste et soutient le patron du Front populaire ivoirien, allant jusqu’à fustiger devant les médias une communauté internationale qui se résumerait selon lui à « quelques personnalités qui se mêlent de tout ».

• L’ami Kadhafi

Un an plus tard, c’est en Libye que Roland Dumas se rend. Là encore, il est accompagné de Jacques Vergès. Les deux hommes sont reçus à Tripoli à la fin de mai 2011, alors que l’intervention militaire occidentale – menée sous l’égide de l’ONU – a démarré depuis près de trois mois. Dénonçant une « agression brutale contre un pays souverain », Roland Dumas affirme alors vouloir constituer un dossier en vue de poursuivre pour « crime contre l’humanité » le président français Nicolas Sarkozy, l’un des principaux artisans de l’intervention militaire.

Il promet alors également de défendre Kadhafi si ce dernier venait à être traduit devant la Cour pénale internationale. Dans un entretien accordé au Figaro en 2011, Roland Dumas affirme que ses liens privilégiés avec Mouammar Kadhafi remontent en réalité à 1986. Il a alors quitté le gouvernement français, en raison de la période de cohabitation, mais François Mitterrand continue de le consulter sur les questions internationales.

Alors que les États-Unis demandent à la France une autorisation de survol de son territoire en vue de mener un bombardement sur Tripoli – en riposte à un attentat à la bombe perpétré dans une discothèque berlinoise –, Roland Dumas conseille à Mitterrand de refuser. Avec succès. « Cela a ajouté 14 heures de vol. Pendant ce temps, Kadhafi s’est mis à l’abri », affirmait l’ancien ministre, en février 2011. Six mois plus tard, lors d’une visite privée de l’avocat à Tripoli, le Libyen ne s’y trompe d’ailleurs pas et lui lance « Vous m’avez sauvé la vie ! ».

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