L’Otan et le Maghreb : un partenariat aux contours flous

Par sa position centrale et sa proximité avec les côtes européennes, l’Afrique du Nord a vocation à collaborer avec l’organisation militaire occidentale, mais pas à y adhérer. Une nuance qui génère frictions et incompréhensions.

Les porte-avions français Charles de Gaulle (R 91), à gauche, américain Nimitz USS Harry S. Truman (CVN 75) et italien ITS Cavour (C 550) en mer Ionienne, le 17 mars 2022. © Mass Communication Specialist 3rd Class Bela Chambers via ABC/Andia.fr

Les porte-avions français Charles de Gaulle (R 91), à gauche, américain Nimitz USS Harry S. Truman (CVN 75) et italien ITS Cavour (C 550) en mer Ionienne, le 17 mars 2022. © Mass Communication Specialist 3rd Class Bela Chambers via ABC/Andia.fr

Publié le 17 juillet 2024 Lecture : 5 minutes.

Entre le 9 et le 11 juillet, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) a soufflé sa soixante-quinzième bougie dans un climat de tension avec la Russie. Il y a trois quarts de siècle, en pleine Guerre froide, douze pays occidentaux  se juraient fidélité mutuelle en cas d’agression. Aujourd’hui, avec la guerre en Ukraine, l’Alliance atlantique est de nouveau au centre du jeu, se cherchant des alliés non-occidentaux, surtout dans une région aussi stratégique que le bassin méditerranéen.

Dialogue méditerranéen

Avec la Suède, 32e pays à adhérer à l’Otan, cette dernière ne cesse de s’agrandir. D’autant que certains pays de l’ex-giron soviétique tels que l’Ukraine, la Bosnie-Herzégovine ou la Géorgie frappent à sa porte avec insistance. En revanche, les pays du Maghreb ne font pas partie de l’Alliance atlantique car ils n’appartiennent pas stricto sensu à l’Atlantique Nord.

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Question de géographie, mais pas seulement : si les pays riverains du nord de la Méditerranée sont, pour la plupart, intégrés à l’Otan, ce n’est le cas d’aucun des riverains du sud. Et pourtant, ni la géopolitique, ni la géostratégie de la Méditerranée ne s’arrête subitement au milieu du bassin méditerranéen. Difficile alors de ne pas compter sur les pays du Maghreb pour assurer la sécurité du flanc méridional de l’Alliance. Depuis 1994, le Dialogue méditerranée (DM) est très suivi entre l’Alliance, les pays du Maghreb, Israël et la Jordanie.

« Les pays du DM partagent leur expertise, leurs bonnes pratiques et leurs connaissances avec l’Otan pour la prévention de l’extrémisme violent et la lutte contre ce phénomène, la protection des infrastructures énergétiques critiques, la défense antimissile ou la cybersécurité, pour ne citer que quelques exemples. Ces échanges sont essentiels pour une meilleure compréhension des menaces communes », est-il indiqué sur le site de l’Alliance atlantique.

Ses statuts prévoient d’accorder un statut juridique spécial à certains pays, sans pour autant les accueillir en son sein. « Le Maroc n’a rencontré aucune difficulté pour obtenir le statut d’allié privilégié non Otan, bénéficiant ainsi des fonds nécessaires au financement de nouveaux matériels militaires », expliquent Valérie Morales-Attis et Guillaume Jobin dans Le Roi, le Maroc de Mohammed VI (Descartes & Cie, Paris, 2019). Jouissant du statut d’allié majeur, le royaume peut non seulement participer aux manœuvres de l’Alliance atlantique et accueillir sur ses bases aériennes ou navales ses aéronefs ou bâtiments mais également participer militairement aux opérations de maintien de la paix, comme en ex-Yougoslavie dans les années 1990.

De la Guerre froide à lutte anti-terroriste

Le Maghreb occupe une position d’autant plus stratégique entre les États-Unis et l’ex-Union soviétique que la Méditerranée est un centre de gravité incontournable. « Système-monde au carrefour de trois continents, elle porte en elle toutes les composantes d’un haut lieu de la Guerre froide globale en ce qu’elle voit se croiser toutes les problématiques des années 1945-1990, de la création des blocs à la décolonisation, de la détente au non-alignement, de la maîtrise des armements aux droits humains », explique l’historien Nicolas Badalassi dans son article intitulé « La Méditerranée dans la Guerre froide globale, historiographie d’un espace-monde » (Cahier de la Méditerranée, 2021).

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Après la chute du mur de Berlin, la donne change du tout au tout. Du jour au lendemain, le Maghreb va incarner la partie septentrionale du Sud global, notamment à cause du déplacement de la ligne de clivage Est-Ouest en Nord-Sud. D’où l’intérêt géostratégique de faire du Maghreb un partenaire privilégié dans la lutte contre les menaces sécuritaires (hard security) comme démographiques et migratoires (soft security).

La prise de conscience de la menace que constitue le radicalisme religieux intervient dans le sillage de la première Guerre du Golfe. L’Otan se trouve alors confrontée à des groupes terroristes potentiellement capables de se doter de technologie militaire permettant de frapper le territoire européen. Elle souhaite leur couper l’herbe sous les pieds en s’assurant du soutien de certains gouvernements.

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De l’aveu même de Willy Claes, huitième secrétaire général de l’Otan qui accordait un entretien au quotidien britannique Financial Times en 1995, l’islamisme « représente le défi le plus important pour l’Europe de l’Ouest […]. L’intégrisme est au moins aussi dangereux que le communisme ». L’analogie est significative. Et pas si surprenant quand on se replace dans le contexte de l’époque : celui de la situation sécuritaire en Algérie après 1990 où le FIS (Front Islamique du Salut), empêché de gouverner après les législatives, glisse dans la clandestinité et les attentats. Celui aussi des attentats de 1995 en France, ou de 2004 à Madrid, qui furent autant de signaux d’alarme venant conforter l’analyse de Willy Claes.

L’autre élément nous ramène à la « soft security » : le contrôle des flux migratoires est une priorité pour les Occidentaux, mais la surveillance des frontières ne se réduit pas qu’à cela. L’Alliance atlantique devient une force de police et entend contrer la criminalité, le trafic de drogue, épousant les objectifs de l’Union européenne et de son agence Frontex.

Le projet américain de Great Middle East

Après les attentats du 11-Septembre, « hard » et « soft » security deviennent les deux faces d’une même pièce et le DM se transforme en une plateforme de lutte contre le terrorisme mondialisé. Dès le lendemain de l’attaque de New York, et forte du traité de Washington signé le 4 avril 1949, l’Alliance atlantique renforce sa présence en Méditerranée. Première cible : le détroit de Gibraltar dans lequel les navires sont désormais escortés. Les guerres menées en Afghanistan, puis en Irak ne vont que rehausser le caractère stratégique de la zone, appelant les pays du Maghreb a plus de coopération. L’Algérie de Bouteflika, qui sort des années noires et fait montre de ses compétences antiterroristes, intègre le Dialogue méditerranéen.

Mais ces nouveaux terrains d’affrontement viennent aussi brouiller les cartes : qui, de l’Otan ou de Washington, contrôle la Méditerranée ? Difficile de faire la part des choses, d’autant que le projet très conservateur du Great Middle East, ravivé par le président George W. Bush, ne clarifie pas les choses. Ce « Grand Moyen Orient » semble dissoudre les pays du Maghreb dans un vaste ensemble allant de la Turquie à l’Afghanistan en passant par la Mésopotamie. De quoi ajouter de la confusion entre des pays du Maghreb et un Proche-Orient qui n’ont pas les mêmes priorités stratégiques, encore moins politiques ou économiques.

Des discours tel que celui du secrétaire général de l’Otan entre 2004 et 2009, le Hollandais Jan de Hoop Scheffer, ne sont pas pour apaiser les craintes politiques des pays du Maghreb. Le 6 avril 2006, celui-ci déclare au journal marocain Le Matin : « Il faudra que la coopération pratique aille de pair avec une intensification du dialogue politique à mesure que nous enrichirons notre relation ». C’est précisément là où le bât blesse. Ni le Maroc, ni la Tunisie ou l’Algérie, encore moins la Mauritanie, à la mémoire encore meurtrie par la (dé)colonisation française, ne sont prêts à accepter une ingérence extérieure dans leurs affaires internes, et cela quelles qu’en soient la nature ou la portée. Sans parler d’Israël, la pomme de discorde dans tout cet ensemble que l’Otan considère comme un possible futur membre. Ce qui, on s’en doute, fait grincer des dents dans nombre de capitales arabes ou maghrébines.

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