Le 22 août 1978, Jomo Kenyatta tirait sa révérence

Père de l’indépendance, le chef de l’État kényan s’éteignait après quinze années d’un règne sans partage. Voici le récit qu’en fit à l’époque François Soudan, dans Jeune Afrique.

Jomo Kenyatta, président du Kenya de 1963 à sa mort, en 1978. © Iberfoto/AISA/Roger-Viollet

Jomo Kenyatta, président du Kenya de 1963 à sa mort, en 1978. © Iberfoto/AISA/Roger-Viollet

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 22 août 2024 Lecture : 3 minutes.

Avec la mort de Jomo Kenyatta, survenue mardi 22 août [1978] dans le port de Mombasa, disparaît l’une des figures les plus illustres de l’Afrique moderne. Père de la liberté kényane, chef de l’État depuis l’indépendance (12 décembre 1963), le vieux mzee symbolisait mieux peut-être que tout autre leader africain les espoirs, les déceptions et les contradictions du continent noir.

Né il y a quatre-vingt-cinq ans à Ichaweri, au cœur du pays kikuyu, ethnie dominante de ce qui était alors la colonie britannique du Kenya, Kamau wa Ngengi se présenta, en 1909, à la mission protestante de Muranga.

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Révolte des Mau-Mau

En 1922, il rejoint l’Association des jeunes kikuyu, dirigée par Harry Thuku, première manifestation d’opposition à l’arbitraire colonial. En 1924, l’association prend le nom de Kikuyu Central Association (KCA). Quatre années plus tard, Kenyatta en devient le secrétaire général. La KCA, organisation tribaliste ouverte uniquement aux membres de l’ethnie kikuyu, connaît alors un développement qui ne manque pas d’inquiéter l’autorité britannique. Elle lutte contre l’expropriation massive des terres kikuyu, l’influence missionnaire, défendant avec acharnement la pratique de l’excision.

En 1930, Kenyatta se rend à Londres pour y représenter l’association. Cependant, la KCA est interdite, et Kenyatta restera en Grande-Bretagne jusqu’en 1946, s’engageant comme garçon de ferme dans le Sussex tout en poursuivant des études d’anthropologie. La thèse qu’il soutient pour l’obtention de son diplôme sera publiée quelques années plus tard, sous le titre Au pied du mont Kenya.

En 1945, Jomo Kenyatta représente son pays au congrès panafricain de Manchester. Il y acquiert la certitude que l’indépendance est désormais inéluctable. Peu de temps après son retour à Nairobi, il fonde, en 1947, la Kenya African Union (KAU) et l’ouvre aux autres ethnies, notamment aux Luo, dont le leader est Oginga Odinga. Lorsque éclate la grande révolte kikuyu des Mau-Mau, en 1952, Kenyatta et cinq dirigeants de la KCA sont arrêtés. Incarcéré, Kenyatta n’est libéré qu’en 1961.

Dès lors, tout ira très vite. Le mzee s’emploie à élargir la KANU (Kenya Africa National Union) et à rassurer les fermiers blancs. Un an après la proclamation de l’indépendance, Kenyatta est élu président et désigne Oginga Odinga à la vice-présidence. Mais les deux hommes ne tardent pas à s’opposer. En 1966, le vice-président démissionne de son poste et forme, avec une trentaine de députés, un parti d’opposition : la KPU (Kenya People’s Union).

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Daniel arap Moi, le successeur

L’assassinat, en 1969, du ministre Tom Mboya, dauphin présumé de Kenyatta, sert de prétexte au mzee pour dissoudre la KPU et arrêter Odinga. Libéré, ce dernier essaiera de se faire réélire, mais la KANU, qu’il avait rejointe, rejettera sa candidature. Un an plus tard, en mars 1975, des révoltes étudiantes et une fronde parlementaire éclatent après le meurtre de Josiah Mwangi Kariuki, l’une des figures les plus marquantes d’un vigoureux courant oppositionnel à l’intérieur du parti unique. Ce meurtre, qui ressemble fort à un assassinat officiel, déclenche une série d’incidents qui mettent un moment en péril le pouvoir absolu de Jomo Kenyatta.

Avec habileté et fermeté, jouant à merveille d’une personnalité presque charismatique, le mzee réussit cependant, une nouvelle fois, à étouffer les mécontentements. Alors que la police réprimait durement la révolte étudiante, John Seroney et Martin Shikuku, les deux députés leaders de l’opposition interne, étaient arrêtés en plein Parlement.

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Depuis, la vie politique kényane semblait entrée dans une semi-léthargie, à peine troublée par le second retour d’Oginga Odinga lors des élections avortées de 1977. Le règne absolu de Jomo Kenyatta, mélange de paternalisme musclé sur le plan politique et de libéralisme laxiste sur le plan économique, a vécu et duré, sur la seule présence du vieux chef. La conception du pouvoir de cet homme, qui aimait se présenter au public revêtu des attributs traditionnels kikuyu, semble se résumer à merveille dans une phrase qu’il prononça le 5 octobre 1975 devant les parlementaires qu’il venait d’épurer : « Le peuple semble oublier qu’un épervier est toujours prêt à fondre sur les poulets ». L’épervier est mort, et beaucoup craignent (de Daniel arap Moi, successeur désigné de Kenyatta aux protecteurs occidentaux du Kenya) que n’apparaissent au grand jour les lézardes qui minent l’édifice kényan.

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