Massoud Pezeshkian, un modéré à Téhéran

DIX CHOSES À SAVOIR – L’élection de Massoud Pezeshkian, candidat modéré que personne n’avait vu venir, est une surprise pour le camp réformateur qui aspire au changement. À moins qu’elle ne soit orchestrée par le guide suprême, Ali Khamenei ?

Le président iranien, Massoud Pezeshkian, lors d’un meeting à Téhéran, le 6 juillet 2024. © Vahid Salemi/AP/SIPA

Le président iranien, Massoud Pezeshkian, lors d’un meeting à Téhéran, le 6 juillet 2024. © Vahid Salemi/AP/SIPA

Publié le 11 juillet 2024 Lecture : 5 minutes.

Contre toute attente, Massoud Pezeshkian, seul candidat modéré et réformateur autorisé à participer au scrutin, a remporté l’élection présidentielle en Iran, le 5 juillet dernier. Le député a recueilli plus de 16 millions de votes au second tour, contre 13 millions pour son adversaire ultra-conservateur, Saïd Jalili, ancien négociateur de l’accord sur le programme nucléaire iranien. Comme attendu, l’abstention a été la grande gagnante puisque seulement 30 millions d’Iraniens ont voté, alors que le pays compte 61 millions d’électeurs.

L’arrivée de Pezeshkian au second tour a tout de même suscité un regain de participation, celle-ci passant de 41 % au premier tour à 49,8 % au second. Pour inciter les gens à se déplacer, en dépit des chaleurs écrasantes et d’une désaffection très forte pour le système politique iranien, les autorités ont repoussé la fermeture des bureaux de vote à minuit. Organisées à la hâte, cinquante jours après la disparition du président ultra-conservateur Ebrahim Raïssi dans un crash d’hélicoptère en mai, ces élections ont représenté un véritable enjeu, principalement pour le guide suprême Ali Khamenei qui concentre tous les pouvoirs.

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Alors que l’Iran traverse une crise économique, sociale et politique inédite depuis l’instauration de la République islamique en 1979, l’Ayatollah Khamenei considère, et avait expliqué publiquement, qu’un taux de participation élevé aux élections serait un indicateur de la légitimité du régime. En ce sens, la manœuvre aura été un échec. Le Guide a d’ailleurs reconnu pour la première fois que « certains Iraniens n’acceptent plus le modèle actuel ». Massoud Pezeshkian, qui se présente comme « la voix des sans-voix » est-il susceptible de changer la donne ?

1. Défenseur des minorités

Massoud Pezeshkian est né le 29 septembre 1954 à Mahabad, dans la province d’Azerbaïdjan occidental, une région iranienne où la majorité de la population est kurde. Cet homme de 69 ans est lui-même le fruit d’un métissage puisque sa mère était kurde et son père azéri, et se présente dans les médias comme étant d’origine « turque ». Il parle couramment le kurde, l’azéri, ainsi que le persan, l’arabe et l’anglais. Ses origines le poussent à soutenir activement les minorités ethniques d’Iran, notamment celles du nord-ouest.

2. « Le docteur »

Les Iraniens le surnomment « le docteur » pour une bonne raison : Massoud Pezeshkian est chirurgien cardiologue. Il a étudié à l’Université de Tabriz, située en Azerbaïdjan oriental, puis à l’Université de Téhéran. Il a aussi servi en tant que soldat et médecin au sein de l’armée iranienne au cours de la guerre Iran-Irak, entre 1980 et 1988.

3. Frappé par la tragédie

Massoud Pezeshkian a élevé seul ses trois enfants, après avoir perdu son épouse, gynécologue, et un autre enfant dans un accident de voiture en 1993. Ce drame intime a suscité beaucoup de compassion pour ce « papa solo », à l’allure simple et modeste (chemise et veste sportive), toujours très ému lorsqu’il évoque le sujet.

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4. Sa fille, sa conseillère

L’une de ses filles, Zahra, s’est affichée publiquement tout au long de la campagne présidentielle aux côtés de son père. C’est elle qui l’a accompagné, main dans la main, lors du premier bain de foule qui a suivi l’annonce de sa victoire. La jeune femme, titulaire d’une maîtrise en chimie, n’a pas qu’un rôle symbolique, puisqu’elle est considérée comme la conseillère politique du nouveau président.

5. Challenger mais pas outsider

Certes sa victoire à la présidentielle iranienne était loin d’être acquise. Néanmoins Massoud Pezeshkian n’est ni un outsider ni un novice en politique. Il a démarré sa carrière en 1997, lorsqu’il a été nommé vice-ministre de la Santé dans le gouvernement de Mohammad Khatami. Il a ensuite été ministre de la Santé de 2001 à 2005. Pezeshkian a également été député de Tabriz à l’Assemblée consultative islamique (Parlement iranien) pendant cinq mandats et a même occupé le poste de vice-président. Sa candidature était d’ailleurs soutenue par Mohammad Khatami et une autre personnalité importante, Mehdi Karoubi, un religieux dissident qui a tenté de devenir président en 2009.

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6. Jamais deux sans trois

Le docteur Pezeshkian s’est déjà présenté à la magistrature suprême deux fois, en 2013 puis en 2021. La première fois, il s’est retiré pour soutenir un autre candidat. La seconde, il a été disqualifié par le Conseil des gardiens, un organe composé de 12 religieux et juristes qui autorise ou non les candidats à se présenter aux élections. La raison ? Son soutien aux manifestations contre le résultat des élections contestées de 2009, où le pouvoir a été accusé d’avoir fraudé pour permettre à Mahmoud Ahmadinejad de se maintenir au poste de président.

7. En faveur de la légalisation des drogues

En Iran, près de 10 millions de personnes seraient affectées par le fléau de la drogue (toxicomanes et proches), notamment l’héroïne. Un problème de santé publique majeur dans le pays. Lorsqu’il était parlementaire, Massoud Pezeshkian a milité en faveur d’une dépénalisation des drogues. Selon lui, « tant que le gouvernement ne deviendra pas un fournisseur de drogues, nous ne serons pas en mesure d’endiguer la toxicomanie ». Une position qui lui a valu des démêlés avec les autorités iraniennes.

8. Partisan d’un Iran plus ouvert à l’Occident

« Nous ne serons ni anti-Occident ni anti-Est », a déclaré Massoud Pezeshkian au cours de sa campagne souhaitant que l’Iran sorte de son « isolement ». Il s’est notamment engagé à négocier directement avec Washington afin de relancer les pourparlers autour du nucléaire, au point mort depuis 2018. Et exprime la volonté de parvenir à un réchauffement des relations entre la République islamique et le bloc occidental pour obtenir la levée des sanctions qui affectent durement l’économie iranienne et plus encore, la population.

9. Contre la répression

En 2022, Massoud Pezeshkian s’était élevé contre le manque de transparence des autorités sur l’affaire Mahsa Amini, une jeune femme d’origine kurde morte en détention après son arrestation par la police des mœurs, qui lui reprochait de mal porter son voile. Pendant sa campagne, Pezeshkian a dénoncé le recours à la force par la police pour appliquer l’obligation du port du voile aux femmes, et s’est opposé à « tout comportement violent et inhumain (…) envers nos sœurs et nos filles ». Réformateur mais fidèle aux principes ayant fondé la République islamique, Pezeshkian affirme qu’il faut convaincre plutôt que réprimer. Une stratégie « soft » pour ne pas froisser les franges conservatrices.

10. Un faire-valoir ?

Même si Massoud Pezeshkian apporte un léger vent d’espoir réformateur au sein d’un régime ultra-conservateur, ses marges de manœuvre politiques sont extrêmement réduites. En Iran, le guide suprême et son cabinet noir demeurent les vrais tenants du pouvoir. Ainsi, difficile d’écarter l’hypothèse selon laquelle Massoud Pezeshkian serait uniquement un faire-valoir pour donner un sursis au régime. En interne, il aurait ainsi le rôle de canaliser et de susciter l’espérance auprès des Iraniens hostiles au régime (du moins dans un premier temps), et perpétuerait malgré lui l’idée selon laquelle l’alternance existe en Iran. Sur la scène internationale, il serait là avant tout pour « rassurer » l’Occident… qui ne semble pas dupe.

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