Énergie, climat et développement : quel visage pour l’Afrique en 2030 ?

La tension entre l’exigence de lutter contre le réchauffement climatique et la nécessité d’assurer le développement économique juste du continent était au cœur des débats, le 31 mai à l’IFRI, lors d’une conférence qui a réuni acteurs économiques, décideurs politiques et chercheurs.

Easy Solar s’associe à Carbon Clear pour émettre les premiers crédits carbone de ce type pour les installations solaires en Sierra Leone. © Easy Solar

Easy Solar s’associe à Carbon Clear pour émettre les premiers crédits carbone de ce type pour les installations solaires en Sierra Leone. © Easy Solar

Publié le 12 juillet 2024 Lecture : 5 minutes.

C’est désormais une certitude, à moins de six ans de l’échéance, les Objectifs de développement durable (ODD) 2030 ne seront pas atteints sur le continent. Pire, la crise climatique, dont les effets se font d’ores et déjà sentir de manière brutale dans nombre de pays d’Afrique, ne cesse de s’accentuer. Chaque nouvelle étude du GIEC vient le prouver : le réchauffement s’accélère. Mais, si la prise de conscience semble bel et bien s’imposer à la majorité des décideurs politiques et économiques, la volonté de mettre en place les mesures fortes qu’exige la situation reste timide.

Une inertie qui se résume par une équation qui peut sembler insoluble : comment lutter contre le réchauffement climatique sans remettre en cause le développement économique ? Comment créer les conditions permettant l’amélioration des conditions de vie des populations africaines sans reproduire un modèle de croissance basé sur l’extractivisme destructeur qui a fait la démonstration de ses effets délétères ?

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Deux écoles

Le 31 mai, c’est sur ces questions que se sont penchés les participants aux débats organisés à Paris par l’Institut français de relations internationales (Ifri), en gardant en tête que les réponses qui y seront apportées orienteront les futures relations entre les pays africains et l’Europe, et en particulier la France. Des débats forcément intenses et complexes organisés autour de deux thématiques : la justice climatique et énergétique, d’une part, et les villes durables, de l’autre. Parmi les intervenants, on peut citer Mike Sangster, directeur EP Afrique de TotalEnergies, Frédéric Pfister, associé gérant au sein de Gaia Energy Impact Fund II, ou encore Ileana Santos, co-fondatrice de « Je m’engage pour l’Afrique ».

Sur le premier sujet, deux écoles s’affrontent : les partisans de ce qu’on appelle le « leapfrog » – la version anglaise de saute-moutons –  de l’énergie, qui considèrent que le retard économique et le déficit énergétique africain peut se transformer en avantage. Le continent pourrait devenir leader des énergies renouvelables sans passer par la case du tout fossile, contrairement à l’Occident. À l’inverse, il y a ceux qui ne croient pas que le continent puisse se développer correctement sans investir massivement dans le gaz et le pétrole.

À ce titre, Mike Sangster, directeur exploration et production Afrique de TotalEnergies, a rappelé la ligne du groupe français sur le continent : continuer d’investir en Afrique – au contraire de plusieurs majors qui ont d’ores et déjà amorcé un mouvement de retrait – , tout en réorientant certains financements : l’entreprise consacrera un tiers des investissements au développement de nouveaux projets d’hydrocarbures – pétrole et gaz -, un tiers au maintien des niveaux de production actuel et un tiers aux énergies renouvelables. La question du contenu local à également été débattue. Du pétrole oui, mais si et seulement si, l’exploitation bénéficie vraiment aux entreprises, à l’emploi, aux populations locales.

Pour sa part, Frederic Pfister, du Gaïa Energy Impact Fund, une société de conseil en investissements à impact, rappelle que 600 millions de personnes n’ont pas d’accès à l’électricité sur le continent et qu’il n’y aura pas de développement sans un accès à l’énergie décarbonée pour l’usage productif, à savoir : la mobilité, le renforcement des chaînes de production, la cuisson propre, le pompage de l’eau ou la chaîne du froid. Depuis sa création en 2017, le fonds a investi dans une quinzaine d’entreprises africaines de ces secteurs.

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Selon lui, l’extension des réseaux électriques nationaux ne pourra répondre qu’à environ un tiers des besoins. Dans ce contexte, il plaide pour le développement de solutions décentralisées, pour la mise en place de mini réseaux locaux et pour le recours le plus massif possible aux solutions individuelles de production d’énergie. Sur ce dernier point, l’exemple des kits vendus par Easy Solar est évoqué : basée à Freetown en Sierra Leone, l’entreprise créée en 2016 fournit désormais de l’électricité à plus d’un million de foyers au Sierra Leone et au Liberia grâce à des kits solaires individuels abordables. Elle figure dans le top 10 des entreprises à la croissance la plus rapide en Afrique établi par le Financial Times en 2023.

Villes secondaires, villes « laboratoires »

Si les débats sur le mode de production de l’énergie ont été riches et parfois vifs, ceux qui ont porté sur la forme à donner aux villes africaines de demain ne l’ont pas moins été. D’ici à 2050, un milliard d’Africains seront des urbains. C’est dans les villes que se concentre déjà la consommation de cette énergie dont la production pose question. Sur ce front, les défis sont nombreux tant l’urbanisation est aussi exponentielle qu’anarchique dans nombre de pays du continent. Alors que l’attention se concentre aujourd’hui sur les capitales et les mégalopoles déjà existantes ou en cours d’émergence, Ileana Santos, présidente de l’ONG « Je m’engage pour l’Afrique », a insisté sur la nécessité de changer de focale pour se pencher également sur les villes secondaires. Tout à la fois « laboratoires » pour tester des solutions durables déclinables ensuite dans les plus grands centres urbains, ces villes secondaires peuvent aussi constituer une des solutions à la surconcentration démographique dans les capitales. À condition qu’elles soient attractives.

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Par ailleurs, les intervenants ont réfléchi sur le fait d’opter pour une « ville verticale » ou une « ville horizontale » ? La première, plus dense, permet de réduire les problèmes de mobilité – et donc de consommation énergétique – et ainsi, de faire des économies d’échelle sur de nombreux postes de dépenses, en particulier la gestion des déchets. Le recours au béton, très polluant, y sera privilégié. La seconde, qui a l’avantage de permettre de recourir plus massivement à des matériaux locaux et bioclimatiques pour la construction des bâtiments, comme la terre crue, suppose en parallèle l’extension des réseaux électrique ou de distribution de l’eau. Un réel défi logistique et sanitaire.

Pour penser les villes durables africaines de demain, le chercheur à l’African Studies Center de Leiden, Cheikh Cissé, propose d’opter pour une approche décoloniale de l’urbanisme ancrée dans chaque territoire. Les Africains désirent-ils vivre dans un appartement en haut d’une tour ? Quels sont les besoins des citadins ? Leurs usages ? Peut-on construire une ville saine, agréable et fonctionnelle sans pour autant coller aux standards occidentaux ?

Le défi des financements

Quelle que soit l’option privilégiée, les politiques énergétiques ou urbanistiques déployées sur le continent sont confrontées au défi du financement et à l’ampleur de la dette, qui pèse déjà lourd dans la conduite des politiques publiques. Les gouvernements doivent aussi faire face au manque d’attractivité du continent pour les investisseurs. À l’instabilité politique – l’« effet domino » des coups d’État au Sahel l’a encore démontré ces dernières années – , aux conflits et aux crises sécuritaires, il faut ajouter une fragilité du cadre réglementaire qui, quand elle ne les fait pas fuir, poussent les investisseurs à surévaluer le risque et, mécaniquement, à pratiquer des taux d’intérêts extrêmement élevés qui viennent à leur tour alimenter le poids du service de la dette.

Un cercle vicieux dont l’une des voies de sorties doit être le respect, par la communauté internationale, des engagements pris vis-à-vis des pays du Sud, et de l’Afrique en particulier. Si les pays développés ont pour la première fois atteint et dépassé leur objectif de mobiliser 100 milliards de dollars par an promis pour aider les pays en développement à diminuer leurs émissions et à faire face au dérèglement climatique, le continent manque encore cruellement d’investissements pour répondre aux défis qui l’attendent.

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