À Paris, la communauté internationale réaffirme l’urgence de produire des vaccins en Afrique
En 2040, l’Afrique ambitionne de produire sur son sol 60 % des vaccins dont elle a besoin. La période du Covid a permis une prise de conscience internationale sur l’importance de ces sujets, mais tous les obstacles sont loin d’être levés.
Fin juin, alors que la France était en pleine ébullition électorale à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, Paris accueillait le Forum pour la souveraineté et l’innovation vaccinale. Un événement coorganisé par la France et l’Union africaine (UA) visant à sensibiliser la communauté internationale sur les questions de production locale de vaccins et à récolter des promesses de don. L’occasion aussi de lancer l’AVMA, nouveau programme de financement qui prend la suite de Covax, dont il a beaucoup été question pendant la pandémie de Covid-19.
Nombre d’acteurs de la santé et de l’humanitaire étaient présents à l’événement, en particulier ONE, l’ONG cofondée en 2004 par le chanteur de U2, Bono. Récemment arrivée à la présidence de ONE, la Nigériane Ndidi Okonkwo Nwuneli revient pour Jeune Afrique sur les résultats obtenus lors du Forum de Paris et la perspective de voir, dans quelques années, le continent produire lui-même la majorité des vaccins et médicaments dont il a besoin.
Jeune Afrique : Le Forum organisé le 20 juin à Paris a-t-il été un succès ?
Ndidi Okonkwo Nwuneli : Oui. D’abord, il a été marqué par la présence des dirigeants de plusieurs pays, parmi lesquels le Sénégal, le Rwanda, le Ghana ou le Botswana. Ensuite, l’un des objectifs était de reconstituer les ressources financières de Gavi, l’Alliance du vaccin, et les promesses de pays comme les États-Unis, la France, l’Espagne ou l’Allemagne vont permettre d’atteindre cet objectif, puisqu’on parle d’au moins 2,4 milliards de dollars. Le patron de l’Africa CDC, le Dr Jean Kaseya, a aussi rappelé que l’objectif était de produire en Afrique 60 % des vaccins dont le continent a besoin à l’horizon 2040, et il a souligné l’importance d’avoir une agence africaine du médicament. Tout cela va clairement dans le bon sens.
On a quand même l’impression que l’intérêt pour ces sujets est un peu retombé avec la fin de la pandémie de Covid. À vos yeux, la volonté d’agir est-elle encore là ?
Tous les responsables présents à Paris ont fait passer le même message : on a vu avec le Covid qu’aucune région du monde ne doit être désavantagée, parce qu’on sait maintenant que dès qu’une épidémie éclate quelque part dans le monde, elle peut potentiellement toucher toute la planète. On l’a vu tout récemment avec le choléra : il était présent dans des zones très localisées, mais maintenant nous avons des cas à Lagos, et aussi à Mayotte. D’où l’implication de la France sur le sujet. Je pense que les leçons du Covid ont été tirées : chacun est conscient qu’il faut une production de vaccins et de médicaments en Afrique, ce qui suppose des financements mais aussi des transferts de brevets, la mise sur pied d’une capacité de production…
Le Forum a aussi été l’occasion de lancer officiellement l’AVMA, de quoi s’agit-il ?
C’est le mécanisme financier qui succède à Covax, le système qu’on a connu durant la période Covid. On parle de l’AVMA pour « Accélérateur de la production de vaccins en Afrique » (African Vaccine Manufacturing Accelerator). Une levée de fonds pour ce programme a été organisée et les demandes ont été satisfaites, maintenant l’objectif est d’accélérer la fabrication en Afrique ce qui, je le redis, nécessitera des transferts de technologie et de brevets.
Sur cette question de la propriété intellectuelle, les problèmes sont toujours là. Combien de temps les brevets doivent-ils durer ? Combien d’argent les sociétés doivent-elles gagner avant de les partager ? Comment met-on ces exigences en balance avec l’intérêt général ? Il y a urgence à répondre à ces questions.
Qui sont les pays les plus à même de produire des vaccins sur le continent ?
Aujourd’hui, les plus avancés sont le Sénégal, le Rwanda et l’Afrique du Sud. Auxquels on peut ajouter le Nigeria, qui s’est fortement positionné. Ces pays ont déjà sur leur sol des laboratoires performants, en particulier l’Institut Pasteur à Dakar. Et bien sûr, cela passe aussi par des partenariats avec des entreprises privées, dont certaines se sont d’ailleurs manifestées à l’occasion du Forum de Paris. On peut citer le sud-africain Biovac, le français Sanofi, le ghanéen Atlantic Lifescience, le coréen EuBiologics…
Au moment du Covid, la Chine, l’Inde et la Russie ont été très présents pour fournir des vaccins et du matériel médical à l’Afrique. Où en est-on aujourd’hui ?
Ces partenaires sont toujours présents. Bien sûr, compte tenu du contexte actuel, la Russie n’était pas représentée au Forum de Paris. Mais comme nous avons coutume de dire en Afrique : je ne regarde ni vers l’est ni vers l’ouest, je regarde vers l’avant.
L’Union africaine aussi était associée à l’événement parisien, et elle fixe des objectifs ambitieux. Mais elle en a aussi fixés, il y a des années, sur la part du budget que les pays africains devraient consacrer à la santé, et ces niveaux n’ont été atteints pratiquement nulle part…
C’est vrai, mais l’UA est un organe politique qui donne des directions. Ensuite, c’est aux pays d’agir, ils sont souverains, l’UA ne peut pas prendre les décisions à leur place. Le point positif, c’est que les pays qui bénéficient de programmes comme Gavi – en Afrique ou ailleurs – participent eux aussi à son financement, et dans des proportions de plus en plus importantes.
Les pays africains ont très bien compris l’intérêt de produire sur le continent et prennent le leadership sur ce sujet. Ils savent que cela a un sens d’un point de vue sanitaire, mais aussi économique. Le marché qui s’ouvrira aux vaccins produits sur le continent sera international, il ne se limitera pas aux pays producteurs. Le Nigeria, notamment, en est très conscient.
Les évolutions politiques dans plusieurs grandes régions du monde – poussée de l’extrême droite aux élections européennes, possible réélection de Donald Trump aux États-Unis… – vous inquiètent-elles quant à la volonté de ces pays de continuer à financer des programmes liés à la santé en Afrique ?
Pour nous, cela ne change rien, nous continuons et continuerons à mettre la pression pour obtenir des engagements. Quelles que soient les majorités en place, nous jugeons sur le niveau des promesses et des dons. Pour vous donner un exemple, beaucoup de choses ont été faites par les États-Unis quand ils étaient sous administration républicaine, donc non, nous ne sommes pas particulièrement inquiets. Tout cela est plus lié à des relations personnelles, à des contacts, qu’à des couleurs politiques.
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