Dossier automobile : le Maghreb, roue de secours pour les constructeurs automobiles français ?

Confrontés à la baisse drastique de leurs ventes en Europe, PSA et Renault ont trouvé un relais de croissance vital en Afrique du Nord. Mais dans cette région, perçue comme un accès au reste du continent, la concurrence devient rude.

Terminal d’expédition des véhicules Renault, tout juste sortis d’usine, dans le port de Tanger Med. © Fadel Senna/AFP

Terminal d’expédition des véhicules Renault, tout juste sortis d’usine, dans le port de Tanger Med. © Fadel Senna/AFP

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Publié le 16 octobre 2013 Lecture : 7 minutes.

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Auto : le Maghreb, roue de secours des français ?

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Les temps sont durs pour Renault et PSA. En cause : le marché européen en plein marasme. Alors que les volumes de ventes sur le Vieux Continent étaient déjà inférieurs de 20 % à ceux de 2009, le marché européen a encore baissé de 6,2 % au premier semestre de 2013. Or l’Europe représente encore 50,5 % des 1 300 000 véhicules vendus pendant les six premiers mois de l’année 2013 par le groupe Renault, et 59 % des 1 461 000 unités Peugeot et Citroën écoulées par son frère ennemi PSA durant la même période.

voitures-vendues infoPourtant, sur l’autre rive de la Méditerranée, il est un endroit où les constructeurs français prospèrent : le Maghreb, avec quelque 741 500 véhicules vendus en 2012, dont 560 000 dans la seule Algérie, 132 000 au Maroc et 49 500 en Tunisie. Dans ces trois pays, qui rattrapent leurs faibles taux d’équipement, les performances commerciales des marques françaises apportent une belle consolation aux troupes de Philippe Varin, le patron de PSA, et de Carlos Ghosn, le PDG de Renault : 17,8 % du marché est détenu par PSA et 16 % par Renault.

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Impasse

Selon Yann Lacroix, analyste du secteur automobile chez Euler Hermes, cette présence au Maghreb est cruciale pour les Français : « Moins internationalisés que leurs concurrents allemands, ils ne peuvent pas laisser passer l’occasion d’accaparer un marché émergent attractif. Ils ont déjà manqué plusieurs opportunités ailleurs : PSA a été actif en Chine dans les années 1990 et 2000, mais il y est moins fort aujourd’hui. Renault, lui, a fait l’impasse sur l’empire du Milieu. En Russie, les deux constructeurs occupent des positions intéressantes, mais ce marché est très instable. Et, rappelle-t-il, aucun des deux groupes n’est présent aux États-Unis. Le Maghreb est une zone que les Français connaissent bien et où ils bénéficient d’une bonne notoriété, historiquement. Il est logique qu’ils cherchent à tout prix à y rester, au même titre qu’en Amérique du Sud, où ils réalisent aussi de bonnes performances. »

Dans la région, PSA et Renault emploient les mêmes recettes commerciales.

Derrière l’enjeu maghrébin se cache également un appétit pour le marché subsaharien chez PSA et Renault. « C’est une porte qui mène plus au sud, en particulier sur les marchés francophones, où nous jouissons toujours d’une notoriété appréciable, même si elle a beaucoup baissé », reconnaît David Rio, responsable de la zone Maghreb-Turquie du groupe PSA. Chez Renault, cette idée s’est traduite au niveau organisationnel avec le regroupement début 2013 de toute l’Afrique au sein de la même direction régionale, alors qu’auparavant le nord et le sud du continent avaient des manageurs différents.

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Pour réussir au Maghreb, les groupes ont investi dans leurs produits – ils distribuent là-bas la quasi-totalité de leur gamme – et dans leurs réseaux. Tous deux évoquent les mêmes recettes commerciales, à quelques variations près. « Nous avons demandé à notre ingénierie moteur de développer des motorisations spécifiques pour chaque pays de la zone en raison des qualités disparates des carburants. Et nous avons optimisé nos kits antipoussière », indique Jean-Christophe Kugler, directeur des opérations de la région Euromed-Afrique de Renault. Chez Peugeot, David Rio apporte la même attention aux motorisations et aux « suspensions adaptées à des conditions de roulage très variables », explique-t-il.

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Grâce à cette stratégie, la marque Renault conserve au Maroc, depuis 2002, environ 16 % du marché automobile. Mais, surtout, depuis l’introduction des véhicules économiques de Dacia en 2005, le groupe au losange est devenu le poids lourd du secteur avec une part de 39,2 % au premier semestre de 2013. La nouvelle marque à bas coût a vu ses ventes décoller en flèche, et s’est placée en première position dans le royaume chérifien grâce aux modèles Logan et Sandero, et au 4×4 Duster. « Nous sommes satisfaits de nos résultats en 2013 », se félicite Jean-Christophe Kugler, évoquant une « performance historique au Maroc », avec 42 % des ventes réalisées par ses deux marques en juin. En Algérie, le groupe Renault est leader depuis quatre années consécutives. Et il ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, alors que ses deux marques revendiquent déjà 26,5 % des ventes. En Tunisie, les résultats sont moins reluisants à cause de l’introduction tardive de Dacia et des quotas. Mais la marque au losange s’est déjà rattrapée en 2013 avec 22 % de part de marché. « Le lancement de Dacia était parfaitement en phase avec les attentes d’un segment de la population qui achetait auparavant des voitures d’occasion. Nous sommes parvenus à l’imposer en l’appuyant sur la forte notoriété de Renault dans ce pays, et en la différenciant nettement grâce à un design bien à elle. Au final, il n’y a pas eu de cannibalisation d’une marque par une autre, la stabilité de la part de marché de Renault en témoigne », estime-t-il.

Côté PSA, même satisfecit, bien que le constructeur, en se concentrant sur des véhicules à plus forte marge, ait souffert au Maroc de la montée en puissance de Dacia et du délai de renouvellement de sa gamme : « Nous avons réussi une belle année 2012 en raison de la croissance impressionnante du marché algérien [75 % en un an]. Dans ce contexte, avec des volumes stables au premier semestre, 2013 s’annonce sous de bons auspices », se réjouit David Rio, de PSA, qui détenait en 2012 près de 18 % de part de marché au Maghreb, dont 14,1 % pour Peugeot et 3,6 % pour Citroën. « Le segment B [les citadines polyvalentes, sur lequel PSA est bien placé] est très porteur au Maghreb. La Peugeot 207 a été la voiture la mieux vendue de l’année dans la zone, et la Peugeot 301 et la Citroën C-Élysée, attendues en 2014, prendront le relais avec une légère montée en gamme », annonce-t-il. Le constructeur compte d’ailleurs beaucoup sur la 301, avec son prix attractif, au Maghreb et au sud du Sahara.

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Pour continuer sur cette lancée, Renault avance ses pions et étoffe son réseau : « Nous avons déjà 71 points de vente au Maroc, 64 en Algérie et 26 en Tunisie. Et nous voulons irriguer encore mieux les territoires. Nous étudions toutes les propositions de partenaires : il doit être possible de trouver des pièces détachées et un service après-vente optimal dans toutes les zones urbaines », affirme-t-il. Les deux usines de Renault, à Tanger et à Casablanca, et l’annonce de son projet industriel à Oran (lire l’encadré) permettent aussi de renforcer l’attachement des Maghrébins à la marque, tout en optimisant les coûts logistiques.

Chez PSA, l’heure est à l’amélioration de la qualité du service dans le réseau Peugeot, et à l’offensive pour la marque Citroën : « Elle a un potentiel de progression important en Algérie, où elle était quasiment absente il y a trois ans. Elle garde une excellente notoriété grâce aux liens avec la France et au marché de l’occasion », explique le responsable régional. La marque aux deux chevrons compte sur l’agressivité commerciale du français GBH, son distributeur choisi il y a trois ans, qui a déjà implanté quinze points de vente en Algérie.

Temps révolu

Si enthousiastes soient-ils sur leurs perspectives de croissance au Maghreb, PSA et Renault savent toutefois que le temps où leur domination allait de soi est révolu. « La concurrence s’est intensifiée ces dernières années, en particulier en Algérie, compte tenu de la taille de ce marché, qui pourrait devenir un jour le premier du continent », observe l’analyste Yann Lacroix. « Tous nos concurrents sont au Maghreb, la compétition est devenue rude, en particulier avec les européens Seat, Opel et Volkswagen, les coréens Hyundai et Kia, mais aussi l’américain Chevrolet », détaille David Rio. Pour résister, Jean-Christophe Kugler compte sur le segment des véhicules utilitaires : « Ce marché va augmenter, poussé par la croissance économique. Le volume des ventes de pick-up restera stable, et celui des véhicules de transport fermés, fourgonnettes et fourgons comme nos Kangoo, Trafic et Master se développera grandement », prévoit-il. L’argument vaut aussi pour Peugeot, déjà bien situé sur ce créneau avec ses fourgons Boxer, appréciés au Maghreb. Mais, là encore, la concurrence, en particulier Opel et Fiat, bien positionnés dans le domaine des véhicules utilitaires, devrait emboîter le pas aux Français.

Usines : « Renault Oran démarrera dans les temps »

À la différence de PSA, qui confirme « n’avoir aucun projet industriel au Maghreb », Renault avance ses projets de production dans la région. « Il est essentiel de fabriquer des véhicules auprès des clients, notamment en Algérie, premier marché de la zone », affirme Jean-Christophe Kugler, directeur des opérations de la région Euromed-Afrique de Renault, qui se montre confiant sur la tenue des délais. « L’usine d’Oran, annonce-t-il, gérée avec l’Entreprise nationale des véhicules industriels [SNVI], débutera ses activités fin 2014 comme prévu. » Au Maroc, la production de l’usine de Tanger Med, commencée en mars, vient de dépasser le cap des 100 000 modèles Lodgy (monospace low cost) commercialisés. L’objectif de 170 000 voitures la première année ne devrait donc pas être atteint. « Mais nous lançons dès octobre la seconde chaîne de production pour un deuxième véhicule », précise Kugler, selon qui « l’usine est au rendez-vous de la qualité ». À Casablanca, l’usine historique de Renault assemble toujours des Sandero et des Logan (46 500 en 2012). C.L.B.

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