Présidentielle en Tunisie : ces candidats qui ne pourront pas se présenter

Si 61 candidats ont, selon l’instance qui surveille les élections, retiré le formulaire permettant de constituer leur dossier, nombre d’entre eux ne pourront sans doute pas aller au bout de la procédure. Et dénoncent déjà les règles contraignantes et compliquées qui leur sont imposées.

Des partisans d’Abir Moussi, la présidente du Parti destourien libre (PDL) et candidate à l’élection présidentielle incarcérée depuis octobre 2023, à Tunis. © Yassine Mahjoub/SIPA

Des partisans d’Abir Moussi, la présidente du Parti destourien libre (PDL) et candidate à l’élection présidentielle incarcérée depuis octobre 2023, à Tunis. © Yassine Mahjoub/SIPA

Publié le 17 juillet 2024 Lecture : 5 minutes.

Après l’annonce du calendrier électorale de l’élection présidentielle en Tunisie, dont le premier tour se déroulera le 6 octobre, l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie) a fait part, dans un communiqué de dernière minute, des conditions imposées aux médias lors de la période électorale qui court du 14 juillet jusqu’à l’annonce des résultats définitifs, c’est-à-dire après épuisement de tous les recours à l’issue du second tour dont la date reste à préciser. « Grosso modo cela nous conduit jusqu’à la fin de l’année », évalue, le ton pince-sans-rire, un membre du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT).

L’échéancier est pourtant, au niveau des différentes étapes, rigoureusement identique à celui des précédentes élections présidentielles de 2014 et de 2019. Mais les conditions dictées par l’Isie sont si restrictives qu’il semble que « la période électorale se soit transformée en long silence électoral », raille le journaliste.

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Le SNJT a d’ailleurs fait remarquer que « l’intégrité et la transparence des élections sont essentiellement liées à l’instauration d’un climat médiatique libre, pluraliste et démocratique, dans lequel les journalistes et les médias jouent, de manière indépendante, un rôle fondamental dans l’éclairage de l’opinion publique et dans l’ouverture d’un débat public sur les questions liées aux élections et à la livraison d’informations précises et objectives afin de lutter contre les discours trompeurs et orientés. »

Une définition quasi basique du journalisme, qui semble loin des priorités de l’Isie. D’autant que la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) ne joue plus un rôle effectif dans la régulation de l’audiovisuel et ne semble pas être impliquée dans les élections. Pour le syndicat, ces institutions sont pourtant essentielles « pour garantir le droit constitutionnel des citoyens d’accès à des médias pluralistes et diversifiés qui respectent le principe d’égalité entre les différents candidats ».

Des formulaires que les candidats doivent retirer en personne

Selon l’Isie, 61 candidats à la course à la présidentielle ont retiré le formulaire de parrainage nécessaire pour compléter leur dossier de candidature. Chaque candidat devra en outre présenter le parrainage de 10 députés de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) ou membres du Conseil national des régions et des districts (CNRD), ou celui de 40 présidents élus de collectivités locales, ou encore celui de 10 000 électeurs inscrits au registre électoral sur 10 circonscriptions comportant au moins 500 électeurs chacune. Une exigence qui risque de disqualifier certains candidats.

D’autres savent déjà qu’ils ne seront pas sur la ligne de départ, faute non pas de parrainages mais d’avoir pu se procurer le formulaire original, qui ne peut être retiré auprès de l’Isie que par le candidat en personne. Il s’agit pourtant de citoyens tunisiens qui répondent aux conditions exigées par la Constitution, mais qui ne peuvent se déplacer jusqu’aux services de l’instance… puisqu’ils sont en prison. Ils pourraient donner procuration mais, là encore survient un nouvel obstacle, il en faut une spéciale et celle établie par voie d’huissier pour les prisonniers n’est pas agréée par l’Isie.

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Faute de jugement définitif, ces personnes jouissent de leurs droits civiques et électoraux. Le constitutionnaliste Amin Mahfoudh rappelle à ce sujet la formulation de l’article 89 de la Constitution, approuvée par référendum en juillet 2022 : « La candidature à la présidence est un droit pour tout Tunisien et toute Tunisienne qui n’est titulaire d’aucune autre nationalité, né(e) d’un père, d’une mère, de grands-pères paternel et maternel tunisiens, demeurés tous de nationalité tunisienne sans discontinuité. Le candidat doit être âgé, le jour du dépôt de sa candidature, d’au moins 40 ans et jouir de tous ses droits civils et politiques. La candidature doit être soumise à l’Instance supérieure indépendante pour les élections conformément aux modalités et aux conditions prévues par la loi électorale. »

Les opposants Abir Moussi, Ghazi Chaouachi, Mondher Zenaidi…

Le texte est clair : rien n’empêche la présidente du Parti destourien libre (PDL), Abir Moussi, incarcérée depuis octobre 2023, ou Ghazi Chaouachi, ancien secrétaire général du Courant démocrate, lui aussi aux arrêts depuis février 2023, de concourir à la présidentielle. Rien, si ce n’est que l’Isie exige que les parrainages soient présentés sur les formulaires que le candidat doit retirer en personne.

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En lice lui aussi, Abdellatif el-Mekki, secrétaire général du parti Travail et Réalisation, a signalé des difficultés pour obtenir son bulletin numéro 3. Sa situation s’est compliquée le 12 juillet quand il a été entendu par un juge dans l’affaire Jilani Daboussi, entrepreneur décédé en 2014 après une longue incarcération. Le candidat a ensuite été mis en liberté, avec néanmoins l’interdiction de voyager et d’intervenir dans les médias. « Une façon de le contraindre au silence », relève un avocat qui rappelle que lors de la campagne présidentielle de 2019, le candidat Kaïs Saïed avait refusé de faire campagne sachant que son challenger Nabil Karoui avait été incarcéré avant que ne débute la campagne électorale et libéré moins d’une semaine avant le scrutin. Cette attitude avait alors forcé le respect et participé à sa popularité.

Les conditions actuelles sont totalement différentes : depuis de nombreux changements institutionnels ont eu lieu après le coup de force de juillet 2021 et l’adoption de la Constitution de 2022, et l’éradication des corps intermédiaires a fait, de facto, disparaître les partis. Tandis que la plupart des organismes qui jouaient jusqu’alors le rôle de garde-fous de la société civile sont a minima en recul, voire complètement neutralisés.

Lotfi Mraihi, président de l’Union populaire républicaine (UPR) et autre candidat potentiel, a été arrêté début juillet pour blanchiment d’argent et est désormais hors course. Restent ceux qui ont annoncé leur candidature depuis l’étranger, parmi lesquels l’homme politique, Mondher Zenaidi, l’ancien député et polémiste Safi Saïd ou encore l’ancien conseiller à la présidence, l’amiral Kamel Akrout. Ils devront, selon les conditions de l’Isie, retirer en personne les formulaires de parrainage et surtout recueillir les signatures nécessaires alors que le dépôt des candidatures doit être effectué entre le 29 juillet et le 6 août. Le compte à rebours est donc enclenché et, à ce jour, aucun d’entre eux n’a annoncé vouloir se désister.

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