Sélavie, un humour pas capillotracté
Première humoriste camerounaise à briller dans un one-woman-show, Sélavie Newway s’est imposée sur les planches parisiennes grâce à son sens de la satire et de la parodie. Portrait.
Elle avait mille raisons de ne plus sourire tant les épreuves de la vie ne lui ont laissé aucun répit. D’abord, l’assassinat de son frère aîné à Fokoué, dans l’ouest du Cameroun, le 30 septembre 2023, puis d’autres blessures, plus récentes. Au début de juin 2024, dans cette salle de théâtre des Enfants du Paradis, dans le 9e arrondissement de Paris, c’est pourtant avec enjouement que Sélavie Newway nous invite à découvrir son univers.
Ce jour-là, Sélavie s’adresse à des chaises vides. Elle fait une roulade, répète ses monologues, esquisse un sourire. À trois jours de la représentation, Madeleine Mbounou – de son vrai nom – met la dernière main à son spectacle. Tout en nous offrant des gadgets publicitaires à son effigie, elle plaisante sur sa silhouette, légèrement plus enrobée que celle qui est dessinée sur ses tote bags, tasses et autres t-shirts. « Vous vous demandez si c’est vraiment moi ? Eh oui, c’est bel et bien Sélavie que vous voyez ! »
Coiffeuses africaines
De l’immigration à la vie au travail, en passant par le féminisme et les traditions, aucun sujet de société n’échappe à Sélavie. Elle n’en oublie pas pour autant les scènes de la vie quotidienne, qu’elle aime parodier. La diaspora africaine peut-elle guérir de certains de ses salons de coiffure, où les prix exorbitants contrastent avec un service souvent médiocre ? s’interroge-t-elle sur scène. « Si tu n’as pas le temps, n’y va pas, car tu y passeras la journée. Les coiffeuses te laissent en plan pour aller chercher les enfants à l’école ou le courrier à la poste, et tout cela avec les cheveux mouillés, même en hiver. »
Parmi ses questionnements existentiels : les Africaines peuvent-elles enfin se libérer de leur complexe vis-à-vis de leur chevelure ? « Une Indienne aux longs cheveux m’a confié qu’elle envierait mes cheveux, car les siens ne tiennent pas la coiffure », raconte-t-elle.
Née le 13 mai 1980 à Fokoué, Sélavie a grandi à Deido (Douala). Si elle vit en France depuis 2008, elle reste frappée par les différences culturelles entre les deux pays. Un exemple ? « En France, l’école est gratuite et accessible à tous, au point que l’on menace les parents de sanctions s’ils n’y envoient pas leurs enfants. En Afrique, au contraire, l’éducation est payante dès la maternelle. En France, je dois réveiller mon fils de 16 ans pour qu’il aille à l’école. En Afrique, on faisait 7 km pour y arriver, et on était parmi les premiers de la classe ».
Pour Sélavie, tout a commencé dans les années 1990, lors des kermesses scolaires et dans les petites associations du village, où elle écrivait et jouait déjà des saynètes avec ses amies. « Mon oncle, qui montait une pièce de théâtre, avait besoin d’un rôle féminin. Mon frère aîné, déjà acteur de sketchs, lui a parlé de moi, mais il a répondu que j’étais trop timide pour prendre la parole en public. Mon frère a fini par le convaincre ». Son oncle lui donne sa chance puis, impressionné par son talent, lui confie d’autres rôles lors de tournées.
Avec le Quatro du Rire
En 2001, Sélavie, qui gagnera, treize ans plus tard, le prix du public au prestigieux Festival des 40 ans du Théâtre des Blancs-Manteaux (Paris), veut voler de ses propres ailes. « Quand les poules auront des dents », lui rétorque son oncle. Pour la jeune fille, cette phrase fait l’effet d’un « coup de poignard ». Elle intègre le groupe Les Quatro du Rire, créé par Tagne Kondom et Fingon Tralala, et qui a alors le vent en poupe. En 2002, Emmanuel Chatué, le directeur de Canal 2, lui propose un contrat. Elle devient ainsi, au Cameroun, la première femme responsable de l’écriture, du casting et de la production d’émissions humoristiques à une époque où les hommes dominent la scène.
Seule femme à concourir lors du premier Canal d’Or, elle remporte le Lady Golden de la meilleure comédienne, ce qui renforce sa détermination à faire évoluer les mentalités par l’humour. Dès son arrivée en France, elle suit des formations en comédie et en one-man-show au Studio Jack Garfein et à l’Acting International. Là, elle est repérée par Gérard Sibelle, qui la prend sous son aile.
On lui confie la présidence de la cérémonie des nuits blanches du théâtre, elle obtient le premier rôle dans le film Mère Seule, de Bertrand Booda. En 2015, elle est animatrice et chroniqueuse sur Africa Radio. L’humoriste Mamane lui demande de participer à la première édition du Parlement du rire, avec Michel Gohou, Digbeu Cravate et Charlotte Ntamack. Enceinte, elle décline, puis accepte, en 2017, de rejoindre l’équipe.
Lutte contre le sida
Citoyenne française bien intégrée, Sélavie n’en oublie pas pour autant son pays d’origine. Elle devient la marraine de la 4e édition du festival du film éducatif de Dschang, en 2018, et contribue activement à la vie de la République par le biais d’un sketch sur l’éducation et alors que tout un débat sur le port de l’uniforme agite l’Assemblée nationale française. Elle est aussi l’héroïne des trois albums photos de sensibilisation sur le VIH-Sida qu’ont produit la Ville de Paris et l’association Vers Paris sans sida.
En 2023, la gendarmerie et la Mairie du XVIIe arrondissement de Paris lui demandent d’écrire une pièce destinée à présenter aux élèves du Collège Stéphane-Mallarmé les métiers et formations de la gendarmerie ainsi que les débouchés du spectacle vivant.
Dans le cadre d’un partenariat avec Santé publique France, Sélavie a écrit cinq textes, principalement des sketchs de deux minutes, pour sensibiliser à l’importance des bilans de santé. Le tournage est programmé pour la fin d’août 2024, en vue d’une diffusion en octobre. Après la musique, l’écriture de livres, de sketchs et le one-woman-show, cette touche-à-tout envisage de faire carrière dans le cinéma.
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