Lutte contre la corruption : les nouvelles technologies sont désormais indispensables
Le 12 juillet, le directeur général du groupe Bourbon, Gaël Bodénès, a été condamné à deux ans de prison avec sursis et trois ans d’interdiction de gérer une société pour corruption d’agents du fisc dans trois pays africains. Pour Julien Briot-Hadar, si cette décision est à saluer, il convient aussi de souligner que le recours aux nouvelles technologies aurait permis de mettre fin à ces faits de corruption beaucoup plus tôt.
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Julien Briot-Hadar
Économiste français, expert en conformité aux normes des entreprises et spécialiste des questions de fraude fiscale
Publié le 8 août 2024 Lecture : 4 minutes.
Fléau mondialement répandu, la corruption se présente sous deux formes en Afrique. La première, la « petite corruption quotidienne », banalisée, sévit dans la sphère publique administrative et politique. Elle tient à un ensemble de dysfonctionnements systémiques, où se mêlent favoritisme, clientélisme, piston, arrangements faisant intervenir des contreparties monétaires, commissions et gratifications plus ou moins légitimes, pots-de-vin…
Il appartient à chaque pays de pallier ces dérèglements. La deuxième forme de corruption est transnationale et concerne les investisseurs étrangers. Fort heureusement, la lutte contre la corruption fait aujourd’hui partie des objectifs de nombreux gouvernements africains. Au cours des deux dernières décennies, plusieurs parmi eux ont ainsi fait de l’e-gouvernement un instrument de lutte privilégié. Également appelé administration en ligne, le e-gouvernement se définit comme l’utilisation des technologies de l’information et de la communication par les gouvernements pour la gestion, la production et la fourniture de services publics, ainsi que l’amélioration des relations avec les parties prenantes non étatiques.
Le e-gouvernement pour plus de transparence
Il existe de nombreux exemples. Au Brésil, un système électronique de passation des marchés dénommé Comprasnet a ainsi été mis en place. Il fournit des informations sur le prix des services externalisés, ce qui permet aux hauts responsables publics et aux chargés d’audit de repérer les pratiques d’entente illicite et gonflement des prix, ainsi que les décisions et les retards indus imputables à des agents publics véreux.
Dans une nation, le gouvernement a généralement accès à des connaissances et à des ressources dont le peuple, lui, est privé. Cela crée une asymétrie des pouvoirs qui engendre la corruption. Avec un e-gouvernement, les citoyens disposent des informations et ont aussi la possibilité de surveiller les processus gouvernementaux. Ils le peuvent d’autant plus que les procédures et les processus gouvernementaux relatifs aux marchés publics sont documentés, et que les informations sont publiées et disponibles en ligne.
Outre l’augmentation de l’efficacité, cette transparence accrue résultant de l’utilisation et de l’accès universels aux technologies d’information et de communication entraîne mécaniquement une réduction de la corruption.
En effet, elle est moins présente dans les pays qui ont mis en œuvre un e-gouvernement. Et il semble établi que ce modèle a également des effets bénéfiques sur d’autres facteurs administratifs, politiques et juridiques, tels que l’efficacité des pouvoirs publics, la qualité de la réglementation et l’État de droit. Ipso facto, une approche de la lutte contre la corruption combinant des projets d’administration électronique et d’autres outils anticorruption permettrait donc de réduire plus efficacement la corruption.
La mise en place d’un e-gouvernement nécessite une quantité de données considérables. L’intelligence artificielle (IA) offre des capacités de traitement d’un grand volume de données qui permettent de mieux pointer les transactions frauduleuses. Ainsi, un individu connu pour des faits de corruption sera impérativement remonté par l’IA.
La confiance des investisseurs retrouvée grâce au blockchain
Dans des pays où la confiance de la société civile mais aussi et surtout celle des donateurs et des investisseurs est ébranlée, la mise en place d’un système de blockchain peut rassurer. Réseau « peer to peer », la blockchain figure en effet un registre numérique inaltérable bâti sur un consensus entre les participants, dans toutes les étapes ou séquences d’une opération. Non seulement elle enregistre chaque transaction – c’est-à-dire les parties, l’heure, la certification –, mais elle relie également les informations de chaque bloc de transactions entre elles, ce qui donne une image complète de la vie d’un produit. Tous les intervenants dans l’utilisation des fonds contribuent à l’enrichissement à la base de données et contrôlent par la même occasion la bonne gestion de ces fonds.
Pour garantir la fiabilité et l’intégrité des données, la blockchain fait appel à des « mineurs ». Choisis parmi les intervenants (participants au projet financé, contributeurs ou lecteurs), ces derniers valident les informations suivant des règles prédéfinies (conditions d’utilisation des fonds) avant de les inscrire (pour toujours) sur la blockchain. Les blocs d’informations, horodatés et ajoutés à la chaîne, ne peuvent plus être modifiés et deviennent une preuve électronique de la bonne utilisation des fonds. Plus de dix-neuf ans après l’adoption de la convention de Merida, la mise en œuvre effective du principe de restitution aux populations des avoirs publics détournés n’est pas forcément au rendez-vous.
Selon une étude de la Banque mondiale publiée en févier 2020, en moyenne 7,5 % des décaissements de l’institution au profit des pays en voie de développement sont détournés vers des centres financiers extraterritoriaux comme Singapour, les Émirats arabes unis ou Hong Kong. L’un des principaux problèmes auxquels les entreprises sont donc confrontées est la traçabilité et la transparence de leurs opérations. Si la blockchain avait été mise en place pour ces décaissements, sur 100 millions de dollars, jusqu’à 7,5 millions de dollars environ n’auraient probablement pas été détournés. À chaque étape de décision, les différents intervenants auraient approuvé la décision des autres participants, contrôlé chaque étape des opérations et contré tout acte frauduleux. Avec la blockchain, tous les intervenants sont non seulement des contributeurs à la base de données mais aussi des garants de la bonne gestion des fonds.
La blockchain peut être un outil – voire l’outil – de suivi de certains flux financiers avec le continent dans la mesure où elle permet un archivage sécurisé et une traçabilité complète de toutes les modifications apportées à un document archivé. En l’utilisant, les gouvernements, les organisations et les individus renforcent la transparence, la responsabilité et l’intégrité des transactions financières – chaque blockchain est protégée par une signature numérique unique et implique un contrôle par l’ensemble des intervenants, des prêteurs aux bénéficiaires finaux – contribuant ainsi à promouvoir une gouvernance plus éthique profitable à tous. On notera avec intérêt que les Comores, le Ghana et le Burkina Faso s’en servent déjà.
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