Chemins de fer marocains, de la traction muletière à la LGV

Espagne, France, Émirats, Corée du Sud, Italie… Autant de pays prêts à mettre la main à la poche et à missionner des experts pour aider l’ONCF à développer un réseau ferroviaire dont les premiers balbutiements remontent à la fin du XIXe siècle.

Construction de la première ligne de chemin de fer Casablanca-Rabat, en 1912. © Photo12 via AFP

Construction de la première ligne de chemin de fer Casablanca-Rabat, en 1912. © Photo12 via AFP

Publié le 28 juillet 2024 Lecture : 6 minutes.

C’est la portion Kénitra-Marrakech, soit 390 km, qui devrait être la prochaine à passer en LGV (ligne à grande vitesse). Sur la table, pas moins de 14,5 milliards de centimes en provenance des fonds souverains des Émirats arabes unis (EAU), une somme qui ne comprend pas les investissements nécessaires aux infrastructures (gares, zones de remisage…). L’ensemble est à livrer pour 2027. Mais les débuts du transport ferroviaire au Maroc, eux, datent du début du protectorat.

Les tentatives d’implantation de voies de chemin de fer au XIXe siècle avaient toutes échoué. Manque de volonté de l’État, mais également crainte de faciliter l’arrivée des étrangers et, plus profondément, incapacité à saisir les tenants et aboutissants d’un projet de transport qui était alors très récent.

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L’histoire du chemin de fer débute donc au Maroc de manière modeste et très ludique. « Nous entrons dans l’Akdal. La locomotive mignonne, avec l’air fier de sa poitrine bombée sous le col bien porté de sa cheminée qui fume, est attachée aux wagonnets à rideaux saumon aigretté de drapeaux marocains rouge uni, griffés d’un croissant vert […]. La machinette s’empanache de vapeur et la voilà roulante sur sa voie étroite ; on entend les battements de son hoquet précipité, ô combien évocateur pour nous des lointains délaissés ! Diminuante, elle s’éloigne, tourne la boucle terminale, et la voici qui revient ronflante, avec vraiment bon air pour un joujou », raconte Edmond Picard dans son récit de voyage El Moghreb al Aksa, une mission belge au Maroc (1889).

Cet écrivain et avocat bruxellois fait partie d’une délégation de l’ambassade belge venue, en 1888, dans l’empire chérifien sous la houlette du baron Wethnall présenter ses lettres de créance. Dans leur bagage, un présent à la fois surprenant et intéressé : celui d’un train miniature supposé convaincre le sultan Moulay Hassan d’accepter la participation de l’État belge à l’installation des chemins de fer au Maroc. Le petit train est monté sur un circuit dans les jardins de l’Agdal, à Meknès. Plusieurs dignitaires y prendront place, sous l’œil attentif du souverain chérifien.

Mais le Sultan ne donnera pas suite à ce projet. « Moulay Hassan, sollicité par les différents ministres étrangers, n’avait pas voulu concéder à l’une ou l’autre puissance la construction de voies ferrées. Mais en 1887, il pensait faire construire par le gouvernement marocain […] un chemin de fer de Fès à Meknès », assure l’historien Jean-Louis Miège dans le tome 4 de sa série Le Maroc et l’Europe (1882-1906), (1962).

Et le Makhzen va continuer à freiner l’implantation d’une voie ferrée téléguidée par une puissance occidentale, y voyant un facteur d’atteinte à la souveraineté du pays. La France, à travers son programme de transsaharien traversant le Tafilalet, région originaire des souverains chérifiens, ne pouvait donc emporter l’adhésion. C’est ainsi, souligne l’historien Charles-André Julien dans Le Maroc face aux impérialismes 1415-1956 (1978), que « le Maroc fut le seul pays maghrébin où l’automobile précéda le chemin de fer ».

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Création de différentes lignes

Pourtant, malgré cette opposition énergique, une première ligne de chemin de fer – militaire – va être construite par les Espagnols. Entre 1859 et 1860, depuis leur préside de Ceuta, installé sur le territoire marocain, ceux-ci vont envahir une partie du nord du Maroc. C’est la guerre de Tétouan, ou « Guerre d’Afrique » dans la terminologie ibérique, durant laquelle l’armée espagnole construit une voie ferrée entre Tétouan et Rio Martil afin de faciliter le transport des troupes et du matériel militaire.

En 1906 s’achève la Conférence d’Algésiras. Celle-ci donne un peu plus de liberté et de marge de manœuvre aux États occidentaux pour intervenir au Maroc. France et Espagne emportent la concession des ports et, en 1907, Paris, au travers de la société Schneider, engage les travaux d’aménagement du port de Casablanca. Une ligne ferroviaire est tracée pour acheminer les matériaux. Mais cette dernière, traversant le terrain d’un marabout, provoque l’ire des habitants. Huit ouvriers européens sont lynchés. Un prétexte parfait pour intervenir. Casablanca est bombardée, selon la fameuse politique de la canonnière en usage au XIXe siècle. Un corps expéditionnaire franco-espagnol sous le commandement du général Drude débarque pour occuper la Chaouia, la région casablancaise

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Conjointement, l’Espagne met progressivement la main sur le Rif, où elle mise énormément sur l’exploitation du sous-sol. Dans cette contrée démunie de chemins carrossables, la voie ferrée est la seule option viable et, en 1908, Madrid met sur pied la Compagnie espagnole des mines du Rif. Cela mènera à une confrontation de plus de deux ans entre les troupes espagnoles et les tribus rifaines, qui refusent cette implantation coloniale. Pour maints historiens, cet affrontement est d’ailleurs un avant-goût de la Guerre du Rif (1921-1927) tant l’engagement est dur.

Quant aux Français, ils poursuivent leur effort de « pacification » dans la Chaouia. Le général d’Amade a succédé à Drude. Pour pallier les difficultés de transport, il décide d’installer une ligne ferrée à voie étroite entre Casablanca et Berrechid. Un tronçon de 40 km à traction animale que les Marocains baptiseront « babor del bghal » (le bateau des mulets).

Gares et trains sous le protectorat

En 1912, le protectorat est instauré. Mais il faut attendre 1920 pour voir la naissance du chemin de fer, au sens où on l’entend en Europe, c’est-à-dire une ligne de transport régulière, à la fois pour voyageurs et pour marchandises. « Les nécessités stratégiques, puis l’établissement du protectorat de la France sur le Maroc, entraînèrent la création, dans la zone française, d’un chemin de fer à voie étroite qui suivait les axes de pénétration du corps expéditionnaire. Ce réseau avait été construit par le génie, avec du matériel léger. En 1915, il fut ouvert au trafic commercial. Il rendait ainsi de grands services, mais les parcours étaient longs et les liaisons lentes. Ainsi, les trains ordinaires qui ne circulaient que de jour, à la vitesse moyenne de 15 km à l’heure, mettaient cinq jours pour aller de Casablanca à Oujda », rappelle la géographe Jacqueline Bouquerel dans son article « Le chemin du fer au Maroc et son rôle dans le développement économique » (1975).

La zone française de la Compagnie des chemins de fer du Maroc est créée en août 1920, tandis que se poursuit la construction de la ligne internationale Tanger-Fès. « Quelques dates importantes jalonnent la construction du réseau à voie normale : le 1ᵉʳ juin 1923, est achevée la ligne Rabat-Sidi-Kacem-Meknès, ouverte aussitôt au trafic ; le 1ᵉʳ septembre de la même année est terminé le tronçon minier de Casablanca à Khouribga et en octobre la liaison Meknès-Fès ; le 25 juin 1925, la ligne Casablanca-Rabat était inaugurée, et, à cette date, le réseau ferré à voie normale avait une longueur de 511 km », détaille Jacqueline Bouquerel. À l’indépendance, en 1956, le Maroc peut afficher un réseau ferré d’une longueur de 1 856 km.

Le Maroc post-protectorat va dès lors s’affairer à centraliser et à nationaliser le réseau ferroviaire au sein d’une seule entité. En 1963, la Compagnie des chemins de fer du Maroc (CFM), la Compagnie des chemins de fer du Maroc oriental (CMO) et la Compagnie franco-espagnole du chemin de fer de Tanger-Fès (TF) fusionnent un une seule entité : l’Organisation nationale des chemins de fer (ONCF), l’actuelle compagnie des trains. Dans les années 1960, la traction va, comme en Occident, passer au diesel puis à l’électrique. Sur le réseau, on aménage des gares qui, de Tanger à Casablanca en passant par Kénitra, sont souvent directement reliées aux ports voisins, assurant ainsi un transfert direct entre bateaux et trains.

En 2003, les études sur la faisabilité d’une ligne à grande vitesse (LGV) commencent dans le Tangérois et à Casablanca. Huit ans plus tard, en 2011, le Maroc lance le projet de trains à grande vitesse. C’est en grande pompe que le président Nicolas Sarkozy vient lancer le projet piloté par les Français. À la clé, un demi-milliard d’euros et 14 rames pour Alstom, le fabricant installé à Belfort. De quoi donner le sourire à l’économie hexagonale.

C’est cependant à un autre président, Emmanuel Macron, que reviendra le rôle, en 2018, d’inaugurer aux côtés du roi Mohammed VI le premier train à grande vitesse marocain. Celui-ci, livré avec trois ans de retard, est baptisé Al-Bouraq, du nom du cheval ailé qui a porté le Prophète aux cieux lors d’un vol nocturne. Avec une vitesse de circulation sur la ligne Tanger-Casablanca de 320 km/h, le TGV marocain est le train le plus rapide du continent africain. En 2024, le magazine en ligne « Le Rail » le classe même dans le top 5 des trains les plus rapides sur la planète. Une fierté nationale, quand on se souvient qu’au début du XXe siècle, le pays ne disposait que d’une seule locomotive… tirée par des mules.

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