Du Sénégal à Auschwitz, le destin d’Awa
Dans son roman « Voleurs d’âmes », Gabriel Souleyka raconte l’histoire vraie d’une jeune Sénégalaise, qui, durant la Seconde Guerre mondiale, traversa l’Europe pour retrouver son mari.
C’est l’histoire d’un destin incroyable entre Dakar, Paris et Auschwitz. Awa est une jeune femme pétillante de 22 ans, pleine d’ambition. Elle croit pouvoir jouir d’un avenir paisible dans son pays natal, le Sénégal, entre une carrière épanouie d’infirmière et l’amour d’Ibrahim, qu’elle vient d’épouser.
Tout bascule le 3 septembre 1939, lorsque la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l’Allemagne nazie. Mobilisé, Ibrahim est envoyé en Europe sur le front. Meurtrie, en colère et enceinte, Awa supporte tant bien que mal son quotidien, parfois égayé par les courriers rassurants de son mari.
Grande Mosquée de Paris
Quelques mois plus tard, Ibrahim est porté disparu. Awa s’enfonce dans la dépression. Mais, alors qu’elle est au bord du gouffre, une force quasi irréelle la pousse dans une quête effrénée pour retrouver son époux. En janvier 1942, elle quitte la chaleur de Dakar pour le froid de Paris, où elle rejoint une branche de la résistance française, à la Grande Mosquée de Paris.
Elle y est accueillie à bras ouverts et y rencontre des Juifs cachés. Elle est finalement déportée à Auschwitz et c’est là, au cœur des atrocités nazies, qu’elle retrouve Ibrahim. Les deux Sénégalais s’évadent, se font la promesse de survivre et de témoigner des horreurs qu’ils ont endurées. Un avenir de nouveau brisé : ils seront fusillés, aux côtés de leurs amis juifs et musulmans.
Ces faits historiques, que l’on revit à travers le regard d’Awa, ont donné naissance à Voleurs d’âmes, un roman rigoureux de Gabriel Souleyka, où l’on voit solidarité et fraternité unir les communautés musulmane et juive pendant la Shoah. Pour l’auteur, « apprendre notre histoire est un acte de résistance ». De fait, on lui doit déjà quatre romans sur des moments précis de l’histoire de l’Afrique, portés par des héroïnes souvent tombées dans l’oubli : Le Cri de l’innocence, Solitude, l’enfance (volume 1), Solitude, révolte (volume 2) et Akoni Yoruba.
Tirailleurs sénégalais
La couverture de Voleurs d’âmes donne le ton. On y voit deux Noirs, un homme et une femme, sur un fond rouge frappé d’une croix gammée, et une voie ferrée qui se dirige vers le camp de concentration. « Les nazis ne recensaient pas les Africains qu’ils déportaient. Tous ne l’ont pas été, d’ailleurs. Beaucoup ont été massacrés, notamment à Chasselay, en 1940, ou à Maintenon, où le 26e régiment de tirailleurs sénégalais “couvrait” les Français qui, eux, allaient se réfugier ailleurs. Il y a aussi eu des prisonniers algériens, marocains, ivoiriens, congolais ou encore comoriens détenus au Frontstalag de Dinan », explique Gabriel Souleyka.
« Des Africains et des Antillais ont été déportés car, à Auschwitz, les Allemands avaient besoin de main-d’œuvre. J’ai trouvé des archives, des lettres, j’ai rencontré des déportés qui m’ont parlé des Noirs du Bloc 17, et je me suis aperçu qu’Awa et Ibrahim n’étaient pas des cas isolés. Je me suis même rendu au cimetière de Maintenon, où se trouvent les tombes de ceux qui ont été tués avec Ibrahim », poursuit-il.
La volonté de l’auteur d’évoquer des faits enfouis dans les mémoires ne date pas d’hier. Le jeune Sénégalais n’avait que 12 ans quand il a compris qu’il deviendrait historien. « Je savais que j’irais à Jérusalem, au Caire, aux États-Unis, à Médine, un peu partout… juste pour chercher », se souvient-il. Puis, éprouvant le désir de raconter ces recherches sur l’Afrique, il a embrassé une carrière de réalisateur et d’écrivain.
L’imam sauveur de Juifs
Alors qu’il travaillait à un projet de film sur la Shoah, aux débuts des années 2000, il a découvert un aspect peu exploré de cette histoire, au cours d’une conversation avec son grand-père, un ancien combattant sénégalais. « Il m’a raconté qu’Awa habitait dans la même rue que ma famille, à Dakar, et qu’elle était partie à la recherche de son mari. Personne ne l’a plus jamais revue. J’ai appris, par la suite, qu’elle s’était rendue à la Grande Mosquée de Paris. J’ai trouvé son nom, celui de son mari et d’autres personnages du livre qui ont existé, comme Farid et Moshé, dans les registres de la Gestapo de Paris », raconte-t-il avec passion.
L’auteur poursuit alors ses recherches. Et, comme il se l’était promis enfant, il s’est déplacé : « Au Sénégal et en France, j’ai échangé avec les tirailleurs. Je suis allé à Auschwitz à quatre reprises. C’était très dur à chaque fois. Je me suis rendu aux cimetières de Maintenon et de Chasselay. Je voulais connaître les lieux où les tirailleurs sénégalais avaient combattu. Des êtres humains se sont fait rouler dessus par des chars à cause de leur couleur de peau ! »
« Je suis responsable d’un héritage, ajoute-t-il. Ma responsabilité d’historien est de respecter l’histoire à travers des récits vérifiés. Aujourd’hui, il n’existe que des photos de l’imam Abdelkader Mesli – Farid dans le livre, car c’était son nom de code. Il a été déporté à Dachau en 1944. Il a connu également le camp de concentration de Mauthausen. Il ne pesait plus que 30 kilos, mais il n’a jamais dénoncé de résistants. »
Le récit révèle aussi des épisodes vécus par l’armée d’Afrique, très souvent mise de côté lorsque l’on parle du conflit de 1939-1945. « La contribution des troupes coloniales françaises a été significative, et leur rôle dans des campagnes clés, comme celles d’Italie (en particulier la bataille de Monte Cassino, en 1944), dans le débarquement de Provence et dans la libération de certaines régions de la France, y compris dans la libération de Paris, est bien établi. Je fais partie de ceux qui estiment que 60% des villages français ont été libérés par les troupes coloniales, mais les chiffres ne sont pas faciles à obtenir tant la volonté de masquer les réalités politiques de l’époque a été forte. »
« Les livres, les films et les vidéos qui retracent la vie de personnalités inspirantes de l’histoire africaine donnent à la jeunesse une ligne philosophique, morale, sociale et politique. Il est important d’avoir conscience de son histoire », conclut Gabriel Souleyka. Son prochain roman, qui sortira le 30 septembre prochain, aura pour héroïne une guerrière du Dahomey, Toya – plus connue sous le nom de Victoria Montou.
Voleurs d’âmes, de Gabriel Souleyka, Tioleja Éditions, 407 pages, 24 euros.
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