Émeutes racistes au Royaume-Uni : « L’extrême droite montre son vrai visage »

Attaques de mosquées, agressions racistes, affrontements avec la police… Depuis plusieurs jours, la Grande-Bretagne est le théâtre de violentes manifestations d’extrême droite. Le Pr Shawn Sobers, chercheur en anthropologie au sein de l’Université de l’Ouest de l’Angleterre nous livre son analyse.

La police défend une mosquée à Sunderland, en Angleterre, alors que des militants d’extrême droite organisent une manifestation « Enough is Enough », le 02 août 2024. © Ian Forsyth/Getty Images via AFP

La police défend une mosquée à Sunderland, en Angleterre, alors que des militants d’extrême droite organisent une manifestation « Enough is Enough », le 02 août 2024. © Ian Forsyth/Getty Images via AFP

MATTHIEU-MILLECAMP_2024

Publié le 5 août 2024 Lecture : 5 minutes.

À peine un mois après son arrivée au pouvoir, le gouvernement travailliste du Premier ministre Keir Starmer est confronté aux pires émeutes qui secouent le Royaume-Uni depuis une décennie. L’attaque au couteau dans laquelle trois fillettes ont été tuées, le 29 juillet à Southport, a provoqué un choc immense dans le pays. Un adolescent de 17 ans, originaire du Rwanda, a été arrêté et placé en détention.

Dans les heures qui ont suivi l’attaque, les rumeurs et fausses informations sur l’identité, l’origine et les motivations de l’auteur de cette attaque ont fusé sur les réseaux sociaux. Depuis le 31 juillet, des manifestations ouvertement anti-migrants ont eu lieu dans plusieurs villes de Grande-Bretagne. Quand les manifestants ne scandent pas des slogans racistes, ils s’attaquent à des mosquées, agressent des passants dans la rue pour le seul fait qu’ils sont noirs, ou s’attaquent à des commerces supposés être tenus par des personnes issues de l’immigration. Les personnes racisées sont la cible d’attaques d’une violence inouïe, et les agressions, quand elles sont filmées, sont relayées sur les réseaux sociaux.

la suite après cette publicité

Le Pr Shawn Sobers, anthropologue des médias, spécialiste des questions d’appartenance identitaires, enseignant-chercheur au sein de l’Université de l’Ouest de l’Angleterre, à Bristol, nous livre son analyse sur les racines de cette explosion de violences racistes, et sur la façon dont les communautés issues de l’immigration et les organisations des diasporas africaines font face.

Le Pr Shawn Sobers. © DR

Le Pr Shawn Sobers. © DR

Jeune Afrique : La flambée des violences à laquelle on assiste depuis plusieurs jours au Royaume-Uni et la brutalité des agressions visant des personnes racisées vous surprennent-elles ?

Pr Shawn Sobers : Je ne suis malheureusement pas surpris par la violence, parce que les médias et les politiques de droite, depuis longtemps, n’ont volontairement pas pris suffisamment leurs distances par rapport à ce type de discours, voire l’ont parfois encouragé.

Ce discours, très à droite, existe depuis plusieurs années en Grande-Bretagne, nous l’avons vu avec le Brexit. Et récemment, encore, dans la campagne électorale. Il faut également mettre cela en relation avec ce qu’il se passe aux États-Unis, avec la campagne de Donald Trump. Tout cela est intimement lié.

la suite après cette publicité

Au sein de la classe politique, y compris du Labour [Parti travailliste], les condamnations vis-à-vis de ce type de positions n’ont pas été assez fortes. Sur ces émeutes, ce à quoi l’on assiste est écœurant : des politiciens qui cherchent des explications, ou même des excuses, à ces violences.

La tuerie de ces enfants, à Southport, a choqué tout le pays. C’est un événement tragique. Et voir ainsi des idéologues opportunistes se saisir de cette situation dramatique, c’est dégoutant. Je pense que c’est un vrai désastre.

la suite après cette publicité

Comment réagissent les organisations représentant les diasporas africaines en Grande-Bretagne ?

Les communautés africaines sont extrêmement inquiètes, à raison. Il y a beaucoup de messages qui tournent pour indiquer où ont lieu les manifestations d’extrême droite, appeler à faire attention, éviter telle ou telle zone et ne surtout pas se déplacer seul…

C’est d’autant plus inquiétant que c’est une forme de violence que l’on pensait oubliée. Le racisme avance caché. Il y avait, dans les années 1970 et 1980, une violence raciste très forte, avec les skinheads, la montée du National Front. Ce racisme a toujours été là. On le voit aujourd’hui, les racistes osent se montrer, l’extrême droite montre son vrai visage. C’est la raison pour laquelle on voit des organisations de défense se mettre en place.

Comment analysez-vous le phénomène des groupes d’autodéfense, qui se constituent dans certains quartiers, pour faire face aux émeutiers ?

On a vu, dans plusieurs villes, et notamment à Bristol où je réside, des manifestations anti-racisme qui ont rassemblé beaucoup de monde. Une partie de la population veut ainsi montrer à ces émeutiers racistes qu’ils ne sont pas les bienvenus dans nos villes.

Les plateformes sociales ont un rôle énorme, et difficile, à jouer pour mieux contrôler ce qui y est diffusé, mais les médias ont un rôle tout aussi crucial et doivent se montrer à la hauteur.

Il y a aussi des gens qui s’organisent, autour des hôtels qui hébergent des demandeurs d’asile, pour défendre les lieux. On voit également des groupes se coordonne pour défendre les biens, les propriétés ou les commerces qui sont la cible des attaques. Les gens se mobilisent aussi pour défendre certaines mosquées locales. Car c’est un autre aspect de ce qu’il se passe : il y a une islamophobie très forte qui s’exprime à travers ces événements. Alors qu’il est avéré qu’il n’y a absolument aucun rapport, quel qu’il soit, entre la tragédie de Southport et un quelconque groupe islamiste. C’est un mythe complet.

Les fake news, dont cette attribution de l’attaque à un musulman, qui se propagent sur les réseaux sociaux semblent avoir joué un rôle central dans ces émeutes…

Il y a effectivement beaucoup de fake news et de rumeurs. Malheureusement, ce n’est pas uniquement le cas sur les réseaux sociaux, mais aussi dans certains médias grands publics.

Certains laissent la parole complètement libre, sans aucune contradiction ou vérification. J’ai entendu, sur la BBC, un présentateur présenter les émeutiers comme des « pro-Britanniques ». C’est extrêmement décevant d’entendre cela…

Donc, oui, les plateformes sociales ont un rôle énorme, et difficile, à jouer pour mieux contrôler ce qui y est diffusé, mais les médias ont un rôle tout aussi crucial. La question migratoire est un vrai sujet de société, qui inquiète une partie de la société britannique, mais il faut que les médias soient à la hauteur.

On laisse dire que les gens n’ont plus de place dans les hôpitaux ou qu’ils ne peuvent plus trouver d’emploi à cause des réfugiés, comme le fait par exemple Nigel Farage [le chef de file du parti de droite populiste Reform UK], qui accuse systématique l’immigration, alors que ces problématiques sont le fruit de plusieurs années de destruction des services publics par les gouvernements.

« Les travaillistes ont bloqué le projet de loi sur le Rwanda plus de 130 fois, bien sûr que c’est politiquement justifié ! », a tweeté un responsable conservateur – qui s’est excusé depuis. C’est ce type de justification que vous déplorez ?

Oui. Tout le monde savait évidemment que ce projet de loi sur l’expulsion des demandeurs d’asile vers le Rwanda était un vaste écran de fumée. Malheureusement, beaucoup de politiciens se saisissent de ce sujet dans le seul et unique but de jouer sur les divisions du pays. Des divisions dont l’origine est essentiellement économique, de classe : il y a une classe de travailleurs blancs qui se sentent profondément aliénés. Et des gens comme Nigel Farage et Tommy Robertson pointent un seul et unique responsable : l’immigration.

Mais ces discours n’en ont pas moins une audience…

Le plus triste, c’est que des gens semblent prêts – voire ont envie – à croire n’importe quoi. C’est en réalité un problème très profond d’éducation. Il y a une vulnérabilité très forte de certaines franges de la population dans ce pays. Quand les gens se sentent vulnérables, ils sont disposés à écouter les beaux parleurs qui leur « offrent » des solutions simples, des réponses idéologiques et dangereuses aux questions légitimes qu’ils posent.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

La chanteuse tunisienne Latifa Arfaoui. © DR

« La Tunisie aux Tunisiens ! » Du racisme aux raccourcis dangereux de Latifa

Contenus partenaires