Présidentielle en Tunisie : Nasreddine Shili, « un Zelensky ou un Coluche » ?
Le cinéaste tunisien auteur du docu-fiction « Subutex » envisageait de se présenter à l’élection présidentielle du 6 octobre. Il vient de retirer sa candidature.
« Qui est-il ? Il se prend pour Volodymyr Zelensky ou il fait son Coluche ? » s’agaçait un militant du Parti destourien libre (PDL) à propos de la candidature à la présidentielle tunisienne du cinéaste Nasreddine Shili. Il semblait ignorer que l’homme qui briguait alors Carthage s’était taillé une belle réputation grâce à sa passion pour le cinéma et occupait une place centrale parmi les réalisateurs qui ont marqué la dernière décennie. « Il est de la génération révolution », précisait l’un de ses amis, rappelant que l’auteur de l’audacieux docu-fiction Subutex, couronné de plusieurs prix en 2018, porte de manière assez personnelle les revendications des jeunes tunisiens.
Dans la la soirée du 6 août, Shili a pourtant jeté l’éponge et annoncé la nuit même qu’il se retirait de la course. Malgré les nombreux parrainages reçus, il n’a ni déposé sa candidature ni obtenu son bulletin numéro 3. Il estime néanmoins que son initiative a dérangé et qu’elle n’est qu’une étape pour une lutte plus longue pour la liberté. Qui est donc ce personnage qui, à la manière d’un Coluche en France ou d’un Zelensky en Ukraine, s’est lancé avec fracas dans l’arène politique ?
Jeunesse tunisienne
Nasreddine Shili a débuté au cinéma en 2005 avec un rôle dans Le Prince de Mohamed Zran, puis un autre dans La Tendresse du loup de Jilani Saadi, en 2006, a gagné en maturité et acquis une gueule comme les aime le septième art. Le visage buriné, taillé à la serpe, le regard fulminant, il pourrait incarner un patricien de l’antiquité selon qu’il porte, ou non, une barbe poivre et sel fournie et des cheveux longs. Cette prestance et son air de baroudeur en aurait fait l’un des personnages les plus atypiques de la campagne électorale à venir.
La candidature de ce conteur hors pair en a surpris plus d’un. « On avait l’habitude, lors des tournages ou autour d’un verre, de refaire le monde pendant des heures, mais je ne me doutais pas que la chose publique taraudait autant Nasreddine Shili », s’étonne un technicien lumières. Certains supporters d’autres candidats ont néanmoins pris suffisamment au sérieux la candidature du cinéaste pour le menacer et le sommer de se retirer de la course. De quoi alimenter la détermination de ce fils des quartiers populaires, qui en a vu d’autres. « Il fréquente aussi bien les voyous que la bonne société et il a beaucoup appris de ses voyages. Il est à la fois attachant, cultivé et terriblement rebelle. Une figure singulière du cinéma tunisien », rapporte une productrice.
Sauveur providentiel
Cette candidature qui, même si elle a été comprise et qu’elle s’explique par l’extrême réceptivité de Nasreddine Shili à la cause des laissés-pour-compte, a été très critiquée. « Cette initiative est fondamentalement efficace. Elle survient dans des circonstances difficiles, en l’absence d’initiatives politiques et de compétences nationales. Mais un programme clair qui corresponde aux problématiques des Tunisiens fait défaut », commentait pour sa part le cinéaste Walid Tayaa – qui estimait que « promettre de réécrire une nouvelle Constitution et de l’adopter par référendum ne tient pas compte de l’épuisement des Tunisiens, qui ne veulent plus de ça ».
Le grand public a un a priori positif sur l’acteur, qui entendait annuler toutes les dispositions prises par le régime de Kaïs Saïed, travailler avec un gouvernement restreint, ramener le salaire présidentiel à 5 000 dinars, contre les 30 000 actuels, et formuler de nouvelles règles dont il laisserait l’appréciation aux citoyens avant de convoquer de nouvelles élections. « Populiste », raillait l’ancien ministre Faouzi Ben Abderrahman, qui déplorait que « ni Shili ni la majorité des candidats ne semblent connaître l’ampleur de la situation au sein des institutions de l’État et de l’administration. Il s’agit d’une question de compétence et non de rémunération ». Ben Abderrahman soulignait également que le désir récurrent et de plus en plus répandu qu’un homme providentiel serait seul à même de sauver la Tunisie était la conséquence de l’incapacité des Tunisiens à travailler et à réfléchir en équipe.
Nasreddine Shili, qui a fondé Dionysos Productions avec le trader londonien Mohamed Banni, sait gérer des équipes et composer avec le collectif, mais il est aussi un frondeur et un rebelle impénitent. Opposé au régime de Ben Ali, il n’a pas été tendre non plus avec le gouvernement issu de la constituante. Il a notamment agressé le ministre de la Culture Mehdi Mabrouk avec un jet d’œuf, en août 2013, lors d’une cérémonie en mémoire de l’artiste Azzouz Chennaoui. Il a alors écopé de cinq mois de prison avec sursis et d’une amende de mille dinars. Rien qui ne devait l’empêcher de pouvoir prétendre à la succession de Kaïs Saïed, qu’il connaît par ailleurs pour avoir participé avec lui et des figures de la gauche engagée à la création de l’université populaire Mohamed Ali El Hammi en 2014.
Milieu populaire
Originaire d’une tribu de Zbiba (Ouest), qui a transité par Le Kef (Nord-Ouest) avant de s’installer à Tunis, Shili a évolué, avec un père employé de la Société nationale des transports (SNT), dans le milieu populaire du quartier Zahrouni. « Sur des questions sans importance, il a parfois la fierté et la susceptibilité des démunis », confie l’un de ses copains de l’ancien parti communiste (POCT), qui estime que le cinéaste a une vision à l’ancienne de la lutte des classes. « Il a appris sur le tas et a le mérite d’être un grand lecteur. Cela nourrit les échanges, mais ne demande-t-on pas plutôt à un président d’être avant tout pragmatique ? »
Sans études poussées, Nasreddine Shili a suivi un parcours d’autodidacte, motivé par une soif de savoir et une passion pour les arts du spectacle. « Habitué aux projections des films de Bruce Lee au cinéma Le Capitole à Tunis, j’ai eu un choc en découvrant, aux Journées cinématographiques de Carthage, les films irakiens et égyptiens, un autre univers », confiait le cinéaste, connu pour ses engagements et ses positions de gauche. Cette révélation sera décisive dans ses choix. Les grands textes, il les a découverts avec le théâtre amateur avant de compléter son apprentissage par une formation de chef opérateur dans une école privée, un précieux viatique qui lui a permis de passer derrière la caméra.
Ce curieux de l’âme humaine, qui aurait voulu se familiariser avec la psychiatrie et la psychanalyse, est devenu une vedette des feuilletons télévisés avant d’être repéré par des hommes de théâtre, dont Mohamed Driss, qui dirigeait alors le Théâtre national tunisien (TNT). « Il tournait des feuilletons pour pouvoir investir dans des films », rapporte l’un de ses proches, qui explique que l’éveil à la politique de Nasreddine s’est fait sur le tard. « Il a toujours été sensible à la marginalité, qu’il a d’ailleurs courageusement exposée dans ses films. Comme pour toute personne qui se découvre une passion sur le tard, la politique n’a plus quitté Nasreddine », ajoute-t-il.
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