Violences racistes au Royaume-Uni : l’effroi des diasporas africaines
Les émeutes d’extrême droite qui frappent de nombreuses villes britanniques ont choqué, par leur violence, les communautés d’origine africaine et caribéenne. Entre peur, dégoût et colère.
« Ma fille m’a regardé dans les yeux et m’a dit : “Maman, j’ai peur, rentrons chez nous.” Cela m’a brisé le cœur. La seule chose que j’ai pu lui dire, c’est qu’ici, c’est notre maison, et que tout irait bien. » Samedi 3 août, Kehinde Mustapha – surnommée Kenny –, une employée de supermarché d’origine nigériane résidant dans la ville de Hull, en Grande-Bretagne, faisait des courses avec sa fille, pour son cinquième anniversaire prévu le lendemain. Avant d’atteindre le premier magasin du centre-ville, elle a vu des gens courir vers elle, certains lui enjoignant de faire demi-tour.
« J’étais perdue, et ma fille n’arrêtait pas de crier et de me demander ce qu’il se passait », raconte-t-elle à Jeune Afrique et The Africa Report. Avant qu’elle ne puisse réagir ou comprendre la situation, Kenny a vu un groupe de personnes – la plupart masquées par des cagoules – vandaliser des magasins, avant de se diriger vers elle. « J’ai ressenti un engourdissement dans les jambes. Mon enfant criait de peur, mais je ne pouvais pas courir. Je ne pouvais tout simplement pas bouger. » Soudain, un vendeur distribuant des prospectus s’est précipité vers elle, a pris sa fille et les a mises en sécurité.
« Les émeutiers étaient si proches de nous. Ma fille a tout vu. Elle les a vus briser les vitrines de manière très violente », raconte la jeune femme. « Même lorsque l’homme nous a aidées à nous mettre en sécurité, elle continuait de demander : “Maman, qu’est-ce qu’on a fait ?” Quand nous sommes rentrées à la maison, elle tremblait encore. »
Déchaînement de violence
Des scènes comme celle-là, des dizaines, sinon des centaines, de Britanniques afro-descendants ou de représentants des diasporas africaines au Royaume-Uni en ont été victimes ces dernières semaines dans ce pays secoué par des manifestations racistes menées par des groupes d’extrême droite. Des émeutiers, certains enveloppés dans le drapeau de l’Union Jack et d’autres affichant des tatouages racistes, ont pris d’assaut des hôtels accueillant des demandeurs d’asile à Rotherham et Tamworth, lançant des feux d’artifice et des briques sur les forces de l’ordre. Ils ont également peint des graffitis racistes sur des bâtiments.
À Manchester, des dizaines d’émeutiers se sont acharnés sur un homme noir, le frappant et lui donnant des coups de pied avant que la police ne parvienne à le sauver. À Middlesbrough, les fenêtres des maisons de résidents africains ont été brisées. Dans plusieurs régions du pays, des mosquées ont été attaquées à coups de pierres et de morceaux de vitres cassées.
Dimanche 4 août, Brendan Nwabichie, un compatriote de Kehinde Mustapha, est rentré chez lui après une journée de travail de douze heures dans une maison de retraite à Middlesbrough, pour découvrir que sa voiture avait été renversée et incendiée par ces émeutiers d’extrême droite. Brendan Nwabichie, qui s’occupe de personnes âgées et vulnérables, avait décidé ce jour-là de laisser sa voiture chez lui et d’utiliser les transports en commun, de peur de croiser des émeutiers sur le chemin l’emmenant au travail.
« Quand je suis rentré chez moi, j’ai vu ce qu’il s’était passé… Je n’ai vu que les restes de ma voiture. Ce n’était plus une voiture, mais une épave. Je ne pouvais pas la reconnaître », glisse-t-il. Il avait économisé pendant une année entière pour payer cette voiture. Il en a pleuré, raconte-t-il. « Je suis ici pour prendre soin des gens, m’assurer qu’ils vont bien, et voilà ce que je reçois. » Son employeur, Clare’s Care, a lancé une campagne GoFundMe pour collecter des fonds afin de remplacer sa voiture.
Renny, c’est le surnom qu’il nous donne, est d’origine caribéenne. Lui est né à Watford, dans le Hertfordshire, et a déménagé à Liverpool avec sa famille à l’âge de 11 ans. Dans son quartier, où il est une figure populaire, il s’entendait bien avec ses voisins, encadrant des enfants de tous les horizons et organisant des événements communautaires comme des spectacles de poésie. Lorsque les émeutiers d’extrême droite ont semé le chaos près de chez lui, ce qu’il a vu et entendu a été un véritable choc.
« J’ai vu des gars, mes amis, des gens que je connaissais et que j’aimais… Des Blancs, avec lesquels j’ai grandi et pour lesquels j’aurais pris des balles sans hésitation. Ils étaient là, dans la foule, à casser des choses et à dire à des gens comme moi de “rentrer chez eux”. Moi, je n’ai pas d’autre foyer », raconte Renny, qui dit n’avoir, désormais, plus la force de travailler sur le spectacle qu’il préparait pour les enfants de la communauté.
« Pendant plus de dix ans, j’ai toujours cherché à apporter de la joie et de l’harmonie à tout le monde dans ma communauté ; Noirs, Bruns ou Blancs, parce que je n’ai jamais douté du fait que nous savions que, tous, nous étions les enfants de Dieu, quelle que soit notre couleur. Mais après ce que j’ai vu et entendu, je crois que j’étais un imbécile. Je ne peux plus faire confiance à mes voisins. »
Les racines de la haine
Bien que Renny affirme n’avoir aucune intention immédiate de déménager, il pense se mettre en retrait. « L’organisateur communautaire Renny n’existe plus. Je vais maintenant m’occuper de moi et ensuite voir s’il est tenable de vivre avec des gens qui pensent que des personnes comme moi devraient être lynchées et “rentrer chez elles”. »
« L’éruption de violences fascistes et d’émeutes est souvent le symptôme de facteurs économiques, politiques et culturels, explique Chantelle Jessica Lewis, sociologue et chercheuse en Black British Studies, soit l’étude historique et sociologique des personnes noires britanniques, à Pembroke College de l’Université d’Oxford et animatrice du podcast « Surviving Society ».
Dans toutes les villes et communes touchées, ce que les émeutiers ont en commun, c’est leur haine des immigrants. Dans leurs slogans et sur leurs pancartes, les préoccupations et les messages sont clairs : les immigrants sont responsables de tous les problèmes du Royaume-Uni : des longs délais d’attente au National Health Service (NHS) pour voir un médecin à l’incapacité des Britanniques blancs à trouver du travail. Mais pour la sociologue, ces préoccupations, comme beaucoup d’autres, sont « particulièrement axées sur la normalisation de la culture “incel”, qui s’inspire des masculinités patriarcales qui elles-mêmes se nourrissent de vulnérabilité, d’insécurité et de ce sentiment de justice. » La Grande-Bretagne a « une longue histoire de stigmatisation des minorités ethniques lorsque les ressources sont inégalement réparties par ceux qui détiennent le pouvoir ».
Chantelle Jessica Lewis accuse aussi « certains médias et représentants de la classe politique » de « promouvoir des discours de peur enracinés dans des catégories fragiles de “blancheur” et “d’anglicité” ». « Cette rhétorique galvanise la combinaison peur, colère et sentiment de justice qui trouve ses racines dans l’exceptionnalisme britannique », analyse-t-elle.
Alors que les autorités britanniques mettent en garde contre l’éventualité de nouveaux troubles, certains gouvernements africains ont émis des conseils de voyage pour leurs citoyens vivant au Royaume-Uni ou s’y rendant. Le ministère nigérian des Affaires étrangères a mis en garde ses citoyens voyageant dans le pays contre un « risque accru de violence et de désordre », les exhortant à être vigilants et conscients de leur environnement à tout moment.
La Haute Commission du Kenya à Londres a conseillé aux Kényans présents au Royaume-Uni de « rester à l’écart des zones de manifestation » et leur a demandé de s’inscrire auprès de la Haute Commission via le site internet de la mission. Le ministère gambien des Affaires étrangères a pour sa part conseillé à ses ressortissants de « faire preuve de prudence et de rester vigilants », et de se tenir informés grâce aux informations locales et aux sources officielles.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?
- Législatives au Sénégal : Pastef donné vainqueur
- Au Bénin, arrestation de l’ancien directeur de la police
- L’Algérie doit-elle avoir peur de Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État améric...
- Mali : les soutiens de la junte ripostent après les propos incendiaires de Choguel...