« The Soul Makossa Man… » : Manu Dibango par ceux qui l’ont connu
Le photographe franco-camerounais Samuel Nja Kwa publie un recueil d’images et de témoignages sur l’œuvre et la vie du saxophoniste décédé il y a 4 ans.
Comment rendre hommage à un monstre sacré de la musique ? Comment célébrer un artiste généreux de son art comme de sa personne ? Après la mort du saxophoniste camerounais Manu Dibango, en mars 2020, son compatriote Samuel Nja Kwa a trouvé une forme de réponse. Avec son livre choral « Soul Makossa Man… », ses presque 500 pages et ses nombreuses photos, il offre au musicien admiré les mots et le regard de ceux qui l’ont connu, côtoyé, fréquenté, les mots de ceux qui l’aimaient et l’aiment encore. C’est, ni plus ni moins, une manière de ressusciter « Papy Groove » et sa musique qui ne cesse d’inspirer à travers le monde.
Lui dire merci
« Lorsque Manu Dibango est décédé en mars 2020, j’étais triste, j’étais orphelin d’un homme qui a toujours été présent dans ma vie, se souvient le photographe. Il a été le premier artiste que j’ai photographié pour les 50 ans de la revue Présence Africaine, à l’Unesco, en 1997. Lorsqu’il a décidé de réaliser son projet de Safari symphonique, il m’a désigné comme photographe et j’ai eu la chance de le suivre durant ses répétitions et pendant ses concerts. Un jour, pendant Jazz à Vienne, il m’a dit : “Je pense que tu as assez de matière, fais-en ce que tu veux.” Lorsqu’il est décédé, j’entendais de nombreux artistes dans les médias raconter leurs souvenirs avec ‘Tonton Manu’. Je me suis dit que l’idée était là. Je voulais à mon tour lui dire merci pour ce qu’il m’a donné et ce que nous avons partagé. Il a été un mentor pour moi comme pour de nombreux artistes. J’en ai interviewé et photographié plus de 90. Je voulais que le public découvre, à travers le regard des intellectuels, des journalistes ou des musiciens qui l’ont côtoyé, qui il était véritablement. »
Soul Makossa Man… est donc un livre d’hommages, au pluriel, qui offre à chaque page l’occasion de rencontrer ceux qui furent les amis, les proches, les collaborateurs de Manu Dibango au cours du long parcours qui le conduisit de Douala jusqu’aux innombrables salles de concert. Feuilleter les pages de sa vie, c’est discuter avec ses fils Michel Dibango et James BKS, avec l’académicien Dany Laferrière, avec le chanteur et tennisman Yannick Noah, avec une ribambelle de musiciens et artistes pour qui il compta, à l’instar de Blick Bassy, Richard Bona, Randy Brecker, Jocelyne Béroard, Wally Badarou et tant d’autres. Même si, dans les grandes lignes, les témoignages se recoupent souvent, et que ceux qui eurent la chance de croiser le saxophoniste retiennent surtout sa générosité et son talent, chaque point de vue apporte un surplus de lumière sur ce que furent sa vie et son œuvre.
« Manu Dibango est un artiste incontournable, dit ainsi Wally Badarou. Il était à la croisée des chemins et a essuyé les plâtres. À l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’artistes africains mondialement connus, aujourd’hui il y en a beaucoup plus. Pour cela, il était un être exceptionnel. Tous les musiciens qui ont travaillé avec lui ont fini par avoir un vrai parcours. Il est à l’image de Miles Davis, chez qui des musiciens sont passés avant de devenir eux-mêmes des très grands. Manu nous a tout simplement montré la voie. » De son côté, Yannick Noah, qui clôt tous ses concerts avec un mix de Saga Africa et de Soul Makossa, veut surtout se souvenir de la joie de son mentor : « Je fais de la variété et Manu a bien compris ma philosophie, à savoir qu’avec des instruments différents, je chante la joie, le sourire, la fraternité. J’ai envie de transmettre une vision positive. Comme Manu. Il avait ce rire communicatif. Lorsqu’on était ensemble, on pouvait aussi parler de sujets sérieux. Il était aussi engagé, de manière optimiste. »
Jazzman avant tout
D’autres témoignages éclairent aussi la vie du musicien avec des anecdotes, des rencontres, des moments particuliers de sa vie. L’autrice Kidi Bebey, fille de Francis Bebey, revient avec tendresse sur la complicité qui a uni, un temps, « Manu et Francis » : « C’est à Paris qu’ils se rapprochent et se côtoient plus régulièrement, écrit-elle. C’est là qu’ensemble, ils vont aller s’imprégner de cette musique à la mode et qui les fascine : le jazz. Francis en a eu un avant-goût décisif durant un séjour d’études de plusieurs mois aux États-Unis. À partir de ce moment-là, il achète des disques dès qu’il peut, les collectionne et les partage avec Manu. Tous deux sont fascinés par ces rythmes, ces instruments de cuivre, ces contrebasses, cette manière de chanter, de claquer des doigts, d’improviser après que le thème principal a été exposé. Le jazz, ils en connaissent l’histoire. Elle a débuté avec ces infortunés que l’on a forcés par milliers à quitter leurs terres africaines en captifs, et que l’on a jetés dans des cales de bateaux pour une traversée définitive de l’Atlantique. »
Bien entendu, Ewané Nja Kwa, connu pour son travail sur les musiciens de jazz, a lui aussi beaucoup à dire sur sa relation avec « The Soul Makossa Man ». « J’ai grandi avec sa musique. Lorsqu’il m’a invité chez lui pour la première fois, en 1999, il habitait à Paris dans le XXe arrondissement. Il m’a reçu avec son sourire légendaire, il m’a parlé de sa musique, il m’a montré ses partitions, il m’a ouvert les portes de son monde. À partir de ce moment, je faisais partie de sa famille. J’ai appris à connaître ‘Tonton Manu’ au fil du temps. Il connaissait ma famille. Parfois, il m’appelait juste pour savoir comment j’allais et m’encourageait dans mon travail. Lorsque j’ai réalisé mon premier livre, « Route du Jazz » en 2014, c’est à lui que j’ai demandé d’écrire la préface. J’ai beaucoup appris en le côtoyant. »
Ce livre hommage qui vient de paraître, il l’a longuement mûri avant de le publier à compte d’auteur. « Il fallait que je fasse le livre que je voulais, comme je le sentais, confie-t-il. Je voulais être libre de mes choix, j’ai utilisé mes propres images, j’ai fait des recherches d’archives, j’ai beaucoup voyagé. Surtout, je voulais faire le livre que Tonton Manu aurait aimé. Je ne voulais pas publier une énième biographie, ni un livre de souvenirs. C’est un livre d’amour. » Un livre qui s’accompagne d’une exposition itinérante : après avoir été présentée au Musée national de Yaoundé (Cameroun) entre le 21 juin et le 15 août, il sera possible de la voir au Musée maritime de Douala du 30 octobre au 30 novembre 2024.
Soul Makossa Man..., de Samuel Nja Kwa, Éditions Duta, 476 pages, 55 euros
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