Algérie : Benyoucef Benkhedda, le président oublié
Deuxième président du gouvernement provisoire (après Ferhat Abbas), d’août 1961 à août 1962, Benyoucef Benkhedda est celui qui mena l’Algérie à l’indépendance en négociant fermement avec la France jusqu’à la signature des accords d’Évian. Portrait.
Les Algériens s’apprêtent à élire leur président de la République, le 7 septembre prochain. À moins d’un mois du scrutin, les jeux semblent faits, à en croire les commentateurs et les acteurs de la vie politique. Ainsi, Abdelkader Bengrina, le leader du parti islamiste El-Bina, prédit un score à la soviétique au chef de l’État sortant, Abdelmadjid Tebboune.
Depuis l’indépendance, huit présidents ont occupé le palais d’El Mouradia, sur les hauteurs d’Alger. Benyoucef Benkhedda (1920-2003) est, pour beaucoup, un illustre inconnu, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Algérie. Pourtant, c’est en grande partie à lui que le pays doit les clauses d’une indépendance acquise au terme une guerre d’émancipation sanglante et fratricide. Mais, avant de parler de sa stature d’homme politique, retour sur le parcours de ce pharmacien devenu président.
Proche de Saad Dahlab
Benyoucef Benkhedda voit le jour à Berrouaghia, commune majoritairement rurale et agricole de la wilaya de Médéa, à quelque 90 km au sud-ouest d’Alger. Fils de cadi (magistrat musulman), il bénéficie d’une bonne éducation – ce qui n’est pas très commun pour les indigènes dans l’Algérie coloniale –, à la fois au sein de l’école française et de l’école coranique.
Son père ne néglige dans son instruction ni la culture musulmane ni l’apprentissage de l’arabe classique – ce qui n’a, en revanche, rien de surprenant pour un enfant de fonctionnaire indigène. Le jeune Benyoucef acquiert les bases du calcul, de la lecture et de l’écriture en français à l’école primaire, puis, après son certificat d’études, intègre les Scouts musulmans.
Il devient ensuite interne au collège colonial de Blida. L’établissement ne compte que quatre Algériens, dont Saad Dahlab, qui deviendra son compagnon de lutte puis qui sera ministre des Affaires étrangères du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) d’août 1961 à juillet 1962.
Dans le parti de Messali Hadj
Dès ses années de collège, Benyoucef Benkhedda s’intéresse à la politique, et notamment aux idées de l’Étoile Nord-Africaine (ENA), de Messali Hadj, l’inventeur du « nationalisme algérien ». Cette association, devenue un parti indépendantiste étroitement soutenu par le Parti communiste français, a vu le jour en 1926, à Paris, dans le milieu des immigrés. Son idéologie très progressiste a alors un fort écho en Afrique du Nord, en particulier en Algérie.
En France, le gouvernement du Front populaire siffle la fin de la partie et l’interdit l’ENA. Celle-ci renaît de ses cendres en 1937, toujours sous la houlette de Messali Hadj et sous un nom encore plus évocateur, le Parti du peuple algérien (PPA). Le PPA sera à son tour interdit deux ans plus tard, mais continuera d’exister jusqu’en novembre 1946 – date à laquelle Messali Hadj crée le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), qui permet d’assurer au PPA une existence légale.
« Les insoumis de Blida »
En attendant, Benyoucef Benkhedda poursuit son parcours estudiantin et nationaliste, fréquentant à la fois la Faculté de médecine et de pharmacie d’Alger, où il entre en 1943, et le PPA devenu clandestin.
Au cours de ses années universitaires, il devient militant actif et n’hésite pas à mouiller sa chemise pour la cause nationaliste. Premier acte marquant : il refuse de faire son service militaire et, alors que la France entre en guerre contre l’Allemagne, participe à la campagne contre la conscription des Algériens. Cette affaire, dite « des insoumis de Blida », lui vaut huit mois de prison.
Après sa libération, il persiste et signe. Il devient membre du comité de rédaction du journal La Nation algérienne et de son pendant arabophone, El Maghreb el Arabi. Au sein du MTLD nouvellement créé, Benkhedda prend du galon : en 1947, il devient membre du comité central, puis secrétaire général, en 1951.
En 1954, tout bascule avec le « Manifeste du 1er novembre » du Front de libération nationale (FLN), qui proclame « la restauration d’un État algérien souverain » et marque le début de la guerre d’indépendance.
Ascension au sein du FLN
Benyoucef Benkhedda n’est plus un messaliste convaincu. Arrêté en novembre 1954, libéré en mai 1955, il rejoint les rangs du FLN, devient le conseiller d’Abane Ramdane (qui sera assassiné en 1957) et le maître d’œuvre du Congrès de la Soummam (août 1956). Aux côtés de son mentor, il charge le poète Moufdi Kakaria de composer l’hymne national, Kassaman, et contribue à la création de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) ainsi qu’à celle du journal El Moudjahid.
Au Congrès de la Soummam, Benkhedda est désigné membre du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) et du Comité de coordination d’exécution (CCE) du FLN. En 1957, il suit la direction du FLN, qui prend ses quartiers à Tunis.
Les événements se précipitent. Les Algériens passent à la vitesse supérieure : le 19 septembre 1958, lors d’une conférence de presse qui se tient simultanément à Tunis et au Caire, ils annoncent la création du GPRA. Objectif : présenter un front commun et parler d’une seule voix face à la France.
À sa naissance, le GPRA est présidé par Ferhat Abbas. Au sein de ce premier gouvernement d’une future Algérie libre, Benyoucef Benkhedda, qui s’est taillé la réputation d’un socialiste voire d’un marxiste accompli, occupe les fonctions de ministre des Affaires sociales jusqu’en janvier 1960. Il est ensuite chargé du portefeuille des Finances, jusqu’à la proclamation de l’indépendance. Entre 1958 et 1960, il mène, par ailleurs, de nombreuses missions à l’étranger au nom du FLN, dans différentes capitales arabes ainsi qu’en Yougoslavie, au Royaume-Uni, en Chine et en Amérique latine.
Le 27 août 1961, à l’issue d’une réunion du CNRA à Tripoli, Benkhedda est désigné président du GPRA. Il remplace Ferhat Abbas, que les dirigeants du FLN ne trouvent pas assez ferme dans ses négociations avec le gouvernement français.
Négociateur des accords d’Évian
C’est donc sur les épaules de Benkhedda que repose désormais l’indépendance de l’Algérie. Mais les accords d’Évian ne seront conclus qu’au terme de sept années d’une guerre particulièrement sauvage et brutale.
Ces accords portent sur trois points essentiels. Primo, un cessez-le-feu applicable au lendemain de la signature des accords. Deusio, la formation d’un exécutif provisoire, qui sera composé de représentants français et algériens, avec l’objectif d’organiser un référendum d’autodétermination. Tertio, en cas de victoire du oui au référendum sur l’indépendance (ce qui ne fait guère de doute), la définition des contours de la future coopération entre la France et l’Algérie indépendante.
Benyoucef Benkhedda est le négociateur en chef des pourparlers avec la France. Ils sont difficiles et éprouvants pour les deux parties. Première pierre d’achoppement, la personnalité même de Benkhedda. « On parût craindre, en France, que le remplacement à la tête du GPRA de Ferhat Abbas par Benyoucef Benkhedda, un homme qui avait dénoncé la “négociationnite” de son prédécesseur, ne signifiât la fin des pourparlers », relate l’historien Charles-Robert Ageron dans un article écrit trente ans après les faits.
N’oublions pas que, à l’époque, le spectre de la partition pèse sur les négociations. Avec les actions violentes de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), les esprits sont chauffés à blanc. Lorsque les accords sont enfin signés, le 18 mars 1962, Benkhedda triomphe et proclame le cessez-le-feu.
Dans un essai intitulé Les Accords d’Évian (éditions Publisud, 1986), Benyoucef Benkhedda défend son action. Il rappelle à la jeune génération que ces accords furent « le type même de compromis révolutionnaire où le GPRA a sauvé les positions clé de la révolution ». Évian a été « une grande victoire du peuple algérien », poursuit-il, répondant ainsi aux critiques qui ont parfois assimilé ces négociations à une capitulation.
Pourtant, soixante-deux ans après la signature des accords d’Évian, la conscience collective des Français et des Algériens reste meurtrie, au point qu’elle a effacé de sa mémoire l’action de cet homme qui conduisit les négociations jusqu’à leur terme et qui joua donc un rôle clé dans l’accession de son pays à l’indépendance.
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