L’Algérie, un refuge pour les politiciens tunisiens menacés par le pouvoir ?
Le cas de Safi Saïd, candidat non investi à la présidentielle tunisienne arrêté le 20 août pour être entré clandestinement sur le territoire algérien, a remis en lumière la tendance historique de certains à considérer le grand voisin de l’Ouest comme une terre d’asile. Les exemples de tels exils sont nombreux, même si la terre d’accueil s’est parfois transformée en piège.
Dans une vidéo diffusée récemment sur les réseaux sociaux, un journaliste algérien appelle à faire de la Tunisie un prolongement de son pays en expliquant que pour Alger, le pays voisin représente « une profondeur stratégique ». La suggestion, incongrue, a laissé les Tunisiens indifférents. Elle fait toutefois écho à un autre fait divers, plus récent encore, mais dans lequel la situation est en quelque sorte inversée puisqu’on y voit un Tunisien qui semble considérer l’Algérie comme une terre de salut, au point de tenter de s’y réfugier.
L’éphémère « réfugié » en question est Safi Saïd, un trublion politique dont le dossier de candidature n’a pas été retenu par la commission électorale (Isie) pour la course à la présidentielle du mois d’octobre prochain à laquelle il escomptait participer, comme il l’avait déjà fait en 2014 et en 2019. Il a été arrêté – ainsi que la personne qui l’accompagnait – par les forces sécuritaires, le mardi 20 août aux premières heures du matin, après être entré sur le territoire algérien par le douar Sidi Thahe dans la zone de Bouderias de la délégation de Foussana (centre-ouest tunisien). Les deux hommes ont été immédiatement remis aux autorités de Bouchebka de la wilaya de Tebessa, puis conduits à El Houidjbet.
En garde à vue pour franchissement illégal des frontières, il a rapidement été remis aux autorités tunisiennes qui l’ont presque immédiatement relâché. Peut-être parce qu’il n’est pas jugé très dangereux. Cet ancien député, journaliste et écrivain a bourlingué dans le monde arabe après avoir fui la Tunisie une première fois, au lendemain des événements de Gafsa en 1980. À l’époque, Safi Saïd se vantait de bénéficier de l’amitié du leader libyen Mouammar Kadhafi, mais aussi de figures de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et de factions libanaises.
Il y a trois ans, les frères Karoui…
Exactement trois années plus tôt, en août 2021, les frères Karoui – dont Nabil, également candidat malheureux à la présidence tunisienne en 2019 – avaient emprunté la même voie, suivant les chemins de contrebandiers pour fuir la Tunisie. Ils avaient trouvé refuge à Tebessa (centre-est algérien) avant d’être eux aussi interpellés pour franchissement illégal de la frontière puis conduits à la prison d’El Harrach, à Alger, qu’ils avaient pu quitter un mois plus tard pour l’Europe avec l’appui d’un homme d’affaires de leurs amis.
Depuis, Ghazi et Nabil ont disparu des radars mais le second, président du parti Qalb Tounes et fondateur de la chaîne de télévision Nessma, qui avait été poursuivi, mis en détention puis libéré pour blanchiment d’argent et évasion fiscale en Tunisie, reste une figure marquante et controversée de la décennie de transition politique inaugurée par la révolution de 2011. La fuite des deux frères en 2021 avait été motivée par l’offensive sur le pouvoir menée par le président Kaïs Saïed en juillet de la même année, qui leur faisait craindre pour leur sort et les avait convaincus de franchir la frontière algérienne, située à trois heures de Tunis.
De nombreux précédents
Un chemin qu’avait également choisi, en 1973, le « super ministre » aux quatre portefeuilles, Ahmed Ben Salah, pour échapper à l’arbitraire politique de Bourguiba et à une condamnation à dix ans de travaux forcés prononcée en 1970 par la Haute Cour. Sa fuite avait été organisée par son frère, M’hamed, avec la complicité d’un ancien chauffeur du ministre et d’un gardien-chef de la prison civile de Tunis. Camouflé sous un sefsari, le voile traditionnel porté par les citadines, Ahmed Ben Salah avait quitté la prison et embarqué à bord d’une Mercedes qui l’avait conduit la nuit même à proximité de la frontière à Aïn Draham (nord-ouest), point frontalier le plus proche de Tunis, qu’il a franchi à pied et en coupant à travers bois en compagnie de ses complices. En Algérie, Ahmed Ben Salah a bénéficié de l’asile politique, conservant sa vie durant le burnous que le président Haouari Boumédiène avait déposé sur ses épaules en signe de protection à son arrivée à Alger.
En septembre 1986, c’est au tour du Premier ministre Mohamed Mzali, limogé au mois de juillet précédent, d’emprunter la même route pour quitter la Tunisie dans le plus grand secret. Pour protéger sa fuite, son épouse, Fathia, indique à des journalistes que son époux l’a contactée la veille depuis Palerme, en Sicile. Une manière de brouiller les pistes d’autant que toute la famille est sous surveillance. Avec l’aide de deux passeurs, Mohamed Mzali a en fait franchi la frontière entre Aïn Draham et Tabarka, mais Alger n’a été qu’une étape pour cet exilé qui s’exprimera librement depuis Paris avant d’obtenir que la justice tunisienne casse et annule, en 2002, sa condamnation par contumace pour abus de biens sociaux et enrichissement illégal.
Trois ans plus tard, c’est Rached Ghannouchi qui prend discrètement la route d’Alger dans un contexte qu’il estime lui être peu favorable à Tunis. Le dirigeant islamiste a pris ombrage de l’influence grandissante de Sadok Chourou qui, après le Congrès de 1989, a refusé de lui céder les commandes du Mouvement de la tendance islamique (MTI), parti dont ils se disputent la direction et qui deviendra Ennahdha en 2011. Ghannouchi s’inquiète aussi de voir Mohamed Charfi, un farouche défenseur des droits de l’homme, prendre les commandes du ministère de l’Éducation nationale.
Cet exil durera jusqu’à la destitution de Ben Ali en 2011, et permettra à Rached Ghannouchi, condamné par contumace à perpétuité pour complot contre le président en 1991, d’obtenir l’asile politique au Royaume-Uni en 1993 et de consolider ses liens dans la sphère islamiste internationale. Notamment au Soudan avec Hassen al-Tourabi.
Dernier exemple en date : celui de l’ancien député du parti Al Karama, Seifeddine Makhlouf, connu pour son extrémisme, qui a eu moins de chance que ses prédécesseurs. Interdit de voyage et poursuivi dans plusieurs affaires en Tunisie, cet avocat s’était éclipsé discrètement et avait réussi à franchir la frontière sans encombre. Mais il a été arrêté le 4 juillet 2024 à l’aéroport d’Annaba en voulant partir pour Istanbul. Les autorités algériennes lui reprochaient de séjourner sur leur sol en situation irrégulière puisque son passeport ne présentait pas de cachet d’entrée dans le pays. Il a depuis été inculpé pour entrée illégale sur le territoire algérien et usage de faux.
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