Maroc-Algérie : à Tokyo, énième round de la guerre diplomatique autour du Sahara occidental
La 9e Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique, organisée ce week-end, a été marquée par une vive altercation entre les délégations algérienne et marocaine. Un incident qui n’est que le dernier d’une déjà longue série, impliquant à chaque fois des représentants de la République arabe sahraouie démocratique.
Après avoir longtemps été associée à la rhétorique, à l’éloquence, aux bonnes manières… la diplomatie serait-elle devenue un terrain de jeu pour catcheurs ou judokas en herbe ? C’est en tout cas ce qui vient à l’esprit, de prime abord, devant le spectacle de membres des délégations marocaine et algérienne se battant, au sens littéral et physique du terme, ce vendredi 23 août à Tokyo.
Une altercation qui s’est produite lors des réunions préparatoires du sommet de la Ticad (Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique), lorsqu’un membre de la délégation marocaine a tenté de retirer un chevalet affichant la mention « République sahraouie » qu’un membre du Front Polisario – Lamine ould Baali, représentant de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) auprès de l’Union africaine et gendre de Mohamed Abdelaziz, l’ancien secrétaire général de l’organisation séparatiste –, non invité par les organisateurs japonais et qui s’était glissé parmi la délégation algérienne muni d’un passeport et d’un badge d’accès algériens, avait sorti de sa sacoche.
Ce qui a donné lieu à une réaction immédiate d’un diplomate algérien, identifié depuis comme étant Abdennour Khelifi, le directeur du département « Afrique » au ministère algérien des Affaires étrangères, qui a plaqué au sol le représentant marocain, provoquant une échauffourée sous les regards consternés des hôtes japonais de l’événement. Qui ont fini par séparer les lutteurs.
« Le fait que ce soit un diplomate algérien qui prenne la défense de Lamine ould Baali montre à ceux qui auraient pu en douter que le Polisario est un proxy, une annexe de l’Algérie », commente un chercheur en relations internationales.
« Sans la protection de l’Algérie, la question du Sahara n’aurait pas atteint le point où nous en sommes après cinquante ans de conflit », estime d’ailleurs Hadj Ahmed Barikallah, ancien membre dirigeant de la RASD, aujourd’hui à la tête du Mouvement sahraoui pour la paix, qui prône une solution au conflit en concertation avec le Maroc
L’incident survient, de plus, dans un contexte de relations diplomatiques déjà tendues entre le Maroc et l’Algérie, qui ont rompu leurs relations en 2021. Depuis, les confrontations diplomatiques régulières illustrent une incompatibilité croissante, quasi structurelle désormais, entre les deux pays voisins.
« Les gestes symboliques comme celui-ci montrent que Rabat et Alger sont loin d’une quelconque réconciliation. Au contraire, ils semblent s’enliser davantage dans un cycle de défiance et de provocation », poursuit Hadj Ahmed Barikallah.
Quant au Japon, il a réagi à l’incident en réitérant sa position officielle, par la voix de son ministre délégué japonais des Affaires étrangères, Yoichi Fukazawa. Position qui se résume ainsi : Tokyo n’invite aux conférences de la Ticad que les États membres des Nations unies. Ce qui exclut donc la RASD.
La méthode « RASD »
Il n’est pas certain que cette précision suffise à décourager les représentants du Polisario, qui n’en sont pas à leur coup d’essai. Il y a quelques semaines, début juillet, à Brazzaville, lors de la 1ère Conférence internationale sur l’afforestation et le reboisement (Ciar1), Mohamed Sidati, qui occupe le poste de ministre des Affaires étrangères de l’organisation séparatiste sahraouie, a pu s’introduire dans la salle où se déroulait l’évènement. Il s’était inscrit après s’être inscrit en ligne en tant que citoyen algérien, avant d’entrer au Congo à l’aide d’un passeport diplomatique algérien et d’être pris en charge dès son arrivée par l’ambassade d’Algérie.
Un membre de la délégation marocaine a remarqué sa présence, au premier rang parmi les officiels participant à la conférence, et l’a signalée aux organisateurs congolais – pays qui ne reconnaît pas la RASD. Lesquels ont demandé à cet ancien représentant de la RASD en France (né au Maroc et qui y a vécu jusqu’à la fin de ses études dans les années 1970, issu de la famille de Cheikh Maelainine) de changer de place pour assister à la conférence en tant que spectateur. L’homme a alors reculé de cinq rangs et… passé son temps à faire des selfies.
Quant à la Ticad, elle est visiblement considérée par l’organisation sahraouie comme un lieu d’intervention privilégié. On se souvient ainsi qu’en 2022, lors de la 8e édition en Tunisie, le président de l’entité sahraouie Brahim Ghali, bien que non invité, avait atterri dans la capitale tunisienne le 27 août et y avait été accueilli par le président Kaïs Saïed en personne. La diplomatie tunisienne avait ensuite rappelé son attitude traditionnelle de « neutralité positive » sur le dossier du Sahara. Mais le mal était fait et la délégation marocaine, qui devait être conduite par le chef du gouvernement Aziz Akhannouch, avait annulé sa participation à l’événement.
En 2019, la Ticad7, organisée à Yokohama, n’avait pas non plus échappé aux incidents. Alors que le Japon avait explicitement précisé que la RASD n’était pas conviée à l’événement, Brahim Ghali avait pris place sur les bancs réservés aux délégations nationales africaines, mettant là encore dans l’embarras les hôtes japonais qui avaient dû préciser à la tribune : « La présence à la septième édition de la Ticad de toute entité que le Japon ne reconnaît pas comme État n’affecte pas la position du Japon sur le statut de cette entité. » Avant de réaffirmer l’existence d’une « relation étroite » entre Tokyo et Rabat.
Un couac rappelant celui qui avait déjà marqué la Ticad précédente qui se tenait à Maputo, au Mozambique, en 2017. Cette fois encore, le Japon avait spécifié avant l’événement que la RASD – ou le Sahara occidental – n’avait pas été invitée au sommet (ni d’ailleurs aux précédents). Et là encore, une délégation sahraouie avait pris place dans la salle, sur invitation des autorités mozambicaines. La délégation marocaine avait alors demandé l’éviction des représentants de la RASD et la situation avait sombré dans la confusion, nécessitant l’intervention des vigiles. Le ministère des Affaires étrangères du Mozambique avait tenté de contourner le problème en intégrant finalement les membres du Polisario à sa propre délégation, s’attirant une fois encore les foudres des co-organisateurs japonais qui avaient évoqué « un grave problème de sécurité ».
Les représentants de la RASD semblent donc bien faire de l’infiltration des rendez-vous internationaux une habitude, au point de pousser certains pays à prendre leurs précautions. Ainsi, à la veille du Forum d’affaires Turquie-Afrique organisé en octobre 2018 à Istanbul, les autorités turques avaient très fermement fait passer le message aux chancelleries africaines : « Nous convions 54 pays, pas 55… Donc, pas la RASD. »
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