Biens saisis des oligarques algériens : quand la gestion des administrateurs tourne au pillage

C’est un procès paradoxal qui se tient à Alger cette semaine : dans le box des accusés, on trouve en effet quatre administrateurs judiciaires nommés par la justice pour gérer les entreprises des anciens oligarques de l’ère Bouteflika. Des administrateurs qui ont profité de leur position pour s’enrichir et n’ont rien fait pour sauver ce qui pouvait l’être.

Le tribunal Sidi Mohamed à Alger. © RYAD KRAMDI / AFP

Le tribunal Sidi Mohamed à Alger. © RYAD KRAMDI / AFP

Publié le 29 août 2024 Lecture : 3 minutes.

C’est un procès singulier qui s’est ouvert cette semaine au tribunal algérois Sidi M’hamed. Sur le banc des accusés, on ne trouve pas, comme on en a pris l’habitude, de hauts responsables ou des hommes d’affaires du régime de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, dont un grand nombre ont été jugés – et pour beaucoup condamnés – depuis maintenant cinq ans dans le cadre d’affaires de corruption et détournements de deniers publics. Non, en cette fin de mois d’août, les hommes qui font face aux juges sont ceux que la justice avait, justement, nommés pour veiller sur les ruines laissées par les oligarques de l’ancien régime : les administrateurs judiciaires.

Ce que la justice reproche à ces hommes qu’elle a elle-même nommés : avoir tiré profit de leur position pour se remplir les poches. Alors qu’ils étaient censés être des boucliers protecteurs désignés par l’État pour préserver ce qui restait des empires économiques saisis, après la chute brutale de leurs propriétaires.

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Quatre d’entre eux sont convoqués à la barre, et les accusations contenues dans l’arrêt de renvoi lu par le greffier fusent : salaires exorbitants, transactions opaques, virements indus vers leurs comptes personnels, gestion douteuse… Les chiffres, eux, volent haut : jusqu’à 6 millions de dinars de rémunération par mois, tandis que les entreprises se dégradaient et que des milliers de travailleurs se retrouvaient sans emploi. Quant aux pertes infligées au trésor public, elles sont évaluées durant l’audience à 20 millions de dinars.

Ces quatre administrateurs s’occupaient entre décembre 2019 et fin 2020 de l’empire des transports de l’homme d’affaires Mahieddine Tahkout, du Global Group de Hassan Arbaoui, qui intervient dans le secteur automobile du groupe d’électroménager Condor, ou encore du patrimoine des frères Chelghoum dans l’hydraulique.

Tout à tour, les quatre accusés ont avancé l’argument du vide juridique pour se défendre des chefs d’inculpation portés contre eux. Selon eux, l’État n’a jamais fixé de manière précise les modalités de leur rémunération, et ce, en dépit de plusieurs courriers adressés au ministre des Finances et de deux réunions tenues à la primature en présence de « 5 à 6 ministres », avance l’administrateur de groupe Condor. Pour les accusés, en l’absence de réglementation officielle, ils ont donc dû déterminer eux-mêmes leurs salaires. Ce qui a abouti à ces montants jugés exorbitants par la justice.

Salaires mirobolants et transactions douteuses

Les quatre administrateurs soutiennent aussi que si les autorités avaient établi des barèmes de paiement pour les administrateurs judiciaires, les abus dénoncés n’auraient pas pu se produire, et que c’est la négligence de l’État qui a créé un environnement propice à des interprétations variées et à des pratiques qui, bien que controversées, n’étaient pas explicitement interdites.

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Or, la liste des accusations ne s’arrête pas là. Il est aussi reproché au quatre mis en cause des transactions douteuses qui ont contribué à la détérioration financière des entreprises placées sous leurs responsabilités. Les accusations incluent donc la mauvaise gestion des actifs et le détournement de fonds qui auraient pu être utilisés pour stabiliser ces sociétés. « Je signais plusieurs centaines de décisions par jour. Je n’ai pas l’expérience requise mais je devais répondre à l’appel de la patrie », se justifie l’un d’eux la voix étranglée.

Répondant à l’argument des accusés concernant le vide juridique, le procureur estime qu’un tel vide ne pouvait justifier le montant des salaires perçus, bien au-delà de ce qui pourrait être considéré comme éthique, même en l’absence de directives explicites. « Les accusés, loin de remplir leur devoir de préservation des entreprises saisies, ont profité de la situation pour se livrer à des abus flagrants, transformant une mission de service public en un scandale de corruption et de cupidité », a donc martelé le représentant du ministère public lors de son réquisitoire.

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Il détaille aussi les choix financiers hasardeux et le manque de stratégie de redressement, en insistant sur les conséquences économiques et surtout sociales de ces actions, à savoir des pertes financières considérables et des arriérés de salaires, provoquant des mouvements de protestation parmi les employés des entreprises concernées. Pour cela, il a requis des peines allant jusqu’à dix ans de prison à leur encontre et un million de dinars d’amende.

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