Présidentielle tunisienne : finalement, ils seront six
Après Adbellatik Mekki et Mondher Zenaidi, la justice tunisienne a validé ce 30 août la candidature à l’élection présidentielle d’Imed Daïmi, dernier postulant dont le sort restait en suspens. Ce qui porte à cinq le nombre de concurrents qui affronteront le président sortant et grand favori, Kaïs Saïed.
En Tunisie, le tribunal administratif vient de rendre un verdict qui redistribue les cartes de l’élection présidentielle, et qui redéfinit la configuration d’un scrutin dont les règles ont été taillées sur mesure pour permettre la victoire du président sortant, Kaïs Saïed. Cette décision est importante : depuis son offensive sur le pouvoir du 25 juillet 2021, c’est la première fois que le président est confronté à une instance qui désavoue son système et agit en toute indépendance. On peut sans doute y voir une affirmation de l’indépendance des juges administratifs, qui secoue un monde politique figé sous l’emprise du nouveau régime.
Quelle est la liste définitive des candidats ?
Après avoir accepté, le 27 août, le recours du fondateur du mouvement Travail et Réalisation, Abdellatif Mekki, ancien dirigeant d’Ennahdha et ministre de la Santé, et rejeté la candidature de Neji Jalloul, le tribunal administratif s’est prononcé les 29 et 30 août sur cinq autres demandes de recours. Il a débouté Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL) actuellement incarcérée, et l’indépendant Béchir Aouani. En validant les recours de l’ancien ministre Mondher Zenaidi et d’Imed Daïmi, ancien député au tropisme conservateur et président du parti El-Harak, la vénérable institution de la rue de Rome a mis fin à des spéculations qui agitaient tout un pays depuis plusieurs jours et changé le cours d’une histoire qui semblait écrite par avance.
Les trois candidats validés viennent donc s’ajouter aux trois noms déjà connus : Kaïs Saïed, bien sûr, ainsi que le secrétaire général du parti Echaâb, Zouhair Maghzaoui, et l’ancien député et homme d’affaires Ayachi Zammel. Les électeurs auront donc le choix entre six bulletins le 6 octobre prochain.
La justice a-t-elle voulu faire passer un message ?
Clairement, les 27 magistrats du tribunal administratif sont allés contre la volonté du président de la République, Kaïs Saïed, qui a mis en place un système électoral semé d’embûches lui permettant de se succéder à lui-même sans réelle confrontation avec des challengers. « En réintégrant deux pointures politiques – l’ancien député au tropisme conservateur Imed Daïmi, et le populaire Mondher Zenaidi qui, depuis avril 2024, se positionne depuis Paris où il est installé comme un challenger à Kaïs Saïed –, le tribunal démontre son indépendance mais fait de la résistance par le droit », souligne l’ancien vice-président de cette instance, le juge Ahmed Souab.
Certains évoquent une scission entre pouvoir et magistrature en rappelant la prise de contrôle de l’appareil judiciaire, entre 2021 et 2022, avec le démantèlement du Conseil supérieur de la magistrature et la révocation de 57 magistrats. Le tribunal administratif avait d’ailleurs décidé de la réintégration de 49 d’entre eux, qui n’a jamais été exécutée par le ministère de la Justice. Un différend qui a marqué la corporation et la mémoire collective.
Va-t-on vers un bras de fer entre les juges et l’Isie ?
Dès l’annonce de la sentence du tribunal administratif, Farouk Bouasker, magistrat et président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) qui a livré plus d’une fois des interprétations toutes personnelles des textes régissant notamment les candidatures au scrutin du 6 octobre, a déclaré que l’instance qu’il dirige « se penchera sur les jugements rendus par la justice administrative et étudiera l’argumentaire et les éléments ayant motivé ces décisions pour ensuite se prononcer sur la liste finale des candidats à la présidentielle ». Bref, il laisse entendre que l’Isie pourrait potentiellement revenir sur les décisions des juges.
Or la décision finale n’est pas du ressort de la commission électorale dont les prérogatives, définies dans le Code électoral, ne comportent pas cet aspect juridictionnel. D’ailleurs, le décret-loi 55 portant sur les élections et les référendums, revu par Kaïs Saïed en 2022, stipule clairement que « les candidats ayant obtenu un jugement irrévocable favorable sont retenus. Après l’expiration du délai de recours, l’instance publie la liste des candidats définitivement retenus ».
La réintégration des candidats peut-elle influer sur le résultat de l’élection ?
Les trois candidats réintégrés par les juges sont, clairement, des concurrents autrement plus redoutables que Zouhair Maghzaoui, secrétaire général du parti Echaâb, et Ayachi Zammel, fondateur de la formation Azimoun, dont la candidature avait déjà été officiellement actée par la commission électorale pour être dans les starting-blocks aux côtés du candidat-président Kaïs Saïed. Certains considèrent même que Zouhair Maghzaoui, qui n’avait cessé de clamer jusqu’à récemment son soutien indéfectible au locataire de Carthage, faisait office de lièvre pour permettre au président sortant de l’emporter dès le premier tour.
Désormais, toutes ces données doivent être reconsidérées : avec des positionnements différents et quasi opposés, Daïmi et Zenaidi peuvent barrer la route au président-candidat et peut-être le pousser à un second tour. Imed Daïmi, natif du Sud et spécialiste des nouvelles technologies, pourra puiser dans le vivier des islamistes et des conservateurs, qui seront aussi représentés par Abdellatif Mekki. Quant à Mondher Zenaidi, il pourra compter sur les voix, très nombreuses, des nostalgiques de l’ancien régime et pourrait, dans l’hypothèse d’un second tour, bénéficier du report des suffrages des conservateurs.
Kaïs Saïed va-t-il réagir à cette nouvelle donne ?
Le président ne se laissera pas faire. Ce scrutin qui devait, selon ses vœux et les conditions qu’il a imposées, lui apporter un plébiscite incontesté dès le premier tour, est à présent celui de tous les dangers. Selon les observateurs, Kaïs Saïed, à moins de produire un argument de poids par l’intermédiaire de l’Isie, doit désormais accepter de jouer une partie à laquelle il se refusait jusqu’à présent. Récemment, il avait d’ailleurs déclaré, faisant référence aux candidats qui prétendaient se mesurer à lui, notamment Mondher Zenaidi : « Le peuple n’acceptera jamais de transmettre le pays à des personnes de peu de patriotisme. »
L’hypothèse d’un report est-elle crédible ?
Certains juristes rappellent que le président, qui a tous les pouvoirs, peut suspendre et reporter sine die les élections en arguant d’un « danger imminent », comme le prévoit la Constitution. Une manœuvre familière, puisque c’est celle qu’il a engagée pour justifier sa mainmise sur le pouvoir le 25 juillet 2021. Mais il lui sera difficile de définir le danger dont il pourrait être question cette fois. L’épidémie de rage qui sévit depuis quelques semaines en Tunisie est assez circonscrite et aucun cas de variole du singe n’a été détecté. Pour le reste, tous les choix et orientations du pays, depuis l’adoption de la Constitution de 2022, relèvent uniquement du pouvoir du président, seul à exercer l’autorité. Kaïs Saïed a donc toute latitude pour, s’il le souhaite, repousser la tenue de l’élection. Mais cette décision paraît difficile à justifier vis-à-vis des électeurs.
Dernier scénario avancé par certains observateurs : celui de la démission surprise de l’un des membres de l’Isie, voire même de son président Farouk Bouasker. En théorie, un tel départ bloquerait de façon indirecte le processus électoral, l’instance de supervision n’étant plus au complet.
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